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Le fétichisme du capital au prisme d’un chapitre inédit de Marx
Par Baptiste Eychart

Marx avait conscience que le Capital était son œuvre majeure, et ce dès qu’il s’attela à la rédaction de l’ouvrage. Cette conscience explique les remaniements successifs du projet, remaniements qui ont donné naissance à des manuscrits – comme les Grundrisse –, ou à des livres publiés – comme la Contribution à la critique de l’économie politique –, qui sont désormais lus comme des œuvres à part entière. Ce Chapitre VI du Capital appartient à l’avant-dernière version du livre, une version connue comme les Manuscrits de 1863- 1867, dont nous ne possédons que très peu de chose. Pour des raisons que nous ne pouvons que deviner, Marx n’a pas inclus ce chapitre dans la dernière version du Capital, se contentant d’en reprendre certaines idées à travers différents chapitres du livre. Toutefois la richesse des analyses de ce Chapitre VI consacré aux « résultats du procès de production immédiat » justifie la publication du chapitre en entier. Jusqu’à présent, il n’existait en français qu’une unique traduction complète de ce chapitre, traduction vieillie et à ce jour épuisée. Les Éditions sociales, dans le cadre du projet d’édition des œuvres de Marx et Engels – la Geme –, proposent enfin une édition satisfaisante de ce chapitre, notamment grâce à une excellente présentation et à un soin significatif quant au vocabulaire employé.

Le chapitre renferme des réflexions éparses mais importantes concernant divers sujets liés à l’exploitation de la classe ouvrière, notamment sur les risques d’une « irlandisation » d’un prolétariat contraint de vendre sa force de travail en dessous de la valeur nécessaire à sa simple reproduction. Un thème, toutefois, l’emporte sur les autres et concentre l’attention. En scrutant le processus de production dans le mode de production capitaliste, Marx constate qu’il est à la fois procès de travail réel – mobilisant la force de travail des travailleurs, leur savoir-faire et leur coopération, mais aussi des moyens de production – et procès de valorisation qui voit le capital s’accroître au cours du processus. Car, à un certain moment de son développement, le capitalisme ne s’est plus contenté de contrôler l’activité du travailleur en amont, par la fourniture de matières premières, ou en aval, par l’achat du produit fini, mais a élargi son contrôle à tous les moments du procès de travail, en organisant le travail d’usine et en achetant les moyens de production, voire en formant le travailleur. Le procès de travail réel se trouve ainsi dominé par le procès de valorisation dont il ne devient plus qu’un appendice. Cela implique des effets très concrets pour le travailleur, qui voit son travail contrôlé tant par le contremaître que par le chronomètre et le pointage, mais cela a aussi des conséquences plus générales.

Marx lit ce phénomène comme l’absorption par le capital – matérialisée par un ensemble de moyens de production – de la force de travail se dépensant dans l’activité productrice. Ainsi le travail mort – puisque les moyens de production ne chapitre inédit de Marx sont que du travail antérieur objectivé – absorbe-t-il le travail vivant et « le capitaliste [...] consomme la capacité de travail du travailleur, ou encore s’approprie le travail vivant comme sang vital du capital ». Cette absorption crée l’illusion que le capital est un mécanisme autosuffisant dont l’expansion ne tient qu’à des ressorts internes innés, alors qu’il doit en permanence extraire du travail non payé au prolétaire. Marx dégage ainsi les contours d’un « fétichisme du capital » dont l’analyse complète parfaitement le si fameux passage du Capital sur le fétichisme des marchandises. L’originalité des analyses présentées dans ce Chapitre VI rend sa lecture tout simplement indispensable aujourd’hui pour tous ceux qui se tournent vers Marx pour suivre l’évolution du monde en ce début du XXIe siècle.

Le Chapitre VI. Manuscrits 1863-1867. Le Capital Livre I,
Karl Marx. Traduction nouvelle et présentation de Gérard Cormillet, Laurent Prost et Lucien Sève. Éditions sociales, 286 pages, 2010, 12 euros.

Article paru dans Les lettres françaises n°82. Mai 2011


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