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Un article du Monde évoque des mérites oubliés de Mikhaïl Kalachnikov

Avant d’être blessé dans les combats pour stopper la Wermacht devant Moscou, Mikhail Kalachnikov avait mis au point un système pour améliorer le tir des chars qui valut les félicitations de Gueorgui Joukov. Peu de journalistes l’ont relevé. N’est-ce pas parce que le rôle de l’URSS dans la défaite des nazis est devenu tabou ? Eric Le Lann

L’article de Marie Jégo paru dans Le Monde

Mikhaïl Kalachnikov, le père du fusil d’assaut du même nom, est mort lundi 23 décembre à l’âge de 94 ans dans sa ville d’Ijevsk, dans l’Oural. Révéré en Russie, connu dans le monde entier, l’inventeur vivait dans un modeste appartement, au 3e étage d’une HLM de la ville d’Ijevsk en Oudmourtie, à 1 300 kilomètres à l’Est de Moscou. En octobre 2012, au moment de la sortie de la kalachnikov dernière version, l’Etat russe fit installer un ascenseur dans l’immeuble et lui rendit hommage en dépêchant chez lui le vice-premier ministre Dmitri Rogozine.

Véritable légende vivante, fervent patriote, l’homme qui conçut la kalachnikov n’a jamais touché un centime sur la vente d’une centaine de millions de fusils d’assaut à son nom. La Russie n’a jamais fait valoir son droit à la propriété intellectuelle. Mais le vieil homme aux cheveux blancs n’en avait cure. Il était tout simplement fier de son invention, un fusil « simple, fait pour un soldat non diplômé », résumait-il. Il eut parfois quelques petits regrets, déplorant notamment que la kalachnikov soit devenue « l’arme préférée des terroristes ».

Bon pied, bon œil malgré son âge, il continuait à se rendre au musée du centre-ville portant son nom, accueillant à l’occasion les prestigieux hôtes de passage, tel le président vénézuélien Hugo Chavez, qui visita Ijevsk, ses usines d’armement, et son musée en 2006. Comme c’est le cas pour la plupart des gens de sa génération, la vie de Mikhaïl Kalachnikov se lit comme un roman d’aventures.

Né le 10 novembre 1919 dans le village de Kouria, au cœur de la région sauvage de l’Altaï, au sud-est de la Russie, le petit garçon voit le jour dans une fratrie de dix-huit enfants. Timothée, son père, est un « koulak », l’un de ces agriculteurs aisés que Staline veut soumettre.

En 1930, il est déporté avec toute sa famille vers la rude taïga sibérienne, à Nijnaïa Makhovaïa, dans la région de Tomsk. L’époque est terrible. Pour punir la classe paysanne, perçue par les bolcheviques comme rétrograde et hostile aux idéaux révolutionnaires, Staline lance en 1929 la collectivisation des terres. Les paysans doivent rendre à l’Etat champs et bétail. Ils sont regroupés de force au sein des kolkhozes, ces fermes collectives inefficaces, par la suite à l’origine du déclin agricole de l’URSS.

L’heure est à la malnutrition, les conditions sanitaires sont épouvantables. Au cours de la déportation, le couple perd dix enfants, morts d’épuisement ou de maladie. Huit survivent, dont le petit « Micha ». Pourtant sa santé est fragile. En 1925, alors que la guerre civile fait rage et que la nourriture manque, le petit garçon, âgé de 6 ans, manque de perdre la vie. Terrassé par une forte fièvre, il sombre dans un coma profond, on le croit mort.

IL PASSE SON TEMPS À DÉMONTER OUTILS ET MÉCANISMES

Alors que chacun vaque aux préparatifs de la veillée mortuaire, quelqu’un a l’idée de chatouiller la narine du "défunt" avec un duvet d’oie. Le petit garçon réagit faiblement, il est vivant. On le soigne, il renaît à la vie. Dans le grenier de l’isba parentale, il passe son temps à monter et démonter outils et mécanismes. Selon la légende qui court aujourd’hui, à 13 ans, il s’amuse à bricoler un pistolet Browning, reçu en cadeau. Cette image d’Epinal semble néanmoins fantaisiste. Dans l’URSS de 1932, où plane l’ombre du tsar rouge Staline, il est peu vraisemblable que les armes courent les rues.

La vie du kolkhoze à Nijnaïa Makhovaïa, faite de rebuffades, de cancans et d’ivrognerie, n’est pas pour lui. A deux reprises, il fuit le village, bien décidé à voir du pays. A l’âge de 18 ans, il trouve du travail en tant que comptable dans un dépôt ferroviaire à Mataï, au Kazakhstan. Le jeune homme est attiré par l’aventure et par la mécanique. Il comprend très vite que ses perspectives de carrière seront décuplées s’il adhère au Komsomol (jeunesses communistes) puis au Parti communiste de l’URSS.

En 1938, le petit paysan sibérien est envoyé faire son service militaire dans un régiment de blindés déployé dans la région de Kiev (Ukraine). Il manifeste alors ses premiers émois pour les armes. A ses heures perdues, voilà qu’il met au point un système pour améliorer le tir des chars. Son talent lui vaut alors les félicitations du commandant de la région militaire de Kiev, Gueorgui Joukov, futur maréchal de l’URSS.

BLESSÉ SUR LE FRONT DE BRIANSK

L’agression nazie contre l’URSS, le 21 juin 1941, va mettre un frein à sa carrière. Nommé commandant d’un régiment de blindés, il est blessé sur le front de Briansk et doit être évacué. A l’hôpital où il est soigné, il passe son temps à dessiner pistolets et fusils.

Commence alors la mise au point de ce qui deviendra en 1947 l’AK-47, produit en série à l’usine Ijmach d’Ijevsk. Mikhaïl sera aidé par un adjoint hors pair, l’ingénieur allemand Hugo Schmeisser. Concepteur du fusil allemand Sturmgewehr 44 ou MP-43, ce dernier est fait prisonnier par l’armée soviétique en Allemagne, puis envoyé à Ijevsk pour travailler au bureau de construction de Ijmach, sous la direction de Mikhaïl Kalachnikov.

De cette histoire, le musée de la ville ne dit pas un mot, mais les habitants d’Ijevsk la murmurent, de bouche à oreille. C’est au bureau de construction d’Ijmach que Mikhaïl fait la connaissance de sa femme, Ekaterina Viktorovna, avec laquelle il aura quatre enfants, un garçon et trois filles.

ADMIRATION POUR STALINE

Membre éminent du Parti communiste, député du Soviet suprême (Parlement) de l’URSS pendant trente ans, Mikhaïl ne cachait pas son admiration pour Staline. « Quand j’étais député au Soviet suprême, j’ai vu avec quelle attention Iossif Vissarionovitch [le prénom et le patronyme de Staline] écoutait les intervenants à la tribune. Il faisait son entrée une fois que tous étaient assis. Les gens se tenaient à carreau […], ils étaient mobilisés par la discipline. Après la mort de Staline, les ministres ont commencé à chuchoter pendant les réunions, à se faire passer des petits bouts de papier […]  », racontera-t-il en 2005 au quotidien ukrainien en ligne Obozrevatel.

En revanche, il n’appréciait guère Boris Eltsine, le premier président de la Russie postsoviétique qui commit la bourde de lui envoyer en cadeau un pistolet Makarov de mauvaise facture, qui semblait « avoir été utilisé précédemment ». « Je n’ai jamais fait copain-copain avec nos dirigeants, conclut-il, ils étaient bien trop loin de moi. »

Article de Marie Jégo, paru dans Le Monde du 23 décembre 2013


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