Un inédit de plus ? Sans doute faut-il commencer par l’histoire de ce manuscrit retrouvé dans les archives de Jules Verne acquises par la ville de Nantes en 1989 (Verne est né à Nantes en 1828) : inédit, il l’était alors puisque en 1859, année de la rédaction de ce Voyage à reculons, Jules Verne rêvait de voyages et l’occasion se présenta alors de visiter avec un ami (Aristide Hignard) l’Angleterre et surtout l’Ecosse très prisée par les Romantiques. Le voyage de 1859 eut donc effectivement lieu, Jules Verne prend des notes durant ce voyage et peu de temps après il rédige un manuscrit que Hetzel refusera en 1862, ce qui n’empêchera pas ce dernier de devenir dès 1863, l’éditeur des Voyages extraordinaires avec Cinq semaines en ballon. Le Voyage à reculons est une réédition puisque le manuscrit fut publié une première fois en 1989 par le même éditeur…
Si les treize premiers chapitres présentent la traversée de Nantes à Bordeaux, les choses sérieuses commencent dès la page 71 : l’on est en Angleterre… On ne buvait pas, sur le navire, que du thé ! Ce qui prouve que l’humour ne manque pas… Le lecteur a droit à un tableau saisissant de la misère ouvrière au-delà de l’activité grouillante (p 77) et à une description précise des mœurs de Liverpool. Mais était-ce si différent sur le continent ? P 97, l’on est à Edimbourg, donc en Ecosse : c’est la partie la plus intéressante du roman malgré de bonnes descriptions des chemins de fer britanniques et des accidents ferroviaires (ce qui amène le lecteur à se poser la question « Jules Verne est-il pour le capitalisme ? ») et du cortège des guerres (pp 91-92). Cependant, Jules Verne par l’intermédiaire de ses personnages romanesques, fait preuve d’une belle connaissance de l’œuvre littéraire de Walter Scott (p 100), mais la barrière de la langue est infranchissable pour les commodités quotidiennes : « L’expression à la coque lui faisait défaut » (p 103). L’essentiel n’est pas là, il réside dans la description du faubourg de la misère (p 104) où vivent (survivent serait plus approprié) enfants non vêtus et jeunes filles pieds nus…. Peu à peu, la place est laissée à la description de l’activité où passé et présent se mêlent. Rien n’est épargné au lecteur de ce Voyage à reculons : ni l’urbanisme galopant d’Edimbourg, ni les transports urbains… Sont successivement passés en revue la religion (chap XXII, p 118), la cuisine britannique ou écossaise, du moins les mets servis à table (chap XXIV, p 126)… Le charme de l’écriture est produit par les tournures qui viennent du XIX ème siècle, les mots rares ; le suspens est marqué par la disparition des bagages des deux voyageurs (p 182)… On le voit, ce roman ne manque pas d’intérêt. Le voyage en Angleterre se terminera par la visite de Londres…
Les gravures d’époque donnent un charme suranné à l’ensemble de l’édition de ce roman. La Grande-Bretagne apparaît comme un pays où les inégalités sociales règnent (et ce n’est pas un hasard si le capitalisme s’y est développé dans les conditions que l’on sait). On relève même un chapitre intitulé Les voyageurs de l’impériale (le XXXIII ème, pp 167-170 !) : il est vrai qu’Aragon n’a sans doute pas lu ce roman de Jules Verne puisque celui d’Aragon fut écrit en 1938-1939 et qu’il fut terminé à l’ambassade du Chili. Mais les éléments des Voyages extraordinaires sont étrangement absents de ce Voyage à reculons en Angleterre et en Ecosse : Jules Verne se cherchait encore !
Jules Verne, Voyage à reculons en Angleterre et en Ecosse. Le Cherche-Midi éditeur, 256 pages, 17 euros. Postface de Christian Robin de l’Université de Nantes).