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Retour sur la guerre néocoloniale à laquelle nous avons assisté
Le philosophe Yvon Quiniou revient sur ce qui s’est passé en Libye

Le conflit libyen vient de toucher à sa fin, avec les derniers massacres des partisans de Kadhafi et l’assassinat ignoble de celui-ci à l’initiative de l’OTAN, contraire à toutes les règles de la justice internationale. Aura-t-elle été une « guerre juste » selon une vieille terminologie qui remonte à Saint Augustin et posant la question de la légitimité de la violence dans l’histoire politique des nations ? Moi qui ai soutenu avec enthousiasme le printemps tunisien et égyptien et n’ai pas de sympathie particulière pour le pouvoir autocratique qu’exerçait le dirigeant de la Libye (mais il y en a bien d’autres que l’on oublie…), je réponds clairement : non.

D’abord parce que, si l’intervention voulue par Sarkozy a bien été conforme à une décision de l’ONU, elle s’est faite au nom d’une menace visant les opposants à Kadhafi qui n’a jamais été prouvée et dont Rony Brauman a bien montré le caractère largement improbable. Ensuite parce que l’objectif initialement revendiqué de protection de la population de la ville de Benghazi par la neutralisation de l’espace aérien, qui pouvait se justifier malgré tout, s’est progressivement transformé en soutien militaire d’un camp et, il ne faut pas se voiler la face, en intervention directe au sol, dans le déni le plus total de ce qui était autorisé par l’ONU. Au nom d’un massacre seulement possible, on a ainsi perpétré un massacre bien réel, alimenté une guerre civile meurtrière, sans que la conscience occidentale s’en émeuve beaucoup et, tout autant, on a violé un principe essentiel guidant encore juridiquement notre vie internationale : la souveraineté des nations. Si la légitimité réside d’abord dans la légalité, jusqu’au moment où l’on change démocratiquement la légalité, cette guerre aura donc été parfaitement illégitime. On peut et on doit condamner tous les régimes qui bafouent la démocratie et regretter que seul un soulèvement populaire entraînant une guerre civile puisse y mettre fin. On peut et on doit trouver de multiples moyens pacifiques de pression (comme le boycott économique) pour aider à la chute des dictatures. Mais on n’a pas le droit de se substituer à la souveraineté des peuples et à appuyer militairement l’un des camps sans risquer de déclencher une spirale d’interventions guerrières risquant de mettre le feu à la planète : le droit d’ingérence n’existe pas, jusqu’à preuve du contraire, et l’émancipation des nations ne peut être que l’œuvre des nations elles-mêmes.

Enfin, sur la base de quels critères réels cette intervention a-t-elle eu lieu ? Ici, il faut dénoncer la propagande mensongère des chefs d’Etat occidentaux, de l’immense majorité des responsables politiques – communistes exclus – et de la plupart des médias qui se sont livré à un véritable bombardement idéologique destiné à en occulter la signification. Non ce n’est pas au nom de la liberté que cette guerre a été décidée car, si c’était vrai, il faudrait intervenir dans bien d’autres pays du Moyen-Orient et, par exemple et au minimum, demander à Bernard-Henri Lévy, conseiller es politique étrangère de Sarkozy, de se préoccuper de l’état de la démocratie dans son cher pays du Maroc. En réalité, c’est à une guerre néo-coloniale que nous avons assisté, répondant au surplus à un calcul électoral hasardeux de notre président, candidat virtuel à la présidentielle de 2012. Guerre néo-coloniale puisqu’il s’est agi pour l’Occident, comme en Irak avant, à la fois de s’assurer la maîtrise directe ou indirecte des richesses pétrolières de la Libye et, plus largement, une position géostratégique dominante dans cette région du globe au service d’avantages économiques plus larges, point essentiel que la référence à la défense des droits de l’homme ne fait que masquer. Il est curieux de constater ainsi que la démocratie dans le monde n’intéresse dans le principe les pays capitalistes que lorsqu’elle favorise leurs intérêts matériels : combien de pays pauvres, dépourvus de ressources exploitables et soumis à des dictatures, sont ainsi abandonnés à leur sort comme si la cause de la liberté était bien à géométrie (économique) variable !

Mais cela aura été aussi la guerre d’un président, Nicolas Sarkosy, qui a voulu, avec un cynisme exceptionnel, se refaire une stature politique en vue de 2012, non seulement en croyant pouvoir détourner l’attention des français du désastre de sa politique économique et sociale intérieure, mais en tentant de faire oublier qu’il n’avait cesser de courtiser scandaleusement ces mêmes régimes qu’il condamne maintenant rétrospectivement et, spécialement, celui de Kadhafi. Son discours moralisant sur la justesse ou la justice de cette guerre n’est donc qu’une façade idéologique : c’est celui du « moraliste politique » que dénonçait Kant dans le Projet de paix perpétuelle, qui se fabrique une morale « à la convenance » de « ses intérêts d’homme d’Etat » au lieu de pratiquer une authentique « morale politique » : celle-ci condamne a priori la guerre et ses meurtres, respecte le droit des nations et ne saurait varier en fonction des circonstances ou des appétits des hommes et des Etats.

Tribune parue dans L’Humanité du 24 octobre 2011

Yvon Quiniou, philosophe. Vient de publier L’homme selon Marx. Pour une anthropologie matérialiste, aux éditions Kimé. La faute à Diderot a publié plusieurs textes d’Yvon Quiniou, notamment l’ introduction de son livre : L’ambition de la politique, changer l’homme ? et ses Thèses pour un communisme futur à partir du moment présent


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