Le dossier très riche et passionnant de ce n°49, préparé par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, est consacré à la poésie brésilienne des modernistes à nos jours.
En introduction, Christophe Dauphin rend compte de sa rencontre avec Dilma Rousseff lors de sa participation à la Fête de l’Humanité en septembre 2019, une occasion pour faire le point sur la situation désastreuse dans laquelle se trouve le Brésil, situation qui s’est encore dégradée depuis, sous les effets accentués et cumulés des errances et des malversations de Bolsonaro.
Christophe Dauphin poursuit en nous parlant du travail remarquable du photographe Sebastião Salgado et de son engagement pour l’Amazonie.
Si la poésie brésilienne, depuis le 16ème siècle, « s’est d’abord construite en partant de l’imitation de l’Europe et en particulier du Portugal, berceau de sa langue d’adoption », disent Philippe Monneveux et Oleg Almeida, avec des influences diverses, religieuses, néo-classiques, romantiques avec Lord Byron ou engagées avec Victor Hugo, elle connaîtra une véritable rupture au début du 20ème siècle pour établir ses identités propres :
« … le modernisme brésilien représente, en revendiquant ses racines nationales et populaires, une coupure brutale d’avec les mouvements poétique santérieurs. Historiquement, il est fondé par les poètes Mário de Andrade, Oswald de Andrade, et Paulo Menotti del Picchia et les peintres Anita Malfatti et Tarsila do Amaral. (…)
Le modernisme brésilien encourage un retour aux structures élémentaires de la sensibilité brésilienne, ambition qui peut se résumer par le concept d’ »anthropophagie ». L’objectif des modernistes brésiliens est en effet de « déglutir » des formes importées pour produire quelque chose de véritablement national. Ils revendiquent par ailleurs une expression des émotions personnelles, qui se traduit dans les thèmes, la syntaxe et le vocabulaire, ainsi que dans un style conversationnel valorisant le ton prosaïque et la bonne humeur. »
C’est en 1922, à São Paulo, que ce mouvement se fit connaître lors de Semaine d’Art Moderne, festival de littérature, musique et arts plastiques, organisé pour fêter le premier siècle de l’indépendance du Brésil.
Ce sera la crise de 1929, le coup d’Etat de 1930 et les pertes de liberté à partir de 1935 sous l’ère totalitaire Vargas, qui donnera naissance à la poésie postmoderniste.
« La poésie post moderniste abandonne la provocation et le narcissisme du modernisme, continuent Philippe Monneveux et Oleg Almeida, et s’inspire fortement du quotidien. Elle accorde une place majeure à l’utilisation du langage conversationnel et du vers libre, et subit l’influence du réalisme et du romantisme. »
La richesse, la complexité et les cultures très différentes qu’offre le très vaste territoire brésilien ont bien entendu permis de multiples expressions poétiques en marge des courants ou à l’intérieur de ces derniers. A partir de 1945, sous la dictature, ou dans une liberté retrouvée, les poètes n’ont eu de cesse de se renouveler et d’interroger leurs temps et leurs espaces. Des avant-gardes vont surgir, notamment avec la chute de la dictature en 1983, mais en réalité tout au long de la période post 1945. La « nouvelle poésie » de la fin du siècle dernier sera marquée par une pluralité grandissante, la recherche identitaire et la place croissante prise par les femmes ou les homosexuels. Les performances se multiplient pour offrir en ce début de millénaire une poésie très contrastée, allant de l’expérimental au retour à des formes anciennes.
Plus de trente poètes brésiliens, traduits en français par Oleg Almeida, sont présentés au lecteur : Manuel BANDEIRA, Oswald DE ANDRADE, Mario DE ANDRADE, Ronald DE CARVALHO, Murillo MENDES, Cecilia MEIRELES, Carlos DRUMMOND DE ANDRADE, Augusto Frederico SCHMIDT, Vinicius DE MORAES, Dante MILANO, Joao CABRAL DE MELO NETO, Lêdo IVO, Amadeu THIAGO DE MELLO, Decio PIGNATARI, Hilda HILST, Haroldo DE CAMPOS, Ferreira GULLAR, Augusto DE CAMPOS, Francisco ALVIM, Eunice ARRUDA, Paulo LEMINSKI, CHACAL, Ana Cristina CRUZ CESAR, Anderson BRAGA HORTA, Affonso ROMANO DE SANT’ANNA, Claudio WILLER, Ruy ESPINHEIRA FILHO, Antonio CICERO, Tanussi CARDOSO, Antonio CARLOS SECCHIN, Floriano MARTINS, Mirian DE CARVALHO, Antonio LISBOA CARVALHO DE MIRANDA, Periclès LUIZ MEDEIROS PRADE.
Poème de Cecília Meireles :
Je chante puisque l’instant existe,
puisque ma vie est complète.
Je ne suis ni joyeux ni triste :
je suis poète.
Frère du temps qui s’enfuit,
je vis sans plaisirs ni tourments.
Je traverse les jours et les nuits
au gré du vent.
Suis-je voué à partir
ou plutôt à rester ? Suis-je en train
de détruire ou bien de bâtir ?
Je n’en sais rien.
Je ne sais qu’une chose : en chantant,
je fais perdurer mon transport…
Et qu’une fois tu mon chant,
Je serai mort
Poème de Ferreira Gullar :
Mon peuple est mon abîme.
Là, je me perds :
sa détresse me laisse
aveugle et sourd.
Mon peuple est mon supplice,
ma tragédie :
s’il vit dans la misère,
c’est de ma faute.
Mon peuple est mon destin,
mon avenir :
s’il ne devient en moi
ni poison ni chanson,
je vais mourir.
Les Hommes sans Epaules n° 49. Les Hommes sans Epaules Editions, 8 rue Charles Moiroud, 95440 Ecouen.