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"Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire."
Une lecture recommandée par Philippe Pivion

C’est une période de l’histoire (le 8ème siècle) qui ne m’intéressait guère. Eh bien, j’avais tort ! En réalité c’est le sous-titre qui aiguisa ma curiosité. Faut vous dire que dès lors qu’un auteur, un chercheur met à mal les paquets tous ficelés que nous sert ce qui est en train de devenir une idéologie dominante, je biche. Et là, la soupe des De Villiers, le Pen et Marion, semblait dans le collimateur des auteurs, William Blanc et Christophe Naudin.

C’est une maison d’édition que je ne connaissais pas qui se hasarde à publier ce travail, les éditions Libertalia, qui rééditent cet ouvrage datant de 2015. C’est méritoire.

Loin de débuter par une polémique ou par un affrontement à couteaux tirés, les auteurs décortiquent les pièces, remettent de l’ordre dans les légendes, écrivent un texte d’une grande érudition, mais toujours fluide - que c’est un bonheur que de s’y plonger. Après un rappel de l’expansionnisme arabe suite à l’hégire et après la mort de Mahomet, nous basculons dans le schisme du chiisme et les premières guerres confessionnelles entre Arabes. C’est très fouillé et nous découvrons pleins de choses explicatives d’une actualité complexe. Enfin, le sud du bassin méditerranéen est conquis et les guerriers arabes déboulent jusqu’en Espagne, engloutie grâce à leurs alliés berbères. Les Pyrénées séparent la Gaule franque des nouveaux maîtres de l’Espagne wisigothique.

En 732, le nouveau gouverneur Abd al-Rahmân lance ce qui ressemble à un raid avec une force armée à la composition inconnue, mais dépourvue de femmes et d’enfants afin de se concentrer sur ce qui doit être une razzia. Abd al-Rahmân passe par l’ouest et pille rapidement Bordeaux. Eudes, duc d’Aquitaine, sollicite l’aide de Charles de la famille des Pépin, un Pippinide, c’est comme cela qu’ils s’appellent.

Le Charles, maire du palais, est un ambitieux, il rêve de conquête et l’opportunité est belle de franchir la Loire et de mettre au pas ce duché d’Aquitaine qui lui déplaît. On ne sait pas précisément où a lieu l’affrontement qui se déroulera en deux temps, d’abord des escarmouches visant à épuiser les troupes franques, puis l’assaut qui est un échec. Poitiers ou Tours… peu importe. Dans la mêlée, Abd al-Rahmân est tué, ses troupes se débandent et s’enfuient. Charles a gagné, il ne poursuit pas l’ennemi. Le lendemain il constate que celui-ci est reparti en direction des Pyrénées.

Peu de chroniques évoquent cette bataille, les sources sont très limitées, certaines écrites bien après. Ce n’est pas déterminant. Un problème surgit rapidement, le financement de la bataille. Charles pour obtenir des guerriers pille les biens de l’église. Et du coup dans la mythologie ecclésiastique, il devient un affreux hérétique faisant fi de la domination chrétienne ! Tout le monde semble se moquer de la bataille, qui ne consiste vraiment pas en un affrontement inter civilisationnel mais bien comme l’échec d’une razzia. Et du coup, Charles devient pire que les Sarrasins.

Ce n’est que bien plus tard, au 19ème siècle que, dans la foulée de Châteaubriant puis de Napoléon qui exhume Vercingétorix, que le nationalisme ambiant refaçonne l’Histoire pour en faire une légende. Je laisse au lecteur le soin de découvrir comment la métamorphose de faits historiques en un conte aux fins politiques s’opère, c’est passionnant. Charles devient Martel alors qu’il a trépassé depuis plus de 11 siècles, les hommes politiques d’aujourd’hui piétinent allégrement les réalités pour appeler l’Histoire en renfort de leur médiocrité, bref, c’est un régal [1]. L’ouvrage est servi par une belle iconographie qui renforce le texte.

Un livre épatant à lire avant les élections européennes où je fais le pari que d’aucuns vous serviront encore des billevesées pour leur soupe.

Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire.
William Blanc et Christophe Naudin. Editions Libertalia. 17 euros.

Notes :

[1Une tentative d’instrumentalisation sur le prétendu choc de civilisations est orchestrée depuis plusieurs décennies avec cette variante retournée : si Charles Martel n’avait pas battu les Sarrasins, alors ils nous auraient apporté les sciences, les arts et la culture dont ils étaient vecteurs. C’est entrer par une autre porte dans le choc des civilisations entre l’Orient et l’Occident, répandus faussement par les chantres de Trump. Ainsi, Mélenchon lors d’une émission de France Culture en présence de Denis Tillignac et Alain Finkielkraut annonce tout de go : « Dans le cas de Charles Martel, permettez-moi de vous dire, cher Denis Tillignac, que je ne vois pas pourquoi on devrait dire « gloire à Charles Martel ». Parce que si on avait pu s’épargner les siècles d’obscurantisme que nous a valu la mainmise de l’Eglise sur l’Occident chrétien ; si on avait pu, nous, gagner l’apport des civilisations arabes, arabo-andalouse, qui eux (sic) avaient comme luxe de collectionner les livres, tandis que les nôtres avaient comme luxe de les gratter pour écrire dessus les absurdités que l’on connait. » Et voilà le piège identitaire se referme sur le pauvre Mélenchon…. Répliques, France Culture, 7 mai 2011.


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