
Dans sa préface à la traduction française de Les guerres de Staline de Geoffrey Roberts (Delga 2014), l’historienne Annie Lacroix-Riz écrit : « C’est en ce début du XXIe siècle faire beaucoup pour la science historique que de résister à la marée antisoviétique qui a recouvert le champ de la « soviétologue » internationale et submergé la française. L’historien irlandais aura notablement contribué à donner satisfaction posthume à la revendication d’histoire honnête de l’URSS émise en 1964 par Alexander Werth ».
Cette remarque peut totalement s’appliquer à cette nouvelle traduction d’un autre livre du même Geoffrey Roberts La Bibliothèque de Staline.
Geoffrey Roberts est professeur émérite d’histoire à l’University College Cork et membre de la Royal Irish Academy. Expert reconnu de l’histoire soviétique, il a publié de nombreux ouvrages, dont une biographie primée de Joukov.
La Bibliothèque de Staline est une biographie qui ne dit pas son nom dont l’originalité réside en ceci que Roberts la construit autour ou à travers la collection de livre de Staline, ses diverses bibliothèques dans ses résidences et lieux de travail ses lectures et les annotations, en russe, « « pomietki », qu’il rédigeait dans les marges des pages.
Des années de Séminaires en Géorgie, dans la clandestinité ou en prison, avant la Révolution, jusqu’à sa mort dans la bibliothèque de sa datcha de Kountsëvo, près de l’actuel Parc de la Victoire, à l’ouest du Kremlin, Staline a lu. On dit qu’il lisait 300 pages par jour et, qu’à sa mort, sa collection atteignait 25 000 livres et brochures.
Portrait intellectuel, le livre de Roberts n’est évidemment ni une hagiographie ni un acte d’accusation. En historien méticuleux, Roberts aborde la vie de Staline comme le grand Marc Bloch (1886-1944), co-fondateur de l’Ecole des Annales, recommandait à tout historien de le faire : « Robespierristes, antirobespierristes, nous vous crions grâce : par pitié dites-nous simplement, quel fut Robespierre » (« Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien », 1941, publié en 1949).
Pour classer ses livres, Joseph Vissarionovitch eut recours à la bibliothécaire de Lénine, Chouchanika Manucharyants, qui travaillait à l’Institut de Marx, Engels et Lénine (IMEL).Il lui demanda de classer les ouvrages non par auteur mais par sujet. Cela donc aurait pu donner des indications sur ses centres d’intérêts. En fait, si, sans surprise, on retrouve dans diverses catégories les noms de Marx, Engels, Lénine, il y a de tout dans cette bibliothèque : la philosophie, la psychologie, la sociologie, l’économie politique, l’histoire, la diplomatie, la fiction et la critique d’art, l’histoire et à la politique, bien sûr.
On dit « La » bibliothèque de Staline, il conviendrait de dire « Les ». Staline travaillait au Kremlin et y avait ses appartements donc une partie de ses livres. Il disposait près de Moscou d’une datcha. D’abord à Zoubovo, à l’époque à une trentaine de kilomètre du Kremlin mais à partir de 1932 et le suicide de sa femme, Nadia Allilouïeva, il ne voulut plus y retourner. En 1934, on lui fit construire, à Kountsevo, une nouvelle datcha, plus proche du Kremlin, qu’on baptisa « blijnia datcha » (la datcha proche). Elle existe toujours, dans un petit bois non loin du parc de la Victoire, mais, aujourd’hui le quartier est carrément dans Moscou alors qu’à l’époque ce n’était pas le cas.
Staline passa pratiquement toute la guerre à Kountsevo ainsi que ses dernières années. Il y disposait d’une grande pièce pour sa bibliothèque et de dépendances où était rangée sa collection de livres. C’est là que dans la nuit du 28 février au 1er mars 1953, il fut frappé d’une attaque cérébrale dont il mourut le 5 mars.
« Mais, comme Walter Benjamin l’a observé dans un célèbre essai sur le déballage de sa propre bibliothèque, ce ne sont pas les livres qui prennent vie en étant collectionnés, c’est le collectionneur. Parmi les vestiges de sa bibliothèque, sur les pages et dans les marges de ses livres survivants, Staline a survécu », conclut Geoffrey Roberts.
« La Bibliothèque de Staline : Un despote et ses livre »s. Geoffrey Roberts
Traduction Grégoire Ladrange. Omblage Editions 2024