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Moi, Caravage
Par Jacques Barbarin

C’est là le titre d’une pièce que je vous invite à découvrir. Le Caravage est né en 1570 et mort en 1610. Son œuvre puissante et novatrice révolutionna la peinture du XVIIème siècle par son caractère naturaliste, son réalisme parfois brutal, son érotisme troublant et son emploi de la technique du clair-obscur qui influença nombre de grands peintres après lui.

Il mena une vie riche en scandales provoqués par son caractère violent et bagarreur — allant jusqu’à tuer lors d’une querelle —, par sa fréquentation habituelle des bas-fonds et des tavernes, ainsi que par sa sexualité scandaleuse pour l’époque, ce qui lui attira de nombreux ennuis avec la justice, l’Église et le pouvoir. Il fallut attendre le début du XXème pour que son génie soit pleinement reconnu, indépendamment de sa réputation sulfureuse.

On pourrait presque dire que va vie est comme son art : en clair-obscur. Cesare Capitani – l’auteur de « Moi, Caravage » - va s’intéresser à ce peintre comme « objet » de dramaturgie. Il trouve une « matière scripturale » avec le livre de Dominique Fernandez, « La course à l’abime » où l’auteur retrace le parcours hors norme de ce peintre génial, aussi habile du pinceau que prompt à dégainer son épée.

« Moi, Caravage », c’est bien le peintre qui parle. Et là où cette œuvre est forte c’est que jamais elle ne tente la mélo dramatisation. La présence humaine s’intensifie par la stylisation, la simplification des décors et de l’espace : tout cela est dû à la très sûre mise en scène de Stanislas Grassian.

Caravage se confesse et revit sous les yeux du spectateur toute son existence : l’enfance dans le petit bourg lombard, l’approche de la peinture, les premiers ennuis avec la justice, la fuite à Rome... Là, le jeune Michelangelo, avec quelques tableaux d’une puissance et d’un érotisme jamais vus, révolutionne la peinture et connaît la gloire : les princes le courtisent, les cardinaux le protègent. Mais voilà : il est de caractère violent et asocial. C’est un rebelle : il refuse tout compromis, toute facilité que lui assurerait son talent.

Son mode de vie est une provocation constante, ses œuvres un affront perpétuel à la morale : il aime les femmes et les hommes, il prend comme modèles des prostituées et des voyous, il est toujours prêt à sortir son épée… Au fond, Caravage est à la peinture ce qu’un Villon est à la littérature : comme pour Caravage, il y a du clair obscur et dans l’oeuvre et dans la vie de Villon.

Il y a sur scène, outre Cesare Capitani – qui joue un Caravage tout en frémissement de révolte – une autre présence, un personnage splendide, Laetitia Favart, comédienne et mezzo soprano. Elle est l’écho de l’univers du Caravage. Elle chante des fragments d’airs contemporains du peintre, elle est aussi un petit personnage, intime du peintre, cherchant à le protéger et de la cruauté du monde qui l’entoure et peut-être de lui-même. Comédienne et personnage ont une forte présence, une immédiateté.

Il y a un magicien : Bernard Martinelli, qui crée les lumières du spectacle. Il les sculpte en même temps que d’un rai de lumière et d’un contre-rai il envahit l’univers pictural du peintre. Il illumine la présence des corps. Sur scène les comédiens travaillent avec des « objets producteurs de lumière » : une bougie, une lanterne… La création de Bernard Martinelli nous fait saisir qu’en art, il y a eu en avant et un après Caravage.

Moi, Caravage nous fait également toucher du doigt – et ce n’est pas peu rien – les rapports entre art et pouvoir, questionnement qui se pose à toute époque, que le pouvoir soit d’essence politique, religieuse ou d’argent. Les rapports qui existent entre l’art, l’argent et le pouvoir sont anciens. Parce que gouverner ce n’est pas que choisir ou prévoir, c’est aussi éblouir, tous les pouvoirs ont toujours su apporter un soutien intéressé à l’art qui est également une source de richesse. Art, argent et pouvoir sont liés de longue date sans que l’ont sache vraiment qui entraîne qui. Cette relation d‘amour est conflictuelle et passionnée, et c’est ce qui la rend pérenne. Peut-être Le Caravage est-il de ceux qui ont voulu subvertir de l’intérieur l’art officiel, peut-être y a t-il laissé sa vie.

Le Théâtre du Lucernaire avait déjà accueilli cette œuvre forte qui se fit largement remarquer aux éditions 2010 et 2011 du festival off d’Avignon. Si vous ne l’avez pas vu, ne loupez pas la reprise.

Moi, Caravage du 10 janvier au 7 mars 2012 Théâtre du Lucernaire 53 Rue Notre Dame des Champs 75006 Paris 01 45 44 57 34 _ http://www.lucernaire.fr


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