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Cancers de la thyroïde en Corse et accident de Tchernobyl
Jean-Yves Guezenec évoque une étude épidémiologique italienne largement relayée dans les médias et la mise au point de l’Institut de veille sanitaire

Les cancers de la thyroïde, constatés essentiellement chez de jeunes enfants placés sous le panache des rejets de l’accident constituent la conséquence radiologique majeure de Tchernobyl [1]

Il y en a eu quelques milliers, pour la grande majorité très bien soignés, ce qui au total s’est traduit par quelques dizaines de décès. L’ampleur du phénomène a surpris les radiobiologistes qui ne s’attendaient pas à un tel impact. Sur le moment il a été difficile de collecter les éléments nécessaires à l’évaluation des conséquences radiologiques car le responsable de ces cancers est l’Iode 131 de période d’environ 8 jours, relativement courte, associé à des iodes de périodes très courte, iode 132 (2,3h) et iode 133 (20h), tous émetteurs de rayonnements Béta. La thyroïde fixe l’iode, radioactif ou non, essentiellement par la voie d’ingestion d’aliments en contenant. Des études ultérieures ont permis de reconstituer les doses reçues, (c’est-à-dire la perte d’énergie dans l’organe par les rayonnements béta émis par l’iode fixé). Pour les environs de Tchernobyl les plus touchés par les retombées du panache, la dose thyroïde des résidents de cette zone carencée en iode a été établie à des valeurs situées entre 0,4 et 9 gray. Le gray Gy (Gy) est une unité de perte d’énergie qui vaut 1 joule par Kg d’organe.

On peut citer à ce sujet une phrase du document Les conséquences à long terme de Tchernobyl, les contre mesures et leur efficacité présenté par S.T Belyayev et V. F. Demin présenté lors de la conférence internationale sur les accidents nucléaires et le futur de l’Energie – Leçons tirées de Tchernobyl 15, 16, 17 avril 1991 Hôtel Méridien Etoile Paris :
« Des dizaines de milliers de personnes ont reçu des doses thyroïdiennes supérieures à 0,3 Gy et une partie considérable d’entre elles, principalement des enfants supérieures à 2 Gy »

Compte tenu de la diffusion atmosphérique la situation a été très différente en France. Des retombées de produits radioactifs parmi lesquels de l’iode ont eu lieu à partir du 1er mai 1986, soit 6 jours après l’accident (ce que n’a pas nié le professeur Pellerin contrairement à la légende du nuage qui aurait évité la France [2]) mais évidemment de beaucoup plus faible ampleur qu’au voisinage de Tchernobyl. Le sud-est de la France et la Corse ont été touchées par ces faibles retombées plus que les autres régions françaises. L’impact radiologique correspondant n’est pas simple à évaluer. En effet de nombreux facteurs interviennent entachés de grandes incertitudes il s’agit notamment des dépôts au sol qui sont très variables suivant la localisation du fait de la météorologie locale, les régimes alimentaires individuels sont aussi très variables, mais on peut considérer que l’exposition maximale individuelle en Corse est nettement inférieure à 0,1 gray, environ 100 fois inférieure à celle des environs de Tchernobyl. Ce qui justifie toutefois que ce ne soit pas a priori considéré comme totalement négligeable.

A l’époque de Tchernobyl il a été constaté partout dans le monde, y compris dans des régions non touchées par les retombées de Tchernobyl (aux Etats-Unis, en Australie par exemple), une augmentation des cancers de la thyroïde qui a été attribuée au dépistage dont les techniques devenaient de plus en plus efficaces. Ces circonstances ont poussé des personnes affectées par désordres thyroïdiens à se manifester pour faire reconnaître leur maladie comme la conséquence de Tchernobyl – on peut tout à fait les comprendre - et obtenir des dédommagements de l’Etat considéré comme coupable de ne pas avoir pris les mesures prophylactiques adéquates. La juge Bertella–Geffroy persuadée du bon droit des plaignants a été particulièrement pugnace dans cette affaire, aiguillonnée par l’association CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) dont la créatrice, Michèle Rivasi [3], très médiatiquement connue, a basé sa carrière politique sur la dénonciation outrancière des méfaits de la radioactivité. Un de ses combats est de faire reconnaître le « mensonge d’Etat » sur le nuage de Tchernobyl et dans ce but elle instrumentalise en quelque sorte les malades de la thyroïde.

Mais aucune preuve solide n’a actuellement pu être apportée aux effets de ces retombées en France. L’Institut National de Veille Sanitaire (INVS) étudie depuis de nombreuses années le cas des cancers de la thyroïde en Corse, cellule inter-régionale d’épidémiologie (Cire)-Sud et observatoire régional de santé (ORS) de Corse, sans détecter de situation spécifique liée à Tchernobyl.

Sans doute poussée par les malades et par la mouvance politique déjà citée, l’assemblée territoriale de Corse a confié une Enquête épidémiologique rétroactive concernant les conséquences du nuage de Tchernobyl sur les populations de Corse au groupement Ospedali Galliera, à Gênes considéré comme « une équipe totalement indépendante qui n’avait jamais mené de travaux antérieurs pour l’Etat ». Les résultats de cette étude ont été publiés début juillet. Le lendemain Michèle Rivasi s’en félicitait indiquant la « forte corrélation » (prudence quand même) ainsi démontrée entre l’accident de Tchernobyl et l’augmentation de cancers de la thyroïde en Corse. Cette appréciation fut renforcée par les articles de presse. L’Humanité datée des 19, 20, 21 juillet 2013 traduisait : « les résultats mettent clairement en évidence un lien de causalité entre l’exposition au nuage de Tchernobyl et l’augmentation exponentielle du nombre de maladies de la thyroïde. » Mais hélas pour Michèle Rivasi les critiques très sévères de l’étude italienne n’ont pas tardé à pleuvoir. La ministre Marisol Touraine a tout de suite réagi, puis l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) enfin l’Institut de veille sanitaire auquel je laisse la conclusion [4] :

« Les résultats des études figurant dans ce rapport ne sont pas de nature à remettre en cause les connaissances déjà acquises par les études précédentes. Elles ne permettent pas, du fait de la nature des données utilisées et de la méthodologie mise en œuvre, de démontrer un lien de cause à effet entre les niveaux élevés d’incidence des cancers de la thyroïde et l’exposition aux retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl ».

A suivre…

Lire ici la note de l’Institut de veille sanitaire
http://www.invs.sante.fr/fr/Publications-et-outils/Avis-et-note-de-position/Les-etudes-de-l-InVS-en-matiere-de-surveillance-des-cancers-de-la-thyroide-en-Corse

Autre lien sur les conséquences de Tchernobyl pour les cancers de la thyroïde : un article du blog sciences au carré.

Notes :

[1Les cancers de la thyroïde sont rares chez les enfants : au plus 25 cas par an pour la France entière pour les enfants de moins de 15 ans (environ 12 millions).

[2Le professeur Pellerin, de manière justifiée à mon avis, a estimé ces retombées inoffensives pour la santé humaine et donc ne nécessitant pas la mise en œuvre de contre mesures comme la distribution d’iode stable pour saturer la thyroïde en iode.

[3Actuellement députée européenne EElV après avoir été députée apparentée socialiste de la Drôme et directrice de Greenpeace France.

[4En privé le professeur André Aurengo spécialiste mondialement connu de la thyroïde, chef de service à l’hôpital de la Salpêtrière n’a pas hésité à caractériser l’étude italienne, publication non validée par un comité de lecture note-t-il, d’absurde dans sa méthodologie.


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