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Christophe GROSSI : "Ricordi"
La critique de Lucien Wasselin

L’inventaire a connu des fortunes diverses en littérature : tout le monde (ou presque) connaît le poème de Jacques Prévert qui porte ce titre (in Paroles), mais on pense ici au fameux "Je me souviens" de Georges Pérec. Christophe Grossi est d’origine italienne bien que né en France. Au début d’un texte qui raconte la genèse de ces "ricordi" il écrit : "Mon arrière-grand-père paternel et mon grand-père maternel ont en commun d’avoir très tôt quitté leur Lombardie natale […], d’avoir coupé les ponts avec l’Italie […] et de n’avoir rien transmis de leurs origines à leurs enfants, à leurs petits-enfants…" Il est donc, d’une certaine manière, orphelin et ce recueil est une tentative pour se (re)constituer une filiation. Mais comment faire en l’absence de souvenirs ? Il se sert donc de ce qu’il a lu, vu, entendu… par l’intermédiaire des livres ou des films… De là naît cette forme particulière d’où sourd une étrange poésie due à l’éloignement tant spatial que temporel et qui en étonnera plus d’un.

Ces 480 "ricordi" parleront différemment aux lecteurs : certains resteront abscons, d’autres éveilleront l’attention de quelques-uns. Pour ma part, j’ai été sensible à tout ce qui relève de l’histoire (les Partisans, le fascisme mussolinien, le communisme, le social et les luttes dans l’Italie des années 1940-1960, le miracle économique (et sa chasse aux militants syndicaux et politiques), les vedettes de cinéma… Sans doute, le lecteur réagira-t-il en fonction de sa culture, de son savoir, de ses origines et de sa curiosité. Mais ces "ricordi" dans leur ensemble et leur réception témoignent de la complexité et de la fragilité de la construction identitaire. Il est significatif qu’ait été choisie une forme poétique singulière de préférence à une enquête sociologique pour explorer ce défaut de mémoire. Remplacent-ils l’absence de vrais souvenirs partagés avec les anciens de la lignée ? Christophe Grossi a-t-il réussi son pari de combler un manque ? À ce titre, le texte final (qui fait presque deux pages) apporte quelques éléments de réponse.

Un index alphabétique (qui par bien des aspects est aussi thématique) permet cette double lecture qu’annonce Christophe Grossi dans la Genèse de ce livre : "Ricordi peut être lu du 1er au 480e fragment mais aussi dans le désordre, via l’index, de manière aléatoire, à l’envers, de travers, l’Italie dans le dos". En l’état, cet index n’est pas une annexe de ce livre, il en fait partie intégrante puisqu’il participe du genre inventaire… Et puis, il remet en place des réalités oubliées : c’est ainsi que la rubrique Fiat signale 16 occurrences : le "miracle économique" est décapé et prend une couleur insoupçonnée (tirant sur le brun), ne lit-on pas "Mi ricordo / qu’en dix ans Fiat a licencié près de 2000 cadres syndicaux tous liés de près ou de loin au Pci" ou encore "Mi ricordo / que pénétrer dans l’usine Fiat avec L’Unità (le quotidien du Parti communiste italien) était synonyme de renvoi immédiat" ? Par exemple… Cette chasse aux sorcières appartiendrait-elle à un passé révolu ?

Christophe Grossi, Ricordi. L’Atelier imaginaire, dessins de Daniel Schlier, 112 pages, 15 €.


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