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COP-21 : les promesses loin des 2°C
Par Sylvestre Huet

Même si elles sont tenues, les promesses des États à la COP-21 ne permettront pas d’atteindre les objectifs climatiques visés. C’est ce qu’affirme une étude du Grantham Institute, de la London School of Economics (ici en pdf).

Les trois auteurs - Rodney Boyd, Joe Cranston Turner et Bob Ward - se sont appuyés sur les "promesses" déposées au Secrétariat de la Convention Climat de l’ONU au 20 juillet dernier. Ils ont fait les comptes. Additionné. Harmonisé les annonces pour les rendre compatibles entre elles à la date de 2030. Estimé les émissions des États manquants. Et comparé le total aux trajectoires d’émissions compatibles avec l’objectif fixé, pas plus de 2°C d’augmentation de la température moyenne de la planète par rapport au niveau pré-industriel. Verdict : on n’y est pas du tout.

Pourquoi des "promesses" ? Je propose cette traduction lapidaire destinée à souligner le caractère de non-engagement des Intended nationally determined contributions (INDC) par lesquelles chaque État signataire de la Convention doit annoncer pour la COP-21 ses intentions d’émissions de gaz à effet de serre. Où en est-on ? Au 20 juillet, 46 États, dont les 28 de l’Union Européenne, avaient déposé leur copie. On peut les trouver ici, sur le site web de la Convention. Au 19 août, 147 pays avait fait de même. Le calcul des trois économistes, ne prend donc pas en compte les dépôts post-20 juillet, mais il porte toutefois sur des pays qui représentent ensemble 58% des émissions de gaz à effet de serre actuelles. Parmi eux, des géants : Chine, USA, U-E, Russie, Japon... Mais aussi des absents de marque, dont l’Inde.

Les trois auteurs parviennent ainsi à un total d’un peu moins de 60 Gigatonnes d’équivalent CO2 par an en 2030 pour les émissions mondiales. C’est moins que ce que signifierait la poursuite de la trajectoire actuelle - le "business as usual". Mais c’est très loin des 36 Gt qui donneraient une bonne chance d’éviter de dépasser les 2°C selon les calculs des scientifiques.

Avions et pétrole

Ce calcul ne préjuge pas de la suite, après 2030. Mais il permet de fixer les véritables attentes que l’on doit avoir vis à vis de la COP-21. Imaginer que les chiffres soumis puissent bouger de manière significative, au regard du gouffre qui sépare 36 Gt de 60 Gt, d’ici la Conférence est peu raisonnable. Autrement dit, il ne faut pas attendre de la COP-21 qu’elle trace le chemin vers l’objectif climatique fixé en 2009 à Copenhague.

Il est déjà douteux que les "intentions" seront réalisées. Il suffit de considérer quelques informations récentes. Nos journaux viennent de saluer la méga-commande de 230 Airbus A-320 par la compagnie indienne IndiGo en raison de sa contribution à l’emploi et aux exportations. Ces avions voleront au kérosène, et voleront encore en 2030. Quant à la décision d’Obama d’autoriser un forage pétrolier risqué au large de l’Alaska par la compagnie Shell, elle indique la volonté des États-Unis de poursuivre son objectif d’indépendance énergétique à la faveur des technologies permettant l’accès à des ressources nouvelles (gaz et pétrole de schiste, Arctique) et ceci malgré leur coût.

Ce doute s’appuie sur les étonnantes contradictions entre experts quant aux perspectives énergétiques. Mais surtout sur les questions "dures" que pose le défi climatique. Ainsi résumées dans cette note : Atteindre l’objectif des 2°C, est-ce possible sans mise en cause du modèle consumériste, boosté par le matraquage publicitaire et l’exemple des riches (donc sans supprimer ces derniers) ? Est-ce possible sans revenir sur l’explosion des échanges économiques mondiaux (et relocaliser les productions près des consommateurs) ? Est-ce possible sans mettre au cœur des lieux de décisions, publiques comme des entreprises privées, des impératifs sociaux et écologiques (et donc écraser - ou a minima limiter et encadrer - le pouvoir du capital financier dans les entreprises et les banques comme dans les gouvernements) ? Bref, est-ce possible sans des transformations économiques, sociales, culturelles et politiques allant à rebours des choix politiques dominants à Paris, Moscou, Washington, Pékin, New-Delhi, Brasilia ou Lagos ?

Paris hasardeux

Peut-être est-ce possible… À condition que les pauvres du monde acceptent (ou soient contraints) de le rester, car les pauvres ne consomment que très peu d’énergie montre le graphique ci-contre. Ou qu’un, voire de nombreux miracles technologiques surviennent et puissent être généralisé rapidement, permettant de générer de l’énergie à gogo sans brûler de carbone fossile. Deux paris très hasardeux. Et l’une des raisons pour lesquelles la COP-21 ne tracera pas tout le chemin vers la sortie de l’impasse climatique.

Non que diplomates et gouvernements ne parviendront pas à un accord, mais, au mieux, il montrera que les pays anciennement industrialisés peuvent effectivement diminuer leur consommation d’énergie fossile dans les décennies à venir, mais pas dans les proportions requises. Que des fonds peuvent être mobilisés en faveur des pays les plus pauvres au nom de l’équité devant le changement climatique dont ils ne sont pas responsables, mais pas au point de réorienter complètement leur développement vers des solutions avec peu d’énergie fossile. Que toute une panoplie d’actions sont disponibles pour déployer des solutions énergétiques non carbonées, à des échelles allant de la consommation individuelle à l’infrastructure de transport, mais que cela n’empêchera pas les Chinois de se motoriser en masse (leur production d’automobiles est passé d’environ 2 millions en 2000 à 18 millions en 2013). Bref, un accord, certes, mais il montrera aussi l’écart qui subsistera entre ces politiques et le niveau de décarbonation exigé pour atteindre l’objectif fixé. Sera t-il comblé dans les 30 ans qui suivront ?

Les banquises fondent vite en 2015.
► Polémiques entre économistes sur le climat : épisode 1, épisode 2, et contradictions entre experts sur l’énergie.

Article mis en ligne le 20 août 2015 sur le blog Sciences Libération.

A lire parmi les articles de Sylvestre Huet publiés sur La faute à Diderot : Choix technologiques, démocratie et savoirs : comment sortir de l’impasse ?


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