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Un monde sans travail : comment les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle reconfigurent le marché du travail
Récension de Julie Löwen

Daniel Susskind, ancien conseiller au cabinet du premier ministre britannique a publié en 2020 un ouvrage intitulé « A world without work » consacré à l’impact probable des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle (IA) sur le marché du travail. Sa traduction en français vient de paraître en ce début 2023. Il s’ajoute à la liste des essais questionnant les conséquences des évolutions technologiques sur l’emploi et le travail.

La première partie de ce livre est consacrée à l’analyse du contexte actuel et à la façon dont l’IA et la robotique transforment la nature du travail, les machines assurant de plus en plus de tâches humaines. Elle revient notamment sur l’hypothèse des chercheurs du MIT dite « ALM » (Autor-Levy-Murmane), en s’appuyant sur une analyse des tâches selon leur potentiel d’automatisation estimé selon leur nature plus ou moins routinière. Selon cette hypothèse, les emplois dont les tâches sont les plus routinières sont les plus susceptibles de disparaître. Il s’agirait pour l’essentiel d’emplois moyennement qualifiés, faisant appel à des processus faciles à décrire. Les emplois les plus et les moins qualifiés se verraient davantage préservés, les uns du fait des compétences complexes qu’ils requièrent, les autres du fait de compétences sociales difficiles à reproduire par les machines. Cette théorie s’est vue en partie confirmée lors de la pandémie, qui a rendu le recours à l’automatisation à la fois nécessaire et plus acceptable sans pour autant permettre de remplacer sur le terrain tous les emplois de première ligne. Mais Susskind, contrairement aux hypothèses postérieures qui sont venues contredire celle du MIT (on peut citer notamment celle de l’OCDE), juge cette analyse plutôt optimiste car elle part du principe que comme pour les révolutions technologiques précédentes, les nouvelles technologies viendront davantage compléter le travail humain que s’y substituer.

Pour sa part Susskind prédit, et explicite dans la deuxième partie de son livre, que l’automatisation ne fera que s’accélérer du fait du développement d’une intelligence artificielle capable d’exécuter de plus en plus de tâches y compris cognitives et sociales. C’est ce nouveau saut technologique qui devrait conduire inéluctablement à un monde où le travail humain n’est plus nécessaire dans la grande majorité des secteurs de l’économie. Cependant les changements à l’œuvre ne devraient pas conduire à un effondrement brutal de la demande de main d’œuvre, mais plutôt à une raréfaction progressive, aboutissant à sa disparition d’ici à une centaine d’année.
Enfin, Susskind aborde les défis et les risques potentiels liés à l’avènement de ce monde sans travail, et plus particulièrement celui d’une polarisation sociale et d’une perte de lien entre les individus dans une société où le travail n’est plus un facteur unificateur. L’analyse de Susskind rejoint ici celle de Martin Ford dans son ouvrage « Rule of the robots » paru en 2021 [1]. Celui-ci alertait également sur les conséquences à venir de l’IA sur l’emploi, qui, de la même façon que la mécanisation a entraîné une destruction de l’emploi agricole au XIXe siècle, devrait engendrer une crise majeure dans les années à venir. Ceci interviendrait notamment du fait que le secteur des services, qui représente désormais le principal pourvoyeur d’emplois, devrait être touché en premier lieu, sans qu’un secteur alternatif soit en mesure d’absorber la masse de chômeurs qui en découlera.

Cependant, cette évolution n’est pas considérée par Susskind comme une menace inéluctable, mais plutôt comme une possible opportunité pour l’humanité de se libérer du travail et de poursuivre des intérêts plus créatifs et enrichissants. Pour cela, il invite les gouvernements à mettre en place des programmes de reconversion dans des domaines où l’IA ne peut pas remplacer l’humain, tels que les arts, les soins de santé, l’éducation et les services sociaux. Il préconise enfin l’instauration d’un « big State » qui sur la base d’une réforme fiscale, assurerait une redistribution des revenus équitables. L’automatisation généralisée pourrait in fine conduire à une société post-capitaliste dans laquelle les biens et les services sont distribués de manière plus juste, à la condition que les gouvernements mettent en place un revenu universel pour compenser la perte de revenus des travailleurs remplacés par l’IA. Mais contrairement à Martin Ford, qui préconise l’établissement d’un revenu universel sans condition, Susskind propose que ce revenu universel soit conditionné à la participation de chacun à la vie de la communauté.

Il est bon de rappeler que le débat sur la fin du travail n’est pas tranché, et que les scénarios possibles restent multiples. Juan Sebastian Carbonell, dans son ouvrage « le futur du travail » paru en 2022 [2] s’attachait pour sa part à déconstruire cette théorie de la fin du travail comme une idée reçue. Cependant, le fait que les nouvelles technologies risquent d’agir comme un facteur aggravant des inégalités économiques et sociales semble largement partagé par la plupart des auteurs. Et c’est sans doute ce qui constitue le phénomène le plus urgent à anticiper et tenter de prévenir, tant d’un point de vue économique et social que du fait des conséquences que ces bouleversements pourraient avoir sur la démocratie.

Un monde sans travail : Comment les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle reconfigurent le marché du travail – Susskind, D., Flamarion, 2023

Notes :

[1Rule of the Robots : How Artificial Intelligence Will Transform Everything - Martin Ford, Basic Books, 2021

[2Le futur du travail – Juan Sebastian Carbonell, Editions Amsterdam


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