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1941, création de l’Etat indépendant de Croatie : les Balkans dans les ténèbres du régime oustachi
Par Bernard Frederick

Après la défaite de la France au printemps 1940, le Royaume de Yougoslavie, qui jusque-là proclamait sa neutralité, se tourne vers l’Allemagne de Hitler et l’Italie de Mussolini. Le 4 mars 1941, le régent du Royaume, Paul Karađorđević, rencontre Hitler pour discuter de l’adhésion de la Yougoslavie au pacte liant celle-ci aux puissances de l’Axe. Le texte est signé le 25 à Vienne par le Premier ministre Dragiša Cvetković.

Des manifestations ont aussitôt lieu à Belgrade et, le 27 mars, un coup d’État mené par les généraux Mirković et Simović, appuyé par des officiers favorables aux Alliés, renverse le régent, place le roi Pierre II, bien qu’encore mineur, au pouvoir et dénoncent le pacte. Tout en affirmant aux Allemands qu’il ne change pas de politique à leur égard, le nouveau pouvoir envoie une délégation à Moscou, le 4 avril 1941, deux jours plus tard, le 6 avril un accord est signé. Ce même jour, sans déclaration de guerre, l’aviation nazie lance un raid massif sur Belgrade, tandis que les troupes allemandes, italienne et hongroise envahissent le pays qui capitule le 17 avril. Le gouvernement issu du putsch quitte le pays avec le jeune roi Pierre II pour se replier en Grande Bretagne.

Le sort de la Yougoslavie est fixé par la conférence de Vienne. L’Allemagne et l’Italie démembrent la Yougoslavie, divisée en zones d’occupation allemandes ou en protectorats italiens, hongrois ou bulgares, et créant deux régimes collaborateurs, l’État indépendant de Croatie et le Gouvernement de Salut National de Serbie.

En fait, l’État indépendant de Croatie, (Nezavisna Država Hrvatska -NDH) a été proclamé le 10 avril 1941 à Zagreb, quatre jours après l’attaque de Hitler. Deux jours auparavant, les milices oustachies, concentrées aux frontières de l’Autriche et de l’Italie, étaient rentrées en Yougoslavie. La proclamation du NDH a été lue sur Radio Zagreb par Slavko Kvaternik, ancien officier de l’armée austro-hongroise, au nom d’Ante Pavelic, dirigeant des Oustachis qui se trouvait à ce moment-là à Florence, en Italie.

« Le mouvement oustachi, écrit le journaliste et historien italien, Carlo Falconi, était un mouvement national hyper-confessionnel qui entendait presque restaurer l’ancien royaume croate vassal du Saint-Siège. Ses chefs avaient continuellement aux lèvres les noms de Dieu, de la religion, du Pape et de l’Église. Bientôt ils invoqueraient l’Esprit Saint au chant du Veni Creator sur leur Sobot (Parlement) où ils avaient appelé à siéger plusieurs évêques. Quant au Poglavnik [le Duce du mouvement, Ante Pavelic], il avait en permanence autour de lui des prêtres comme conseillers, un prêtre était le précepteur de ses enfants, il avait un confesseur personnel et une chapelle bien en vue dans son palais » [1].

Le parti des Oustachis (de ustaš, « insurgé ») a été fondé en 1929 par Ante Pavelić, un avocat nationaliste clérical, en Italie où il s’était exilé. Fortement inspiré par Mussolini et, plus tard, par Hitler, Pavelić emprunte volontiers aux méthodes terroristes : le 9 octobre 1934, le roi de Yougoslavie, Alexandre Ier, en visite d’État à Marseille, et le ministre français des Affaires étrangères Louis Barthou sont assassinés par des Oustachis et Pavelić sera condamné à mort par contumace deux tribunaux, français et yougoslave.

Dès son arrivée à Zagreb, Pavelić proclame : « J’ai abattu l’arbre [Alexandre à Marseille], à vous de tailler les branches » [les Serbes]. Ses ministres sont plus explicites encore. Milovan Zanic, chef de la diplomatie, parlant à Nova Gradiska, s’écrie : « Oustachis ! Je parle ouvertement, cet Etat, notre patrie doit être croate et ne doit jamais plus être celle d’un autre (…) il n’est pas de méthode que, nous, en tant que Oustachis, nous n’utiliserons pas pour faire que cette terre soit vraiment croate et que nous la nettoyions des Serbes » [2].

Or les Serbes représentaient 30% de la population de la nouvelle Croatie, grossie notamment de la Bosnie- Herzégovine, peuplée de musulmans mais avec une forte minorité serbe. Pour les Oustachis, les musulmans ne posaient pas de problèmes : « Ils sont de la race croate, ils sont la plus ancienne et la plus pure noblesse qu’ait l’Europe », affirmait Ante Starcevic (1823-1896), idéologue du mouvement oustachi [3]. Des dirigeants politiques bosniaques entrèrent d’ailleurs au gouvernement oustachi et une Division SS Handzar (poignard, en arabe) qui ne fut pas en reste dans massacres de Serbe en Bosnie-Herzégovine.

La politique d’épuration ethnique, qui toucha aussi les Juifs – 29 000 morts sur les 35 vivant sur le territoire-, commença aussitôt L’Etat croate indépendant proclamé. « Le 28 avril, par exemple, raconte Carlo Falconi, en pleine nuit, quelques centaines d’oustachis encerclèrent les villages serbes de Gudovac, Tuke, Brezovac, Klokocevac et Bolac, dans le district de Bjelovar ; ils choisirent 250 hommes, surtout des paysans, plus le pope Bozin et l’instituteur Stevan Ivankovitch ; ils conduisirent la colonne dans les champs, obligèrent les malheureux à creuser une fosse, les attachèrent avec du fil de fer et les ensevelirent vivants. La même nuit, près de Vukovar, sur les rives du Danube, 180 Serbes furent égorgés et jetés dans le fleuve. À Otocac, quelques jours après, autre arrestation en masse : 331 Serbes, plus le pope et ex-député serbe Branko Dobrosavljevitch avec son fils. L’exécution, après le système habituel du fossé et du fil de fer eut lieu à coups de haches. Mais le pope et son fils furent réservés pour le spectacle final. L’enfant fut coupé en morceaux sous les yeux du père, contraint de réciter les prières des agonisants. Puis, sa tâche achevée, le pope fut soumis à une lente torture : on lui arracha d’abord les cheveux, puis la barbe, puis la peau ; quand on lui creva les yeux, le spectacle n’approchait pas encore de sa fin » [4].

Les Oustachis prirent modèle sur les nazis et ouvrirent des camps de concentration. L’ historienne yougoslave et elle-même croate, Fikreta Jelic-Butic, souligne que c’est dans le camp de Jasenovac, au confluent des rivières Una et Save, à 120 kilomètres au sud-est de Zagreb, « que le plus grand nombre d’êtres humaines ont été tués dans le NDH - plusieurs centaines de milliers. Selon les données de la Commission nationale croate pour l’établissement des crimes des occupants et de leurs collaborateurs, il est calculé que ce nombre est d’environ 500 à 600.000 » [5].

Le camp de Jasenovac était le plus grand des Balkans et le troisième plus grand camp de concentration d’Europe. Selon les données fournies par l’historien Edmond Paris, 1942, il y avait à Jasenovac environ 24.000 enfants dont 12.000 ont été tués : « Des foules entières d’enfants juifs ont été brûlées vivantes dans les fours de l’ancienne briqueterie transformés en crématoires » [6]. Vjekoslav Luburic, le responsable pour les camps de concentration, s’en vantait à Jasenovac le 9 octobre 1942 : « au cours de cette année, à Jasenovac, nous avons égorgé plus d’hommes que tout l’empire ottoman ne l’a fait pendant toute la durée de la présence des Turcs en Europe ».Le plus souvnt, en effet, c’est à l’arme blanche ou à la hache que les gardes du camp accomplissent des actes d’une cruauté immense à l’image de Petar Brzica, qui égorgea 1 360 Serbes et Juifs avec un couteau de boucher en une seule nuit ce qui lui valut le titre de « Roi des coupe-gorges » [7].

Pendant ce temps-là, « l’archevêque catholique de la même ville [Sarajevo], Mgr Ivan Saric, non seulement écrivait des odes en l’honneur de son Poglavnik, « guide adoré », mais il avait encore l’impudence d’exalter dans l’hebdomadaire catholique de son diocèse, l’emploi des méthodes révolutionnaires « au service de la vérité, de la justice et de l’honneur », et il allait jusqu’à déclarer « qu’il est sot et indigne des disciples du Christ de penser que la lutte contre le mal (sic !) pourrait être menée d’une manière noble et avec des gants » [8].

Il n’était, dès lors, pas étonnant, que des ecclésiastiques catholiques, participent eux-mêmes aux massacres. « Bozilar Bralo, par exemple, connu également comme protecteur de la fameuse division volante « Crna Leggija » (la légation noire), fut accusé d’avoir participé au massacre de 180 Serbes à Alipasin-Most, et d’avoir ensuite, en soutane, mimé une danse macabre autour des cadavres, avec les miliciens oustachis. Un autre prêtre, Nicolas Pilogrvic, de Banja luka, fut responsable de boucheries semblables. Et de même les jésuites Lipovac et Cvitan, le franciscains Joseph Vukelic, Brekalo Zvonimir, Justin Medic, Hinko Prlic, eux aussi aumôniers, tuèrent des prisonniers, mirent le feu à des maisons et saccagèrent des villages en battant les campagnes de Bosnie à la tête des oustachis » [9].

A la tête de l’Eglise catholique, se trouvait, à l’époque, l’archevêque de Zagreb Mgr Alojzije Stepinac que la pape Jean-Paul II, toute honte bue, béatifia le 3 octobre 1998 lors d’une visite à Zagreb. Mgr Stepinac salua la création du nouvel Etat et donna sa bénédiction à Ante Pavelic. La majorité des évêques catholiques ont aidé à la propagation du régime oustachi. Par Stepinac et d’autres, le Pape Pie XII savait ce qui se passait en Croatie. Il s’est tu. Une Direction d’Etat pour le Renouveau – « Secteur religieux » - planifiait la conversion d’un million de Serbes au catholicisme. Le frère franciscain Dionizije Jurcev, dirigea jusqu’en novembre 1941, le processus de conversion au catholicisme. « Aujourd’hui, dit-il dans un discours, il n’y a pas de péché à tuer même un petit enfant de 7 ans, qui fait obstacle à notre mouvement oustachi. (...) Oubliez que je porte des habits sacerdotaux ; sachez que je peux, lorsque c’est nécessaire, prendre une mitraillette et exterminer, jusqu’au berceau, tout ce qui s’oppose à l’Etat et aux autorités croates » [10].

Ces atrocités ont marqué l’histoire de la Yougoslavie d’après-guerre, pesé d’un grand poids dans les guerres des années quatre-vingt-dix et continuent d’exacerber l’animosité, voir l’hostilité, entre les peuples de la région.

Pourtant, et c’est l’honneur de tous ces peuples, d’avoir résisté ensemble, sous la direction du communiste Tito, à l’occupant allemand et italien et à leurs collaborateurs oustachis et tchetniks, nationalistes serbes qui n’avaient rien à envier aux criminels croates.

La Première brigade partisane fut une unité militaire de partisans de Croatie, fondée à Sisak le 22 juin 1941, le jour où l’Allemagne nazie a envahi l’Union soviétique. La brigade comptait 79 membres, tous des Croates sauf Nada Dimić, une jeune communiste serbe de Croatie. Arrêtée, elle sera torturée. Elle ne parlera pas. Les Oustachis l’assassinèrent au camp de concentration de Stara Gradiška, le 17 mars 1942. Elle avait 18 ans.

Article paru dans l’Humanité Dimanche. Avril 2021

Notes :

[1Carlo Falconi, Le Silence de Pie XII, Editions du Rocher, Monaco 1965.

[2Novi list, Zagreb, 2 juin 1941, cité par Dusan T. Batakovic in Hérodote, N° 67, Paris 1992,

[3Ante Starcevic, Izabrana djela, édité par Blaz Jurisic, Zagreb 1942, cité par Batakovic.

[4C Falconi, ouvrage cité

[5Ustase i NDH ( Oustachis et l’État indépendant de Croatie) Globus-Skolska knjiga, Zagreb 1977.

[6Genocide in satellite Croatia, 1941-1945, The American Institute for Balkan Affairs, Chicago 1961.

[7Hervé Laurière, Assassins au nom de Dieu, Éditions l’Age d’Homme, Lausanne, 1951.

[8Carlo Falconi, ouvrage cité.

[9Idem

[10Viktor Novak, Magnum Crimen. Pola vijeka klerikalizma u Hrvatskoj, (Un demi-siècle de cléricalisme en Croatie), Zagreb 1948, cité par par Dusan T. Batakovic in Hérodote, N° 67, Paris 1992


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