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Un noir nuage s’est levé…
Par Thierry Renard

Apprenez que je ne suis pas le défenseur du peuple ; je suis du peuple, je n’ai jamais été que cela ; je méprise quiconque a la prétention de vouloir être quelque chose de plus. Robespierre .

Il y a des soirs où je désespère, un peu, du genre humain. Et, pourtant, ceux qui me connaissent le savent bien, je suis plutôt un optimiste convaincu. L’ami, même, de ce fameux genre humain. Mais nous traversons, je m’en rends compte chaque jour davantage, une période assez critique, où chacun reste replié sur son nombril, où l’individualisme et le sectarisme dépassent toutes les bornes. Pour les uns, la question de la reconnaissance demeure vive et sans réponse. Pour les autres, c’est la question du pouvoir (de l’autorité !) qui s’impose. Nous vivons, également, des temps d’extrême confusion et de compétition égoïste. Un politologue de nos amis, Philippe Dujardin, pense tout simplement que nous changeons de temps, que nous sortons d’un temps qui a fait son temps. Cela ouvre des perspectives, certes, mais, et j’en conviens volontiers, cela n’est guère rassurant.

Mais venons-en au fait. Les poètes, comme tous les autres artistes, souhaitent atteindre le public. Il n’y a, là, rien de très choquant. Quand on s’exprime, c’est d’abord pour les autres. Et l’on aimerait, ne mentons pas, que les autres puissent toujours être plus nombreux, et surtout plus fidèles, aux rendez-vous que nous leur fixons. On ne crée ni pour soi-même ni pour quelques interlocuteurs privilégiés. Tout cela pour dire que je ne sais pas quelle mouche vient de piquer Emmanuel Ponsart, le directeur du centre international de poésie Marseille. En effet, dans la Lettre d’information Hors série du cipM, datée du 24 mars 2010, il s’en prend à l’équipe du Printemps des poètes et, plus particulièrement, à son directeur artistique, le poète Jean-Pierre Siméon — qui, je l’avoue, est aussi l’un de nos amis. Il s’en prend, pareillement, à la manifestation elle-même, qu’il trouve ridicule. Et il reproche au Printemps des poètes de s’être autoproclamé Centre national de ressources pour la poésie. Où est le problème ? Le parcours effectué, depuis plusieurs années, par l’équipe du Printemps et son directeur, a fini par porter ses fruits. C’est un travail de longue haleine, de mise en réseaux, de mutualisation, de coordination et de promotion, qui s’adresse à tous, petits et grands, et qui, à mon sens, ne renvoie aucunement dans l’ombre les actions menées par de nombreuses structures qui œuvrent depuis longtemps pour la poésie — bien au contraire, même. L’union fait la force, on le sait bien… Et ce sont les divisions qui entraînent les plus vilaines défaites. Oui, le Printemps des poètes tient son rôle, celui d’un véritable centre de ressources pour les poètes et pour la poésie.

Alors, pourquoi tant de haine ? Querelle de chapelles, guerre des clans… Mais il n’y a plus d’écoles ! Et les courants sont tous, aujourd’hui, forcément dépassés. Nous changeons de temps ! Adaptons-nous ou, mieux, allons de l’avant. Soyons, à la fois, solitaires et solidaires, selon la belle formule d’Albert Camus. Pour ma part, en matière de création poétique, et paraphrasant le jeune Saint-Just, je ne suis d’aucune faction, je les combattrai toutes. La Fédération européenne des Maisons de Poésie (dont l’idée fut lancée par Jean-Pierre Siméon lui-même) aura été polluée, ces temps derniers, par l’affaire de la vaine polémique entre le Festival de Lodève et celui, encore à naître, de Sète. Mais il y a de la place pour tous, non… J’ose encore naïvement croire que ce n’est pas la multiplication de l’offre qui contrarie, ou empêche, la demande. Il s’agit, même, sans aucun doute du contraire. Et, comme le prétend une autre de nos fréquentations, Michel Le Bris, ce qui ne grandit pas finit, tout bonnement, par mourir… Soyons ambitieux pour la poésie, souhaitons-lui l’impossible. Et ne faisons pas semblant de penser, comme n’importe quel imbécile ou n’importe quel poète aigri, qu’elle n’occupe une réelle place dans notre société qu’une quinzaine de jours par an. Ce que provoque avant tout, chaque année au mois de mars, l’association nationale du Printemps des poètes, c’est un déclic. Un immense déclic, dans tout le pays et ailleurs. Un souffle porté par des vents tantôt contraires et tantôt complémentaires.

Emmanuel Ponsart, dans sa lettre d’information, se prononce fermement « contre la poétisation du printemps & pour des centres nationaux de poésie ». Concernant sa première proposition, je la trouve étrange ; chaque saison mérite d’emblée qu’on s’y attarde, et est tout naturellement faite pour une bonne brassée des langues et des mots. Quant à la seconde, là, oui ! C’est tellement nécessaire. Nous sommes, nous aussi, pour la création ou l’implantation de centres de poésie — locaux, régionaux, nationaux ou internationaux — un peu partout sur la planète. Il fallait même commencer par ça. Du positif, de l’audace et de l’imagination, voilà ce dont nous avons le plus besoin. Et nous manquons également, le plus souvent, cruellement d’humour. C’est, hélas, ce qui toujours nous rassemble, nous, les poètes français, petits, si petits… Et parfois jaloux, et parfois mesquins… Et soudain je songe à cette affirmation nette d’Alain Jouffroy : « La propagande de la poésie par les poètes est mal faite, car ils se donnent toujours raison contre les autres. »

La vieille dispute entre formalistes et lyriques n’a plus aucune raison d’être, elle n’est plus d’actualité. Oubliée, donc, la discussion qui oppose Anciens et Modernes. D’ailleurs, qui sont les anciens, et qui sont les modernes ? Totalement dépassés, également, les démêlés entre branchés et débranchés, entre professionnels et amateurs, entre riches et pauvres… Entre, pourrait-on ajouter, connectés et déconnectés (nous sommes à l’ère du numérique !). Aujourd’hui, ce qui compte au fond, c’est ce petit bruit que font les mots lorsqu’ils traversent notre tête ou qu’ils entrent dans notre chambre d’échos.

L’incident est clos.

P.S. Cette année, j’ai encore pu m’impliquer, coup sur coup, dans l’édition lyonnaise du Printemps des poètes (qui a rencontré un large succès populaire) et dans la 23e Semaine de la poésie de Clermont-Ferrand — intervenue auprès de 73 établissements scolaires, de la maternelle à l’université. D’ailleurs, la manifestation clermontoise fut aussi inventée, naguère, par Jean-Pierre Siméon.

Nuit du 25 au 26 mars 2010, à Vénissieux.

Thierry Renard
Directeur de l’Espace Pandora à Vénissieux
Président de la Semaine de la poésie de Clermont-Ferrand
Responsable littéraire des éditions La passe du vent

La lettre d’Emmanuel Ponsart, Directeur du Centre international de poésie Marseille. Lettre d’information Hors série, du 24 mars 2010

Contre la poétisation du printemps & Pour des centres nationaux de poésie
1. Du vol des oiseaux et des petites fleurs s’ouvrant le matin
Un mail émanant du Printemps des poètes nous informe, après coup, de la tenue (le 9 février dernier) de sa conférence de presse annuelle et dans un bel encadré rouge nous invite à « voir la vidéo ».

À la fin de cette courte vidéo retraçant les grands moments de cette conférence de presse, on peut entendre un extrait de la lecture que Laurent Terzieff a faite à cette occasion. Le voici :

« Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin... »

Le choix de cet extrait, sur lequel le Printemps des poètes, tout à sa joie, n’a rien eu à nous dire, est particulièrement affligeant et donne de la poésie une image déplorable (le vol des oiseaux et les petites fleurs s’ouvrant le matin...) dans laquelle bien peu de poètes aujourd’hui pourraient se reconnaître.

Malheureusement la suite de ce texte n’est pas donnée, qu’il aurait été singulièrement préférable de citer ainsi que son auteur ; les voici :

« ...Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre)… »

Rainer Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge

2. Un faux « Centre national de ressources pour la poésie »

Depuis quelques temps ce Printemps des poètes s’est autoproclamé Centre national de ressources pour la poésie via ses brochures diverses, ses documents téléchargeables, sa communication, son site internet.

Cette autoproclamation arrive quelques années après une demande officielle faite par le Printemps des poètes au Centre national du livre et à la Direction du livre du Ministère de la Culture afin d’être reconnu et désigné comme Centre National de Poésie – ce qui, à juste titre, ne lui fut pas accordé.

Au delà de la cuistrerie de cette autoproclamation, il y a quelque chose de choquant dans cette affaire, qui ressemble à une tentative d’exercer une sorte de « direction nationale » sur la poésie.
Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des poètes, écrit « Ce Centre national de ressources pour la poésie est avant tout l’outil qui manquait sans doute pour favoriser et promouvoir l’action aujourd’hui multiple en faveur de la poésie ». Nous y voyons plutôt une volonté de renvoyer dans l’ombre les actions menées par de nombreuses structures qui œuvrent depuis longtemps pour la poésie.

Citons notamment :

• Le défrichage essentiel effectué par la maison du livre et des mots de Villeneuve-lès-Avignon dans les années 70 et 80 du dernier siècle ;

• Le travail en faveur de la lecture publique effectué de 1977 à 1990 (et les mille pages de son bulletin) par Emmanuel Hocquard à l’ARC ;

• Le travail effectué par Rémi Hourcade et Jean-Pierre Boyer au centre littéraire de l’abbaye de Royaumont, ses collections de livres associant poètes et plasticiens, ses séminaires de traduction, sa participation à la constitution d’un réseau européen de centres de traduction de poésie ;

• Les 191 semaines (1975-1979) d’émissions radiophoniques sur France Culture, animées par Claude Royet-Journoud, de lecture par les auteurs eux-mêmes : Poésie ininterrompue, où chaque semaine, un auteur était invité et pouvait être entendu quatre fois par jour, ces interventions se terminant par un long entretien ;

• Le rendez-vous essentiel existant depuis plus de vingt ans : le marché de la poésie ;

• Le festival Polyphonix ;

• Les lectures “à haute voix” organisées au musée de Toulon ;

• L’existence de la maison de la poésie de Paris ;

• Les Rencontres internationales de poésie, qui ont organisé pendant dix ans les festivals de Cogolin puis de Tarascon ;

• Le travail d’Henri Deluy puis de Jean-Pierre Balpe avec la Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, ses livres et anthologies ;

• L’émergence de nouveaux lieux et événements réguliers depuis une dizaine d’années, oeuvrant pour la diffusion de la poésie, tels que la maison de la poésie de Nantes, le centre européen de poésie d’Avignon, Le Triangle à Rennes, le Festival de Lodève (aujourd’hui déplacé à Sète), lesMaisons de la poésie en Limousin, de St-Quentin en Yvelines, les lectures au Musée Zadkine, le festival Ritournelle à Bordeaux, et tant d’autres...

• Les sites internet remue.net, sitaudis, poezibao, ubuweb...

• Le travail effectué par des centaines de revues, de petites maisons d’édition, de libraires, de bibliothécaires, de musées pour faire vivre et promouvoir la poésie et la littérature contemporaines ;

• Le cipM, qui dispose :
d’une bibliothèque en libre accès de plus de 40 000 documents, d’un site internet notamment riche de près de 1000 fiches auteur, d’extraits sonores..., d’une publication, la revue CCP, qui depuis dix ans propose chaque semestre un panorama critique complet sur la poésie (plus de 200 livres de poésie critiqués dans chaque numéro)…

Non, le Printemps des poètes n’a aucune légitimité à s’autoproclamer Centre national de ressources pour la poésie !

3. Au delà du printemps

Pourquoi le Printemps des poètes éprouve-t-il le besoin de s’autoproclamer Centre national ressources de pour la poésie, sans aval du Ministère de la Culture, sans même en informer l’association à laquelle il participe – la Fédération européenne des Maisons de Poésie –, sans même essayer de lancer un débat sur la question ?

Ne semble-t-il pas incompatible qu’une structure associative privée puisse devenir une espèce de sous-branche « poétique » du Centre national du livre ?

N’est-il pas souhaitable de proposer au Ministère de la Culture et au Centre national du livre un plan de soutien et de développement à la poésie, via la création dans chaque région, ou d’un centre (ou maison) de poésie, avec des missions sensiblement identiques à celles du cipM (soit : lectures et événements, expositions, résidences d’auteurs, bibliothèque spécialisée, édition, formation, interventions en milieu scolaire…), ou à défaut par la création de sections « poésie et littérature contemporaine » dans quelques bibliothèques ou médiathèques, comme il existe des sections « jeunesse », « bandes dessinées », etc., avec un personnel formé, un budget d’acquisition et d’intervention ? Un tel plan d’aide à la création et à la diffusion de la poésie, semblerait plus efficace que la création d’un Centre National de Poésie...

Et si Centre National de Poésie il devait y avoir, ne s’agirait-il pas de s’inspirer du modèle, non du Centre national du livre – qui fait, à travers sa Commission poésie, son travail en toute indépendance –, mais bien plutôt de celui des centres dramatiques nationaux, des centres chorégraphiques nationaux, etc. Ce qui impliquerait une pluralité et une diversité de ces centres, dotés de moyens, et animés de véritables projets pour la défense de la poésie notamment contemporaine.

Les structures et les projets ne manquent pas. La plupart savent échapper aux opérations de promotion et de marketing qui sont la marque saisonnière du Printemps des poètes.

Oui, Couleur femme est une thématique particulièrement absurde (voir la réaction de Nicole Caligaris sur le site Internet sitaudis), comme toute thématique quand on parle sérieusement de poésie.

Oui, les opérations organisées, comme celles qui le sont avec la SNCF ou proposées dans le répertoire d’actions du Printemps des poètes, sont éminemment ridicules et insultantes.

Oui, il est possible de travailleur autrement pour la poésie contemporaine, dans le respect du public et des auteurs.

Emmanuel Ponsart, directeur du cipM


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