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Sylvie Koechlin : "25 ans de sculpture".
Par Lucien Wasselin


On peut le regretter : un artiste (peintre ou sculpteur) n’atteint la notoriété que lorsqu’une monographie ou une étude de son œuvre est publiée. Les choses se compliquent quand on sait que le marché de l’art intervient sur ce créneau : un livre est une bonne incitation à acheter. Mais voilà, avec Sylvie Koechlin, un livre est simplement une pierre qui borne le chemin suivi. Ces 25 ans de sculpture sont une bonne occasion de faire le point sur l’itinéraire d’une artiste atypique qui a choisi des chemins de traverse n’ayant rien à voir avec l’art à la mode qui utilise résine (les figurines manga de Takashi Murakami), tampons hygiéniques (Joana Vasconcelos), ballons gonflables (Jeff Koons) et autres matériaux vulgaires comme si le marbre et le bronze étaient définitivement condamnés. Sylvie Koechlin n’a pas suivi la facilité : elle s’affronte physiquement à la pierre, au marbre, ignorant l’air du temps, privilégiant la taille directe. Il est vrai qu’elle n’a jamais collaboré avec un maroquinier de luxe, qu’elle n’a jamais été courtier en matières premières à Wall Street : c’est seulement (et c’est beaucoup) quelqu’un qui maîtrise un métier, un geste. Faut-il le rappeler, le mot sculpture vient du latin sculpere qui signifie "enlever des morceaux à une pierre". Si cette technique fut utilisée en priorité dans l’Antiquité, au Moyen-Âge…, le XXème siècle privilégia d’autres techniques comme le ready-made qui se déclina ensuite en divers concepts comme l’accumulation ou l’assemblage…

L’ouvrage regroupe de nombreuses photographies de sculptures de Sylvie Koechlin en quatre chapitres aux titres éloquents : La mer, L’Odyssée, Éros et Thanatos et L’éclat des faces. Deux approches sont ainsi privilégiées : une thématique et la dernière plus formelle car elle peut s’entendre dans les deux sens du mot face (visages ou faces du matériau fini). Mais les deux approches ne sont pas contradictoires. Six textes scandent ce livre d’images, dûs à des professionnels de l’art (sculpteur, critiques, conservatrice, historienne…). Que retenir de tout cela ? Tout d’abord ces mots de Noël Coret dans la préface : "… la main de Sylvie Koechlin est une main ouvrière, obéissante, en osmose totale avec un imaginaire bouillonnant…" Une main qui crée, faut-il l’ajouter, des œuvres pérennes à l’opposé du virtuel ou de l’éphémère qui ont cours aujourd’hui. Le travail de Sylvie Koechlin éveille l’imagination, sollicite le regard de l’amateur tout en mettant en valeur les veines du minéral, le grain de la pierre, la surface polie qui réfléchit la lumière. Est-ce un effet de l’installation de son atelier à Boulogne-sur-Mer il y a quelques années, mais elle utilise souvent des matériaux locaux comme le marbre du boulonnais, celui de Marquise-Rinxent ou d’Hydrequent, mais surtout elle crée des formes élémentaires qui rappellent la vie marine : l’étoile de mer, le poisson, l’hippocampe (on a alors l’impression d’un spatialisme en trois dimensions). Mais Sylvie Koechlin sait aussi représenter le corps humain et là il faut remarquer qu’elle juxtapose les deux faces du métier de la pierre : le brut et le poli. C’est net avec une sculpture intitulée Octopussy dont la base laisse apparaître les traces de l’outil tandis que le haut est poli mettant en valeur les veines du marbre. On retrouve la même dualité formelle dans un couple, Les amours titanides. La quatrième partie, L’Éclat des faces, montre en particulier des réalisations en marbre noir de Namur qui font apparaître des reflets lumineux colorés tandis que Mémoire (en sélénite, une variété très pure de gypse aussi appelée pierre de lune) met en évidence le veinage aux teintes variées de la roche : on pense alors à Pierre Székely et sa sculpture La Larme (1980, marbre rose de Hongrie) où une veine de la pierre simulait à merveille une larme coulant le long du corps de la femme représentée… Riche travail d’artisan, au sens noble du terme, qui sait tirer parti de la matière.

Le hasard veut que j’écrive ces lignes quelques jours après avoir lu Les Petites notes d’amertume de Marie-Josée Christien ; m’avaient alors frappé ces lignes : "L’art actuel fonctionne en circuit fermé, sans pensée sur le monde. Il n’est plus fondé que sur un discours sur lui-même et l’opportunisme qui élève le scandale au rang d’œuvre". On peut faire confiance aux spécialistes du marketing de l’art pour trouver une pensée sur le monde dans la production des praticiens cités en introduction ! Mais il faut dire que Sylvie Koechlin se situe aux antipodes de ce qui est stigmatisé par Marie-Josée Christien. Sylvie Koechlin pratique un art ouvert, qui se confronte au réel tout en réinventant la beauté dans ses formes nouvelles. On aurait tort de croire qu’elle est une artiste du passé. Elle ne néglige pas les matériaux modernes comme l’inox ainsi que le montrent son Trophée du Prix d’Amérique 2009 qui allie le marbre noir de Namur et l’inox et ses sculptures de personnages célèbres du cinéma où l’inox symbolisant la pellicule vient compléter le bronze utilisé pour le corps humain. Cette utilisation de l’inox (assez discrète au demeurant) n’est pas sans rappeler l’utilisation de ce matériau par Michel Poix à partir de la fin des années soixante-dix. De même la souplesse qu’elle donne ainsi à voir n’est pas sans faire penser aux personnages du Cirque de Calder, réalisés en fil de fer… On le voit avec ce livre, Syvie Koechlin sculpte pour aujourd’hui et pour demain…

Article paru dans le n° 57 de Faites Entrer L’Infini de juin 2014.

Le Livre d’Art éditeur ; 96 pages (grand format) : 33 €.
(sur commande chez l’éditeur [33 € + 4,50 € de port] : Le Livre d’Art, 113 bd Richard Lenoir. 75011 PARIS).


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