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Plaidoyer pour l’athéisme
Yvon Quiniou

Il me paraît indispensable aujourd’hui de revenir à l’athéisme et de le revaloriser pleinement comme je viens de le faire dans un livre qui va paraître incessamment, La condition de l’homme athée. Car d’une part nous connaissons un recul du phénomène religieux dans le monde, même s’il est inégal selon les pays et les cultures (voir la montée de l’Islam), mais qui est clair en France avec la récession du catholicisme dans sa pratique et ses dogmes : cela rend disponible pour un examen objectif de l’incroyance. Mais surtout cela rend indispensable de le valoriser contre l’opprobre dont il a été victime pendant des siècles du fait de la domination de la religion sur les esprits et la société, y compris chez un penseur comme Locke qui, dans sa Lettre sur la tolérance, en excluait vivement … l’athéisme précisément ! Or la disparition de cette opprobre va nous permette de mettre en évidence sa dignité intellectuelle et morale, contre les intolérables défauts que les religions ont présentées, théoriquement et pratiquement.

Encore faut-il définir cette notion car elle est double et est associée à un matérialisme philosophique, lui-même double et ce en en donnant quelques illustrations chez de grands penseurs contemporains. Il y a donc deux athéisme : l’un, privatif, se contente de ne pas affirmer l’existence d’un Dieu sans nier dogmatiquement ou absolument sa possibilité ; il est a-thée (avec un tiret), sans Dieu mais non contre Dieu, ayant conscience qu’on ne peut démontrer son inexistence, comme son existence, bien entendu. C’est, si l’on veut une forme d’agnosticisme, sauf qu’il est la plupart du temps (pas toujours) associé à un matérialisme que j’appelle immanent et fondé majoritairement sur la science : s’en tenant au monde tel que l’homme en a l’expérience directe ou scientifique. Darwin à l’appui, il affirme qu’il y a une nature objective hors de l’homme et dont l’homme est une partie puisqu’il en est un produit, il ne se prononce pas sur les limites ultimes, ontologiques ou métaphysiques, si l’on veut, de cette nature : est elle infinie et incréée ou finie et créé ? il s’abstient de le dire d’une manière certaine. Ce fut le cas de ce même Darwin, refusant de se prononcer sur « le mystère ultime des choses », d’un Wittgenstein qui tout en reconnaissant que le monde est intelligible grâce à la science et affirmant qu’« il n’y a pas d’énigme dans le monde », affirme pourtant qu’« il y a une énigme du monde ». Mais le meilleur exemple de cet athéisme privatif me semble être fourni par le philosophe Marcel Conche (un livre réunissant des ouvrages de lui et composé par moi vient de paraître chez Rober Laffont). Même s’il ne dit pas « matérialiste », acceptant la réalité de l’esprit humain et la liberté de l’homme, il est un naturaliste intégral (ce qui est une forme de matérialisme) et un athée résolu : il n’y a qu’une Nature (avec une majuscule) dont l’homme fait partie, ce qui le voue à la mort, il la déclare infinie et éternelle, incréée donc, sans Dieu à son origine et sans finalité spéciale. On pourrait croire alors que nous ne sommes plus dans un athéisme immanent mais bien transcendant, sauf qu’il lui donne lucidement un statut original : il en est totalement convaincu subjectivement mais il insiste sur le fait qu’il ne peut en apporter la moindre preuve objective et qu’il se situe donc dans une option métaphysique « indécidable » (c’est son terme) dans l’absolu, laquelle lui permet de rester dans une forme d’immanence modeste et de dialoguer avec autrui, pratiquant alors ce qu’il appelle un « scepticisme à l’égard d’autrui ». Franchement, a-t-on vu une religion, avec ses dogmes, pratiquer une pareille modestie rigoureuse permettant le respect de l’autre, dans le passé et jusqu’à aujourd’hui ? Se souvient-t-on des guerres de religions liées à leur dogmatisme sectaire souvent meurtrier… alors qu’il n’y a pas de guerres d’athées en tant qu’athées !

L’autre athéisme est plus affirmatif et il se prononce sur la matérialité absolue du monde et de l’homme, sans vraie réticence : le monde est matière et l’homme en est une forme particulière. Son matérialisme sans Dieu est donc totalement assumé et c’est pourquoi on est bien dans un athéisme et un matérialisme transcendants. Et il a été fortement présent, en dehors des matérialistes antiques comme Démocrite ou Epicure, au 18ème siècle et surtout au 19ème, spécialement dans la tradition issue de Marx (précédé par Feuerbach), mais aussi chez Nietzsche en un sens et, plus tard, chez Freud à sa manière. Or on doit lui reconnaître des qualités qui, à nouveau l’opposent aux défauts ou aux carence incontestables des religions dans leur état d’esprit, leurs croyances et leur rôle politique au service des puissants, malgré des aspects généreux, parfois, de leurs valeurs. D’abord, alors que la religion, chrétienne en particulier, génère une crainte existentielle qui lui permet d’alimenter le recours à Dieu comme secours ultime – « Misère de l’homme sans Dieu » disait Pascal – , le matérialisme ici se vit dans la sérénité, une forme de quiétude centrée au surplus sur l’apologie de la vie, bien loin des multiples interdits religieux qui la mutilent dans sa dimension corporelle de plaisir, y compris dans le registre de la sexualité : point de « pêché de chair » ici ! Ensuite, il y a une supériorité incontestable de la conception matérialiste qui lui est liée : en tant que telle elles est fondée sur la science dont les développements les plus récents, après Darwin donc, ne cessent de confirmer la vérité, hors de toute croyance irrationnelle : le conflit de la raison et de la foi se résout ici sans conteste en faveur de la raison (scientifique) et son incroyance. Or on doit rappeler, malheureusement, à quel point les religions se sont opposées aux sciences et à leurs progrès sur tous les plans, de l’héliocentrisme de Galilée à la théorie de l’évolution jusqu’aux acquis des sciences humaines comme ceux de la psychanalyse ! Enfin, cet athéisme matérialiste est associé à un humanisme théorique et pratique qu’on ne trouve pas, pour l’essentiel, dans les religions, l’homme devenant « l’être suprême pour l’homme ». Une place est faite, sans problème à la morale dans sa dimension universaliste et la théorie du second Darwin, celui de La filiation de l’homme, éclairée par P. Tort, lui assure une base réelle effective dans le cadre de l’évolution des espèces : elle y émerge, dans toute sa spécificité, avec l’homme et les progrès de l’histoire. Et tout autant, cette morale (présente chez Marx quoiqu’il en ait dit) ne se conçoit pas sans un prolongement pratique impératif, dans un projet politique anti-capitaliste au service des intérêts de tous les hommes : c’est le socialisme ou le communisme, comme on voudra et Gramsci aura bien mis en avant cette dimension politique normative, en l’occurrence humaniste, en militant, sur une base matérialiste et historique, pour produire un « sens commun de masse », fondamentalement progressiste que l’éducation doit susciter. On est ici à l’opposé de l’appui que les religions ont donné et continent de donner aux pires régimes réactionnaires, quitte même à les inspirer comme en Pologne aujourd’hui.

Or cette dimension progressiste a été clairement présente chez des athées célèbres du 20ème siècle. C’est le cas de Richard Dawkins, auteur de Pour en finir avec Dieu, ou de Bertrand Russell, dont il faut préciser d’abord que, quoique résolument athées, eux aussi ne le sont pas à 100/100 mais à 99/100, laissant ainsi ouverte, fût-ce à un degré infime, la possibilité de Dieu et se contentant d’affirmer que l’athéisme est « préférable » ou que l’existence de ce même Dieu est fortement « improbable » (Dawkins), ou encore que « je ne suis pas à même de démontrer que Dieu n’existe pas » (Russell). Mais le plus important, c’est qu’ils échappent à l’accusation d’immoralisme dont est victime l’athéisme : même si c’est avec des nuances de vocabulaire (le vocable d’« éthique » est parfois préféré à celui de « morale »), ils sont partisans d’un humanisme pratique fort, à nouveau. C’est ainsi que Russell est connu, en dehors de son œuvre de rationaliste intransigeant et rigoureux, pour s’être engagé très tôt en faveur d’un socialisme démocratique opposé au stalinisme et, surtout, pour une morale hostile radicalement à la guerre lorsqu’il a fondé le « Tribunal Russell » contre la guerre du Vietnam, soutenu, entre autres, par J.-P. Sartre, autre athée ! Et il a prolongé ou actualisé cet engagement humaniste en théorisant l’importance de l’éducation comme vecteur de la formation morale des hommes, tout cela en mettant aussi en avant l’accès à l’autonomie individuelle et le refus des interdits religieux hostiles à la vie.

Je m’arrête là, mais on pourrait citer bien d’autres figures immensément positives de l’athéisme tel que je le valorise (Sartre, donc, Camus, etc.). Terminons par une dernière citation, de Russell à nouveau, qui montre à quel point l’athéisme peut nous faire vivre une vie individuelle et relationnelle apaisée, tranquille, hors de l’ombre douloureuse d’un Dieu fantasmatique : « Il n’y a pas de secret – il n’y a pas d’énigme. Il y a la science et la sombre lueur du jour et la besogne de chaque journée – le reste n’est que fantômes du crépuscule »..

A paraître tout prochainement : La condition de l’homme athée (Le Temps des Cerises).


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