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Nucléaire : projet de loi Nome (Nouvelle organisation du marché de l’éléctricité)
Entretien avec Jean-Claude Lenoir, député UMP, et Frédéric Imbrecht, secrétaire-général de la CGT-énergie

Frédéric Imbrecht, responsable de la fédération CGT de l’Energie et Jean-Claude Lenoir, député UMP ont accepté pour l’Humanité Dimanche de confronter leurs points de vue sur la libéralisation du marché de l’électricité et particulièrement sur le projet de loi sur la Nouvelle Organisation du marché de l’électricité.

Pourquoi cette loi, puisque la Commission européenne ne semble pas demandeuse ?

Jean-Claude Lenoir. Depuis 2000, les parlementaires ont été amenés à légiférer à plusieurs reprises sur l’organisation du marché de l’électricité. La première grande loi est celle du 10 février 2000 qui a ouvert le marché pour les gros consommateurs. En 2004, c’est l’ouverture du segment intermédiaire et enfin en 2006 la généralisation de l’ouverture à la concurrence pour l’ensemble des consommateurs. Depuis le 1er juillet 2007, chacun peut ainsi choisir son fournisseur. Les lois ont aussi consacré la séparation juridique et comptable entre les fonctions de production, de transport et de distribution. Elles ont permis de préserver les tarifs réglementés et nous y avons veillé. Les prix sont aujourd’hui à un niveau plus intéressant pour le consommateur français que ceux que connaissent les consommateurs européens. Mais d’ajustement en ajustement, les textes législatifs se sont empilés.
Après la censure du Conseil constitutionnel de la loi de 2006, il a fallu ainsi revenir sur la question des tarifs. Il a fallu aussi prolonger certains dispositifs transitoires, dont le TARTAM (tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché), le « tarif de retour » pour les entreprises. Au final ce ne sont pas moins de six, voire sept lois qui ont été adoptées. On peut parler de rustines législatives. Certes, le marché est aujourd’hui ouvert, mais son organisation est confuse. C’est un cadre qui n’est pas satisfaisant, ni pour les producteurs ni pour les fournisseurs. De surcroît, nous devons faire face à deux contentieux avec Bruxelles. L’un, en particulier, concerne les aides d’État. Il est particulièrement délicat et nous place dans une situation périlleuse. Il pourrait en effet aboutir demain à une décision de la Commission européenne obligeant les entreprises, donc au final le consommateur, à rembourser ces aides. Nous avons donc besoin d’une loi de clarification et qui simplifie le dispositif. Une loi qui offre une meilleure visibilité sur les tarifs aux consommateurs, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises. Dans le même temps, les fournisseurs et les producteurs doivent aussi bénéficier d’une meilleure visibilité sur leurs recettes alors que se profilent d’importants investissements dans l’appareil de production, de transport et de distribution. Cette loi ne peut être réduite à une réponse à une demande européenne. Elle est une façon de clarifier le paysage dans lequel les uns et les autres vont évoluer.

Frédéric Imbrecht. J’observe avec satisfaction que Jean-Claude Lenoir reconnaît que la Commission européenne n’est pas demandeuse de cette loi, même si elle éprouve des regrets devant le fait que la concurrence ne fonctionne pas en France dans le marché de l’électricité. Entre la loi de nationalisation du 8 avril 1946 et 2000, aucune loi n’a été promulguée. Et depuis 2000, six lois ont été adoptées. Tant est si bien qu’aujourd’hui, les conditions institutionnelles pour que se développe la concurrence existent. La France est l’un des pays européen où le secteur est, du point de vue du cadre juridique, le plus ouvert. Et pourtant, la concurrence ne se développe pas. Il y a une seule raison à cela : la « faiblesse » des prix de l’électricité. Les tarifs réglementés sont trop bas pour que les fournisseurs d’électricité concurrents d’EDF puissent gagner des parts de marché et faire de la marge. Le PDG du groupe allemand Eon regrettait d’ailleurs la semaine dernière dans la presse que « contrairement à ce qui se passe en Allemagne, le prix de l’électricité en France ne s’orientait pas vers le cours du marché ». C’est cela la réalité Monsieur Lenoir !
Est ce que l’on considère que le prix de l’électricité doit être soumis dorénavant au marché ou est ce que l’on continue à poursuivre une politique qui a fait ses preuves en particulier en matière d’indépendance énergétique ?
On n’a pas de pétrole mais on a eu des idées. Il y a eu des gouvernements, et en particulier ceux du général De Gaulle et de Georges Pompidou, qui ont fait le choix d’une politique énergétique ambitieuse pour l’intérêt général avec des investissements de long terme en particulier avec le développement de la filière nucléaire et hydraulique. Et c’est au moment où la France commence à toucher les dividendes de ces choix effectués il y a plusieurs décennies que ce gouvernement propose de créer de toutes pièces un système qui, pour développer la concurrence, va organiser grâce à une loi la hausse des tarifs ! Voilà un domaine où la France est de loin la plus compétitive en Europe et nous allons nous mettre une charge dans le pied ?

Pourquoi la CGT a-t-elle qualifié cette loi de « hold-up » ?

F. I. Dans la lettre que le premier ministre, François Fillon, a adressée à la commissaire européenne à la concurrence, Nelly Kroes, pour lui décrire son projet de loi, il reconnaît que « la France a la chance d’avoir un parc nucléaire dont la gestion a été confiée à EDF ». C’est surnaturel. À lire monsieur Fillon, on a le sentiment que la France a découvert dans son jardin un parc nucléaire comme d’autres découvrent dans leur sous-sol du pétrole. Le premier ministre fait comme si l’existence d’une filière nucléaire performante en France n’était pas le fait de choix politiques. Si nous parlons de « hold-up », c’est parce que le parc nucléaire n’appartient pas au gouvernement ou à l’État. Il a été financé non pas par l’État mais par la facture d’électricité dont se sont acquittés les usagers en France. Le parc nucléaire appartient à EDF et c’est EDF qui appartient à la France. Le livrer aux concurrents d’EDF, comme le propose la loi Nome, est donc un hold-up d’État.

J.C. L. Le projet de loi Nome comporte deux aspects. L’un concerne les tarifs réglementés, j’y reviendrai. Le second porte sur l’organisation du marché. Le Traité de Rome, en 1957, a décidé la mise en place progressive d’un marché unique européen qui vise aussi bien les marchandises que les services. L’ouverture à la concurrence de l’électricité découle de ce traité. La première directive date de la fin des années 1990 négociée par le gouvernement d’Alain Juppé. Mais la première loi date de 2000. Je fais d’ailleurs remarquer qu’elle a été adoptée à l’initiative d’un gouvernement de gauche. Pourquoi construire et organiser un marché ?

Pour améliorer l’offre faite au consommateur, pour assurer une meilleure transparence, pour inciter à l’investissement. Une bonne offre, ce n’est pas uniquement le prix, c’est aussi la qualité du produit et la qualité du service. Mais s’il a été décidé d’ouvrir les marchés de l’électricité, c’est aussi pour permettre à des entreprises comme EDF de se développer à l’international. Aujourd’hui, la moitié du chiffre d’affaires d’EDF est réalisée à l’international. Il n’aurait pas pu atteindre le niveau qu’il connaît aujourd’hui sans cette croissance à l’étranger. Ce n’est pas le marché national, qui reste stable et même connaît une légère régression, qui aurait pu permettre cette progression. Cette croissance du chiffre d’affaires est nécessaire aussi bien pour maintenir des prix intéressants que pour préserver le périmètre du Groupe et donc ses effectifs. N’importe quelle entreprise, et EDF n’échappe pas à la règle, a besoin de faire croître son chiffre d’affaires afin de développer sa capacité d’auto financement et assurer ses investissements. Mais si on veut qu’EDF puisse investir à l’étranger, alors il faut accepter qu’en retour des concurrents étrangers puissent se développer en France.
Concernant les tarifs, nous avons veillé avec mes collègues de l’Assemblée nationale qu’ils demeurent acceptables pour les consommateurs, que ce soient les ménages ou les entreprises. Je rappelle ainsi qu’après la loi de 2000, les prix du marché étaient en dessous des tarifs réglementés. Certaines entreprises ont donc opté pour le marché mais la situation s’est ensuite inversée. Et le Parlement a rapidement adopté des dispositions pour permettre aux industriels de revenir à un tarif réglementé, en créant le Tartam dont je suis à l’origine.

Mais comment réagissez-vous quand la CGT qualifie de hold-up le fait que le gouvernement propose avec cette loi que 25 % du parc nucléaire soit mis à la disposition des concurrents d’EDF ?

F. I. J’insiste. Le cadre juridique autorise la concurrence. Aucun obstacle de cette nature n’empêche le consommateur de se fournir chez Poweo ou Direct Energy. Ce qui empêche son développement, c’est le coût de l’électricité. L’existence d’un parc nucléaire aboutit à des coûts trop bas pour que la concurrence ne se développe. Le coût du kiloWatt/heure domestique est de 20,9 centimes d’euros en Allemagne alors qu’il n’est que de 11,5 centimes en France. La concurrence est censée, par émulation, faire baisser les prix. Or, dans les faits, ce que propose la loi Nome c’est augmenter les prix pour développer la concurrence. La loi Nome c’est comme si un gouvernement, libéral de surcroît, légiférait pour obliger le groupe Peugeot à céder à prix coûtant 25 % de sa production au groupe Renault au prétexte que celui-ci n’est pas compétitif. Cela paraît aberrant et c’est pourtant ce qui est en train de se passer dans le secteur de l’électricité où le gouvernement s’apprête à livrer 25 % de la production d’EDF à ses concurrents.

J.C. L. Je ne suis évidemment pas d’accord avec ce que vous dites. D’abord, l’objet de la loi Nome n’est pas d’augmenter les prix pour développer la concurrence. D’autre part, le mot « hold up » que vous employez, suggère que l’on pique dans la poche de l’un pour donner à l’autre. Évidemment, il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de permettre aux fournisseurs alternatifs de bénéficier d’une électricité produite par l’opérateur historique. Mais pas à n’importe quelle condition ! Ce droit sera très strictement encadré, puisque l’électricité acquise sera strictement proportionnée à la consommation des clients du fournisseur, et puisque le système sera limité dans le temps et plafonné en volume. Le Parlement a déjà prévu une clause qui conditionnerait le droit à l’électricité, pour un fournisseur, au fait qu’il crée des investissements en France. De plus, il n’est pas question que cela se fasse à un prix qui ne reflète pas les coûts supportés par le producteur. La question importante est donc de savoir quel doit être le prix de l’électricité. Il doit intégrer l’ensemble des composantes comme l’allongement de la durée de vie des centrales, leur démantèlement ou le retraitement des déchets. À partir du moment où le régulateur - dans un premier temps le gouvernement et dans cinq ans la commission de régulation de l’énergie, comme le prévoit le projet de loi - garantit à l’entreprise un prix qui reflète la réalité de ses coûts, on ne peut pas parler de holdup.

F. I. Monsieur Lenoir, êtes-vous d’accord avec moi sur le fait que du point de vue juridique, le marché est ouvert ?

J.-C. L. Oui… Il l’est sur le papier.

F. I. Alors pourquoi la concurrence ne fonctionne-t-elle pas ? Si ce n’est à cause de l’existence du parc nucléaire et hydraulique qui génère des prix trop bas pour qu’elle se développe.

J.C. L. Au début des années 2000, les prix du marché étaient plus bas que les tarifs. Les consommateurs sont donc allés sur le marché. Quand la situation s’est inversée, ils sont revenus pour beaucoup à des tarifs réglementés. Pourquoi en effet continuer à payer plus cher son électricité ? Cette expérience a figé les choses et, depuis 2003, les consommateurs demeurent, il est vrai, fidèles aux tarifs réglementés. Cela dit, je réaffirme que, pour croître, une entreprise a besoin de se développer à l’international. Or, il ne peut y avoir de prise de part de marché à l’étranger pour EDF si notre marché national reste fermé à la concurrence.

N’est ce pas tout de même un mauvais signal envoyé aux dirigeants d’EDF ? Pourquoi continueraient-ils à investir dans des moyens de production si demain ce sont leurs concurrents qui en tireront bénéfice ?

J.C. L. Il n’est pas juste de dire cela. Encore une fois, il ne s’agit pas d’obliger EDF à mettre à disposition sa production mais de lui permettre de la vendre à un prix qui corresponde à ses coûts. Le régulateur veillera à ce que EDF ait une marge.

F. I. Mais une marge pour faire quoi ? En France, le prix de l’électricité a aussi un sens politique. Bon gré mal gré, la population a accepté le développement du nucléaire. Il est donc normal qu’elle en tire avantage notamment en termes de prix. Le projet de loi Nome est un choix idéologique. Pour EDF, les contraintes et les charges de service public comme l’entretien des réseaux, la charge de veiller à l’équilibre production consommation, les obligations de rachat de l’éolien et les différentes taxes. Pour ses concurrents, les bénéfices. Karl Marx a décrit cela comme du capitalisme monopoliste d’État. Cela date, mais vous y revenez.

J.C. L. L’avantage dont disposent les consommateurs n’est pas menacé. C’est un avantage de compétitivité. Cet avantage persistera et le prix de l’électricité restera en dessous du prix payé par les consommateurs des autres pays européens. D’abord, il s’agit bien, pour l’essentiel de la facture, d’un dispositif régulé. Quant au coût d’entretien des réseaux, il est faux de dire qu’ils ne seront pas supportés par les concurrents d’EDF. Les réseaux sont gérés par deux entreprises publiques (RTE et ERDF) et les coûts de transport et de distribution sont intégrés dans le prix final de l’électricité, de la même façon pour tous les fournisseurs. De même, tous les consommateurs, quel que soit leur fournisseur, continueront de s’acquitter de la contribution énergie (la CSPE) qui couvre notamment les obligations de rachat des énergies renouvelables.

Êtes-vous favorable à ce qu’un groupe privé comme GDF-Suez devienne propriétaire et exploitant d’une centrale nucléaire ?

J.C. L. Deux questions se posent. Celle de l’investissement privé dans des centrales et celle de l’exploitation de ces centrales. En ce qui concerne l’investissement, pourquoi pas ? Les besoins en capitaux sont importants. Concernant l’exploitation, je pense que c’est à l’opérateur historique, dont l’État est le principal actionnaire, qu’elle doit être confiée.

F. I. Je partage l’idée qu’il puisse y avoir des co-investissements assortis de droit de tirage. Cela dit et y compris pour des raisons de sécurité, l’exploitation doit être confiée à un opérateur public et unique. C’est-à-dire à EDF. Cela fait partie du compromis historique autour du nucléaire civil dans notre pays.

Entretien réalisé par Pierre-Henri Lab (phlab@humanite.fr) publié dans L’Humanité-Dimanche du 21 mars 2010


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