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Faut-il célébrer le centenaire de la Révolution d’octobre ?
Par Bernard Frederick

La question ne se pose pas pour ceux qui, depuis un siècle, l’ont combattu et la combattent encore : ils célébreront cet anniversaire à leur manière, c’est-à-dire en en dévoyant le sens, au moyen du mensonge, de la simplification, de l’extrapolation et de l’amalgame. Mais par-là, ils avoueront leur haine, bien actuelle, de ce qu’ils nomment, pourtant, un « avatar » de l’histoire. Nous les en remercions, car cela signifie que cette Révolution n’est pas terminée, qu’elle ébranle toujours le monde et qu’ils la craignent.

Ceux qui s’interrogent, en revanche, sont, pour beaucoup, ceux qui ont fait de l’étendard d’Octobre celui de leur engagement, parce que les bolcheviks relevaient celui de la Commune et reprenaient l’assaut du ciel. Ceux-là se demandent si célébrer 1917, ce n’est pas célébrer la collectivisation forcée, la terreur de 1937, les procès des années cinquante, Budapest, Prague, l’Afghanistan et, enfin, la chute de 1991.

C’est vrai : peut-on célébrer Octobre sans réfléchir à ce qui a suivi jusqu’à l’échec final ? Peut-on séparer la Révolution de 1917 de l’histoire de l’URSS ? Pour ce qui concerne cette dernière, le journaliste russe Valery Tretiakov, très connu dans son pays, a sa réponse :
« Le Parti bolchevik a délibérément engagé l’une des plus grandes expériences sociales et politique dans l’histoire de l’humanité. Il est sans doute impossible de citer un autre exemple, comparable par son échelle et sa nouveauté. Cette expérience a été poursuivie avec succès pendant près de trois quarts de siècle, et même si elle aboutit à la fin à un échec, elle ne peut être rayée de l’expérience historique de l’humanité ni dans sa partie négative, ni, plus important encore, dans son incarnation positive.

Les bolcheviks furent les premiers à tenter sur une telle échelle de réaliser l’une des grandes utopies de la civilisation humaine – la construction d’une société et d’un Etat sans classes et sans antagonismes de race, condition sociale, richesse et autres. Cela n’a pas pu être fait. Peut-être parce que qu’il est impossible de réaliser quelque utopie que ce soit, mais la tentative a eu lieu et son audace est sans précédent à l’échelle de l’histoire humaine, et comparable seulement à l’émergence et au développement des grands projets religieux, en particulier – le christianisme » [1].

Alors, qu’est-ce qu’on célèbre quand on célèbre la Révolution d’octobre ? Une page de l’histoire séculaire de la Russie ? Un moment de l’histoire du soviétisme ? Et pourquoi donc, l’Atlantide rouge disparue effrayerait – elle, aujourd’hui, le capitalisme sacré vainqueur de la guerre froide ?

Les Russes – les peuples de l’ex-URSS – ont leurs propres visions de leur histoire au XXe siècle. Ils les manifestent de façon contradictoire à l’occasion de ce centenaire au point que leurs dirigeants, à commencer par le président russe, Vladimir Poutine, se trouvent coincés entre l’importance colossale de l’événement et la crainte qu’il inspire pour la paix civile, notamment dans la Russie fragilisée par les pressions occidentales.

Mais si les Russes sont aux prises avec leur histoire, comme nous le fûmes quand François Furet – auteur du Livre noir du communisme - nous déniait le droit de célébrer le bicentenaire de 1789, nous sommes avec le centenaire de la Révolution d’octobre, nous, ici et maintenant, face à d’autres enjeux.

Qu’est-ce qu’Octobre pour nous, pour l’Europe, pour le monde ? Car la Révolution de 1917 a, d’emblée, été bien autre chose qu’une page de l’histoire de la Russie : une réponse à la revendication d’émancipation du prolétariat, en Europe et en Amérique du nord, des peuples dominés et colonisés en Asie, en Afrique, en Amérique latine. Nous faut-il nous interroger sur la nécessité, dans deux ans, de célébrer le centenaire du Parti communiste français ? L’octobre russe a puisement présidé à sa naissance comme à celle des autres partis communistes partout dans le monde ainsi que des mouvements d’émancipations nationaux. La Révolution russe, c’est aussi le premier congrès des peuples d’Orient, à Bakou en 1920.

Que ce centenaire soit l’occasion de se pencher, une fois de plus et peut-être autrement, sur l’histoire soviétique est une (bonne) chose. On voudrait croire que ceux qui se réclament du marxisme ou de « la pensée Marx », essayent, enfin, d’aborder l’histoire de l’URSS autrement qu’à travers la personnalité de ses dirigeants (La faute à Lénine ? Staline était-il dans Lénine ? Le ratage de khrouchtchev etc.) ou de débats purement idéologiques (l’URSS était-elle « communiste » ? « socialiste » ? etc.). Quels rapports sociaux entre 1917 et 1991 ? Quelles bases sociologiques aux différentes directions ? Quel développement des forces productives dans quels rapports de production ? etc, les questions ne manquent pas, les angles d’analyse non plus.

Que cet anniversaire serve de prétexte, comme dans plusieurs pays, de manifestations culturelles, d’ampleur, parfois, comme à Berlin, New-York, Amsterdam et Londres (mais pas à Paris), c’est tout à l’honneur de leurs organisateurs, notamment le Museum of Modern Art de New York et l’Académie royale des beaux-arts de Londres.

L’histoire est l’affaire d’historiens, de spécialistes de géopolitique ou d’autres disciplines, comme l’économie et la sociologie. Elle s’explore dans les archives, les témoignages, les conjonctures. Elle s’écrit dans des livres et se discute dans des colloques ou des débats publics.

Mais Octobre n’a pas qu’une dimension historique. C’est un évènement politique universel. Ontologique même. Pour la première fois, le prolétariat, allié aux paysans, s’emparait du pouvoir et ouvrait, à grande échelle, la possibilité de construire une société sans classe ; libérait des peuples assujettis ; faisait des femmes des citoyennes égales aux hommes ; proclamait priorités l’instruction et la culture ; décrétait la paix. Une énorme brèche était pratiquée dans la domination mondiale du capitalisme.

Voilà ce qu’il convient de célébrer quand on célèbre la Révolution d’octobre : l’URSS n’est plus, mais le capitalisme ne s’est toujours pas relevé du coup que lui a porté l’Octobre russe. A l’échelle de l’histoire de l’humanité, les tentatives d’émancipation de masse qui ont échoué sont nombreuses de Spartakus aux révolutions contemporaines. Ces expériences – y compris celle de l’URSS – servent à l’intelligence des luttes de classe et des conditions de celle-ci, ni à les imiter ni à les condamner.

« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé, écrivait Marx. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté » [2].

Dans ces conditions, si l’Octobre russe est un événement politique récurrent – ce que signifie bien la haine que lui porte les classes dominantes – c’est une célébration politique qu’il eut fallu imaginer et opposer à ceux qui voudraient en faire une parenthèse tragique strictement russe. Octobre reste et restera un enjeu politique ; un enjeu de classe.

« Que reste-t-il de l’Octobre russe ? », s’interroge Roger Martelli [3], qui répond, en substance, « tout et rien ». Le « tout », c’est ce tournant de l’histoire qu’elle ne peut prendre à l’envers en dépit de tout et du pire ; c’est l’espoir en la liberté et la justice sociale et la volonté de mettre le désordre dans le désordre du monde. Le « rien » renvoie à l’expérience étatique et à l’idéologie qui la supportait ; il n’est pas certain que les peuples de l’ex-URSS ne voient que du rien dans ce rien.

Post scriptum :
Le 20 heures de France 2 du 8 octobre rapportait que dans l’ex-RDA une maison spécialisée plaçait les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer dans un cadre rappelant la RDA – objets, scooter, portraits des dirigeants etc. – et qu’au vu de tout cela les malades retrouvaient leurs repères. Preuve par l’absurde d’un passé qui ne veut pas passer.

Notes :

[2Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte

[3Edition du croquant / Espace Marx, Paris mai 2017


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