Voici plus de cinquante ans maintenant, le pouvoir gaulliste décidait d’honorer la mémoire de la Résistance en transférant les cendres de Jean Moulin au Panthéon. Le parti communiste organisait de son côté une cérémonie à Argenteuil en l’honneur de Gabriel Péri à qui Paris refusait un monument. D’un côté, les gaullistes honoraient le premier chef du Conseil national de la Résistance à travers la figure de haut fonctionnaire de l’administration préfectorale. De l’autre, les communistes saluaient la mémoire de l’ancien responsable de la rubrique internationale de l’Humanité, député d’Argenteuil, vice-président de la commission des affaires étrangères, qui avait dénoncé la trahison de Munich, ce « Sedan diplomatique », « une des pages les plus honteuses de notre histoire ». L’unité de la Résistance était niée. D’une certaine façon, le boulevard périphérique matérialisait cette séparation : les beaux quartiers pour l’un, la banlieue pour l’autre.
Force est de constater que la Panthéon reste hermétique aux composantes les plus populaires de la Résistance. Le triptyque « Liberté – Egalité – Fraternité » a encore été bafoué.
Liberté. Une nouvelle fois, les ouvriers sont exclus de la Nation. Point de Jean-Pierre Timbaud, métallurgiste, militant communiste, syndicaliste CGT, fusillé comme otage à Châteaubriant le 22 octobre 1941. Point de François Le Bihan non plus, électricien, militant communiste, syndicaliste CGT, mort en déportation le 19 septembre 1942 à Auschwitz.
Egalité. Comme trop souvent, le pouvoir masculin éprouve quelques difficultés à distinguer une femme seule. Geneviève de Gaulle – Antonioz et Germaine Tillion ont besoin d’être accompagnée pour entrer au Panthéon. Quelque chose me dit qu’il va falloir encore attendre longtemps pour qu’une femme comme Martha Desrumeaux entre seule au Panthéon.
Fraternité. Les portes du Panthéon continuent d’être fermées aux étrangers « et nos frères pourtant ». Seule Marie Skłodowska-Curie – naturalisée française à la suite de son mariage – y est inhumée. Tout porte à croire qu’un combattant comme Missak Manouchian, tourneur chez Citroën après avoir travaillé un temps aux chantiers navals de La Seyne, poète et communiste, n’est pas prêt de recevoir l’hommage qu’il mérite.
Au-delà de la sensibilité communiste, la « panthéonisation » exclue de nombreux citoyens - ouvrier, paysan - qui ont pris part au combat contre le fascisme et le nazisme, et parfois bien avant septembre 1939.
Alexandre Courban est histoirien et consultant en projet culturel à caractère historique.