Aujourd'hui, nous sommes le :
Page d'accueil » Faits et arguments » Politique » "Communiste ! Avec Marx"
Version imprimable de cet article Version imprimable
"Communiste ! Avec Marx"
Extraits du livre de Bernard Vasseur

Le livre Communiste ! Avec Marx du philosophe Bernard Vasseur reprend trois conférences données en juin 2019 à l’invitation de la Fédération de Seine-Saint-Denis du PCF. Nous publions ci-dessous la fin du premier chapitre. Dans ce chapitre Bernard Vasseur considère que si Marx et Engels sont des penseurs et des acteurs du communisme, ce qui s’est imposé pour désigner la société de l’avenir dans le mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle, c’est le socialisme. Au XXe siècle, l’histoire soviétique a également écrit la construction du socialisme au programme de la révolution d’octobre. Maintenue sous Lénine, la perspective du communisme s’est peu à peu estompée sous Staline, avant de disparaître ou de n’être maintenue que comme un idéal lointain et une tremblotante chimère à l’horizon. Le livre passe alors à l’examen du bilan du siècle. Ce sont ces pages que nous publions.

Le communisme n’est pas le socialisme

« Résumons à présent tout ce développement. Nous avons vu comment s’est mis en place un scénario qui n’est pas du tout celui que Marx avait envisagé. Et vous pouvez à présent imaginer comment, d’abord via l’Internationale socialiste, puis l’Internationale communiste, il deviendra celui de tous les partis communistes au XXe siècle. On peut le décrire ainsi :
A) Ce qui est à l’ordre du jour des luttes ouvrières, ce n’est pas le communisme, mais le socialisme.
B) Le socialisme se définit essentiellement par deux traits saillants : la conquête et l’exercice du pouvoir par la classe ouvrière et ses alliés ; la socialisation des grands moyens de production et d’échange (opérée par l’Etat conquis précisément pour cela).
C) Quant au communisme, ou bien il s’agit de la même chose que le socialisme (c’est au mieux un socialisme amélioré, « supérieur » et par exemple un socialisme qui aurait réussi à substituer l’abondance à la pénurie initiale en rendant possible la formule « À chacun selon ses besoins »), ou bien il disparaît comme étape réelle (soit parce qu’il est abandonné, soit parce qu’il est maintenu mais comme simple idéal sans consistance, autre que celle, subjective, de valeurs choisies et assumées par des individus).
D) Le socialisme s’inaugure par la conquête du pouvoir d’Etat planant toujours au-dessus de la société, ayant un rôle dynamique et moteur dans la transformation sociale. Et c’est la dictature du prolétariat qui lui facilite la tâche et sert - contrairement à ce que pensait Marx - de justification à un renforcement de l’appareil d’Etat.

Reprenons ces quatre points :
Le communisme, quand il est maintenu ne figure plus explicitement que dans le nom du parti qui s’en réclame, mais, comme type de société, il n’est plus différent du socialisme. Un parti communiste peut donc se battre pour le socialisme (c’est-à-dire autre chose que le nom qui le définit). C’est d’autant plus historiquement possible que le plus souvent le parti communiste provient d’une scission d’avec un parti socialiste ou social-démocrate.
La transformation sociale se concentre pour l’essentiel sur la question de la propriété des moyens de production et d’échange. Les termes en opposition sont « propriété privée » et « propriété collective ». Le communisme devient ainsi un économisme et un juridisme puisque c’est l’Etat qui est moteur et agit au nom de toute la société (et à sa place) en promulguant des lois.
La transformation sociale suppose un préalable absolu : la conquête du pouvoir d’Etat. Tout doit être subordonné à cette tâche et c’est l’étatisme qui guette. On se souviendra ici, au passage, de cette formule de Marx, écrite au lendemain du coup d’Etat de Louis Bonaparte le 2 décembre 1851, à propos de la considérable machinerie de l’Etat constituée en France au fil des siècles : « Toutes les révolutions politiques n’ont fait que perfectionner cette machine au lieu de la briser ». On y verra une belle prémonition de ce qui s’est poursuivi au XXe siècle et qui annonçait ses échecs1.
Dans tous les cas, la bataille politique est fractionnée en une multiplicité d’étapes qui ont pour point commun de toujours reporter au lendemain la perspective du communisme.
En somme, pour résumer tout cela, on pourrait presque dire : plus le socialisme avance en URSS au cours de ces années, plus le communisme recule au point de n’être plus qu’un idéal, c’est-à-dire finalement une espérance vague, une lueur tremblotante à l’horizon, une chimère.
Et voyez ce qui va se passer en France, dans les années 1970 : on se rend compte que le « socialisme réel » en URSS est loin d’être idéal (avec l’autoritarisme du parti-état, l’établissement d’une bureaucratie et d’une orthodoxie, l’emprisonnement des dissidents, le recours à l’internement psychiatrique, une vie intellectuelle et culturelle muselée). On invente alors un « socialisme aux couleurs de la France », qui lui, pourra être proclamé notre « idéal » parce que garantie est donnée qu’il n’aura aucun de ces traits repoussants. On se démarque des Soviétiques (on renonce, par exemple, à la dictature du prolétariat au profit d’un « socialisme par et dans la liberté »), mais on reste prisonniers du même scénario, du même dispositif avec des étapes et le même jeu visant à mettre sans cesse des préalables à toute transformation communiste.

C’est ainsi que, premièrement, le « socialisme à la française » est lui-même présenté comme un idéal, donc le communisme disparaît comme visée stratégique et politique incarnée au présent dans des luttes (ou en tout cas recule fort loin de l’ordre du jour des luttes sociales)2. On décrétera qu’« il n’est pas dans la tête des gens », qu’il ne faut pas en parler, qu’il faut se concentrer dans l’action sur le présent et renvoyer à une échéance très lointaine tout propos sur le communisme qui ne pourrait qu’être déplacé (et utopique) pour l’heure. Bref, on désarticule ce qui est uni et inséparable chez Marx : la bataille au présent et la visée communiste, le « contre » et le « pour ».
Et deuxièmement, puisque le socialisme à la française lui-même est un idéal, il ne peut être atteint du premier coup, et on invente alors une étape préalable : « la démocratie avancée ouvrant la voie au socialisme ». De transition en transition, d’ouverture de voie en ouverture de voie, on ne cesse d’éloigner la perspective du communisme (quand on la maintient), tout en continuant d’affirmer qu’il n’est pas question d’abandonner l’appellation de parti communiste. Ambiguïté et paradoxe, ainsi que je l’ai annoncé en commençant ces pages.
En résumé, dans les années 1980, il y avait en France un parti qui s’appelait officiellement parti socialiste et qui signait un programme politique commun « de gauche » et un parti communiste tenant à cette appellation mais ne disant plus rien sur le communisme, signant un programme qui n’était pas socialiste mais de démocratie avancée pouvant (éventuellement) ouvrir la voie au socialisme. Vous voyez la difficulté : comment expliquer cette curieuse logique à l’opinion. Ce fut impossible, c’était une impasse.

CONCLUSION  

I/ Ce qui a échoué au XXe siècle, ce n’est pas le communisme, c’est le socialisme
La première conclusion qui se dégage de cette histoire du XXe siècle que j’ai retracée à travers cette question du socialisme et du communisme, c’est qu’il serait peut-être temps de sortir de la confusion et de revenir aux distinctions claires que proposaient les textes de Marx et Engels sur une transformation « directement communiste » de la société. J’ajoute qu’il est d’autant plus nécessaire de se défaire de ce scénario avec des étapes que nous savons désormais – non par Marx, mais par l’histoire récente – que l’abolition réelle de l’économie capitaliste par l’action de l’Etat socialiste n’a nulle part produit un dépassement communiste du capitalisme (contrairement à ce qui était annoncé et espéré au départ) mais un retour au capitalisme (comme en Russie et dans l’Est européen) ou à des mesures lui déliant les mains et lui ouvrant l’appétit (comme en Chine).
La deuxième conclusion, me semble-t-il, est qu’il faut bien convenir que tout cela s’est fait en proclamant une complète fidélité à la pensée de Marx, sous le nom de « marxisme ». C’est au nom d’une pensée de Marx baptisée « marxisme » et devenue « doctrine » - et même tenue pour « doctrine scientifique » ou « socialisme scientifique » - que l’on s’est éloigné de ce que Marx préconisait. Il faudrait bien en tirer quelques conclusions et renoncer à ces appellations.
Une troisième conclusion s’impose après ce survol historique, la plus essentielle. Elle conduit à affirmer que ce qui a échoué au XXe siècle, ce n’est pas le communisme, ainsi qu’on le dit et le croit souvent, mais bel et bien le socialisme, comme on le voit en France, en Europe mais aussi dans les ex-pays relevant de ce que l’on appelait d’ailleurs « le socialisme réel ».
Autrement dit, ce qui a échoué, c’est le socialisme sous ses deux versions :
a) Le socialisme de la social-démocratie qui n’a nulle part mis à mal le capitalisme et a fini par tout lui céder. On l’a vu en France et on continue de le voir avec les actuelles tentatives de rafistolage du socialisme par ses différentes chapelles sur les débris du parti socialiste, « explosé » entre « socialistes Macron-compatibles », « socialistes maintenus » d’Olivier Faure, « socialistes insoumis » de Jean-Luc Mélenchon, socialistes mouvance « Génération.s » de Benoît Hamon, écosocialistes, ex-socialistes mitterrandiens . Soit un retour aux différentes chapelles qui sont la tradition de son histoire.
b) Le socialisme de la voie autoritaire du parti unique et de la dictature du prolétariat (celui des communistes) qui a bien mis à mal le capitalisme mais n’a nulle part conduit au communisme, et a fini par s’effondrer.
Ce qui a échoué au XXe siècle, pour le condenser en une formule, c’est le socialisme sous ses deux visages : la social-démocratie, et ce qu’on pourrait appeler la social-autocratie !
2/ Le communisme selon Marx n’a jamais été essayé
Il existe une quatrième conclusion à tirer de cette aventure du marxisme au XXe siècle. Si Marx est un penseur du communisme et si le communisme qu’il nous a livré n’a jamais été essayé, ne serait-ce pas avec cette idée profondément novatrice que l’on pourrait répondre à l’interpellation de ceux qui célèbrent « le retour de Marx », le come back de Marx ? En somme, ne faut-il pas libérer Marx de la lourde histoire du « marxisme » au siècle précédent dans les partis politiques et de la confusion entre socialisme et communisme qui s’y révèle ? Ne faut-il pas voir Marx tel qu’on peut le penser et le connaître et se mettre en tête les idées de ce qu’il appelait un « dépassement communiste du capitalisme » pour affronter de manière nouvelle les réalités de notre monde ? N’est-ce pas ainsi que l’on pourra replacer Marx dans les débats publics actuels ? En finir avec le « Marx ancien monde » pour concevoir un « Marx nouveau pour un nouveau monde » ?
Cela ne signifie pas qu’il aura réponse à tout, mais que, dans ce qu’il a pensé vraiment et qui n’a nulle part été essayé, il y a sans aucun doute des pistes nouvelles avec lesquelles nous pourrions aborder la question si cruciale et si intensément posée de l’avenir. C’est ce que nous verrons dans les chapitres suivants. »

Communiste ! Avec Marx (240 pages) est édité par les éditions PCF 93 et vendu au pris de 6€. Pour se le procurer, il convient de s’adresser à PCF 93, 14 Rue Victor Hugo, 93500 PANTIN, ou par courriel à l’adresse : fede@93.pcf.fr ou par téléphone : 01 48 39 93 93. Ajouter les frais de port.


Rechercher

Fil RSS

Pour suivre la vie de ce site, syndiquez ce flux RSS 2.0 (lisible dans n'importe quel lecteur de news au format XML/RSS).

S'inscrire à ce fil S'inscrire à ce fil