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Quel avenir pour le nucléaire et les énergies renouvelables ?
Synthèse d’un rapport parlementaire commentée par Patrick Michaille, animateur du Groupe Argumentaire sur le Nucléaire.

« Un scénario raisonné de l’évolution de l’énergie électrique en France au XXIème siècle ». Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Le député Claude Birraux (Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – OPECST), et le sénateur Bruno Sido (Premier Vice-Président) ont déposé le 15 décembre 2011 le rapport rédigé par les rapporteurs Christian Bataille (député) et Bruno Sido. La mission comprend 24 députés (dont 2 députées) et 26 sénateurs (dont 9 sénatrices) [1]. Le texte qui suit est tiré du rapport, les annotations de l’auteur étant indiquées [entre crochets].

Le scénario proposé vise un mix énergétique comprenant 50% d’énergies renouvelables à l’horizon 2050, mais développé sans hâte, pour tirer parti des capacités de la France en matière de nucléaire tant que le stockage de l’énergie (réservoirs d’eau en bord de mer ; production d’hydrogène, utilisé directement dans des piles à combustible, ou pour produire du méthane à partir du CO2) n’a pas atteint le niveau de maturité qui permettra d’exploiter complètement les énergies intermittentes éoliennes et solaires.

Après sa visite au Japon, qui possède 54 réacteurs ne produisant que 25 à 30% de l’énergie électrique consommée au Japon, la mission fait le constat qu’après un grave accident, la population est hostile au redémarrage des réacteurs. Le Japon est obligé d’importer massivement du gaz pour pallier le déficit d’énergie, alors que les entreprises délocalisent ou font faillite. Le niveau d’exposition en France, avec 75 à 80% d’énergie produite par le nucléaire, est considéré comme trop élevé, et il est visé de le réduire pour ne pas mettre en danger l’économie du pays si un accident nucléaire se produisait. L’exemple japonais invite à ne « pas mettre tous ses oeufs dans le même panier ».

Le stockage d’énergie, qui viabilisera les énergies renouvelables en compensant leur intermittence, devra lui-même être alimenté en électricité. Or la sécurité d’un système énergétique suppose que celui-ci prenne appui sur une production en base totalement maîtrisée, sans risque d’aléa sur l’approvisionnement.

L’Allemagne, dont le nucléaire ne représente que 22% de la production d’électricité, est adossée à d’énormes réserves de lignite (évaluées à 350 ans de consommation) [2] et peut se permettre d’arrêter ses réacteurs, sur une période d’une douzaine d’années, le temps de mettre en service des centrales à gaz et à charbon modernisées (munies de filtres à souffre). Pour le CO2, l’Allemagne prévoit de racheter les droits de pollution prévus dans les accords de Kyoto…

Le cas de la France est très différent, puisque nous n’avons plus de réserves de charbon, et que nous n’acceptons pas de polluer le sol, l’eau et l’air, par l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste (« L’abandon de l’exploration du sous-sol métropolitain, constitue un pas en direction des objectifs du plan énergie-climat. ») Notre seule réserve nationale d’énergie est l’uranium appauvri, dont l’exploitation dans les réacteurs de 4ème génération constitue une ressource pour des siècles de consommation d’électricité.

Le nucléaire français

Actuellement, les approvisionnements français en uranium, environ 8000 tonnes par an pour un montant de 200 millions d’euros, sont sécurisés par une provenance depuis plusieurs régions du monde : Afrique, Australie, Canada. Deux filières de recyclage permettent de réduire jusqu’à concurrence d’environ 17 % le flux annuel d’approvisionnement des réacteurs : l’une basée sur le combustible MOX ; l’autre basé sur le ré-enrichissement de l’uranium issu du retraitement, opération longtemps effectuée à l’étranger (Russie), et qui sera bientôt réalisée par centrifugation dans l’usine d’enrichissement Georges Besse-2 de Pierrelatte.

Le nucléaire a en effet constitué la réponse de notre pays aux quatre priorités stratégiques que sont : l’offre électrique ; l’indépendance énergétique (de 60% en 1950, nous étions tombés à 22% en 1973) ; la préservation du développement économique, par un coût de production d’électricité maîtrisé (il serait le double pour les industriels si la part du nucléaire était ramenée à 20% en 2030) ; la neutralité environnementale, par l’absence de rejets de gaz à effet de serre (« La France, avec 90 grammes par kWh, est mieux placée que le Danemark avec 303 grammes par kWh, et surtout que l’Allemagne, qui émet 430 grammes par kWh. Pour produire une unité de PIB, la France diffuse deux fois moins de CO2 que l’Allemagne. »).

L’avance technologique française en matière de nucléaire, qui constitue un fleuron de notre économie, restera valorisable pendant encore de nombreuses années : d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale d’énergie augmentera d’un tiers entre 2010 et 2035, 90 % de cet accroissement provenant des pays hors OCDE, notamment la Chine dont la consommation sera de 70 % supérieure à celle des États-Unis en 2035 ; la production électronucléaire pourrait croître de 70 % d’ici 2035, tirée par la Chine, la Corée et l’Inde.

Les pays moteurs du développement de l’énergie nucléaire n’ont en effet que peu modifié leurs choix énergétiques depuis l’accident survenu à la centrale de Fukushima :
• Les primo-accédants maintiennent leur intérêt pour la mise en place de réacteurs nucléaires (Maroc, Vietnam, Arabie saoudite, Égypte, Jordanie, Tunisie, Chili, Thaïlande), de même que les pays venant d’engager un programme (Émirats Arabes Unis, Turquie).
• Les pays disposant déjà d’un parc significatif maintiennent eux aussi les objectifs qu’ils s’étaient assignés (Grande-Bretagne, Afrique du sud, Finlande, République tchèque, Chine, Corée du sud, Russie, Inde).

Aux États-Unis, le ralentissement du programme est la conséquence de la progression de l’exploitation des gaz de schiste et de l’absence de réglementation sur le carbone.

La sûreté nucléaire

Cependant, l’exemple japonais confirme que le développement d’une filière nucléaire ne peut se satisfaire d’approximations ni de compromis. Comme l’a indiqué le rapport d’étape de la mission, la sous-estimation de l’aléa tsunami par les autorités et industriels japonais fut manifeste, ce que le gouvernement japonais a reconnu. Cela illustre a contrario, la nécessité de mettre en place un processus d’amélioration continue de la sûreté, basé sur des fondations non seulement industrielles mais aussi juridiques, seules garantes de l’acceptabilité de l’énergie nucléaire.

Au plan industriel, une filière cohérente ne doit être ni trop diluée, ni trop intégrée. La cohérence de la filière française, telle qu’elle s’est développée historiquement, est un atout du point de vue de la sûreté. Elle permet une mise en commun des moyens et des retours d’expérience. En cas de crise, par exemple, elle permet d’envisager une solidarité accrue entre des sites fonctionnant de façon similaire.

La mission parlementaire considère que l’organisation d’une offre cohérente, compétitive à l’exportation, ne doit pas conduire à la mise en place d’un système monolithique entièrement intégré, qui présenterait deux inconvénients majeurs, l’un interne et l’autre externe : en France, cela nuirait aux efforts en faveur de la transparence, qu’une pluralité d’acteurs aux intérêts différents facilite ; à l’étranger, une offre intégrée pourrait être vécue comme contraignante pour les pays qui souhaitent, à terme, pouvoir faire jouer la concurrence internationale sur les services. Le maintien de l’autonomie du prestataire Areva par rapport à l’exploitant EDF est le gage d’une pluralité cohérente, préférable à l’intégration monopolistique. Au passage, la mission note l’importance du facteur humain dans la gestion de la sûreté, et rappelle que les pratiques de sous-traitance de la maintenance et de l’exploitation ne doivent pas conduire à une dilution des responsabilités susceptible de fragiliser les conditions de sûreté [voir fiche GASN N°39].

Au plan juridique, le développement d’une production électronucléaire n’est acceptable qu’à condition d’être contrôlé par un régulateur spécialisé indépendant, à l’autorité et à la crédibilité incontestées. Les procédures d’autorisation, de poursuite d’exploitation doivent être définies, assorties de modalités de consultation. La gestion des situations d’urgence doit être préparée par des plans préétablis comportant des dispositions propres à la gestion de crise nucléaire. L’acquisition d’une véritable culture de sûreté, incluant son amélioration continue par la prise en compte des « retours d’expérience » nationaux et étrangers, est indispensable.

La transparence est bien évidemment aussi l’un des aspects essentiels de ce cadre juridique. L’acceptabilité sociale de l’énergie nucléaire est par ailleurs améliorée lorsque les décisions sont prises pour des temps limités, donc réversibles et sujettes au débat démocratique.

Pour les primo-accédants, cet apprentissage est un long processus, qui ne saurait être envisagé en moins de deux décennies, et qui doit s’accompagner d’une coopération internationale accrue au cours des premières années, afin d’optimiser la courbe d’apprentissage. La coopération internationale n’a aucunement vocation à supplanter à terme les contrôles nationaux, seuls à même d’être suffisamment efficaces pour garantir la sûreté. L’échelon international a toutefois vocation à vérifier l’existence d’un cadre adapté et à accompagner les évolutions nécessaires dans les pays souhaitant accéder à l’énergie nucléaire ou accroître leur production électronucléaire.

La rémanence des charges inhérentes à l’énergie nucléaire

Loin d’apporter une solution immédiate et définitive aux questions liées à l’activité nucléaire, une décision d’arrêt total ou partiel de celle-ci, risquerait, au contraire, de déstabiliser l’organisation mise en place au fil des années pour en assurer la maîtrise. En particulier, le besoin d’entretenir durablement une culture de sûreté serait contradictoire avec le mal-être des personnels chargés de l’exploitation des installations.

L’exemple allemand est, à cet égard, particulièrement révélateur. Dès le premier accord sur une sortie du nucléaire, datant de 2000, entre le gouvernement et les exploitants, ces derniers avaient obtenu des assurances quant à l’absence d’exigences fortes en matière de sûreté de leurs installations. Les centrales allemandes pouvaient ainsi espérer s’exonérer des mises à niveau de sûreté les plus coûteuses résultant des retours d’expérience internationaux. De tels « arrangements » avec les contraintes de sûreté seraient inenvisageables dans un pays [comme la France] doté d’une véritable autorité de sûreté indépendante. De fait, ces mises à niveau régulières et systématiques des installations nucléaires constituent, en France, l’une des conditions sine qua non de la poursuite de leur exploitation.

Par ailleurs, il est impossible d’esquiver la gestion des déchets : l’absence, dans notre pays, de seuil de libération pour les déchets radioactifs interdit de les recycler, comme cela se pratique en Allemagne ou encore en Suède, en tant que matières premières pour d’autres industries. Il faut d’ailleurs remarquer qu’en Allemagne, personne n’a indiqué où et comment seraient entreposées et stockées les quantités considérables de déchets qui résulteront de la fermeture, puis du démantèlement des centrales nucléaires.

Les économies d’énergie

Au passage, la mission parlementaire note qu’un niveau élevé du prix de l’énergie a un effet de freinage de l’économie, et donc une incidence directe en termes de chômage ; en outre, il met en difficulté la partie de la population en situation de « précarité énergétique ». Une stratégie délibérée d’énergie chère pour contraindre à une meilleure maîtrise de la consommation et stimuler les technologies de l’efficacité énergétique n’est donc pas concevable dans une démarche au service de l’intérêt général.

La mission égratigne, dans le domaine de l’isolation thermique des bâtiments, la priorité donnée à des objectifs de moyens, alors qu’il faudrait élaborer des protocoles de mesure du respect d’objectifs de résultats. « Le consommateur final s’attend à ce que les progrès de la réglementation thermique lui assurent une diminution effective et sensible de ses factures d’énergie. » La mission préconise, pour réussir la révolution de la performance énergétique dans les bâtiments, la création d’une « Agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments », créée sur le modèle de l’Autorité de régulation des télécommunications (devenue ARCEP [3]), en fusionnant en une autorité administrative indépendante les structures en charge des missions de régulation du secteur du bâtiment au sein de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et de la construction, du Centre scientifique et technique du bâtiment, et de l’Agence de la maîtrise de l’énergie. Cette agence devrait présenter chaque année son rapport d’activité devant l’OPECST.

La Mission souligne les effets « rebond » : lorsque de nouvelles technologies permettent des gains d’efficacité, ces gains, au lieu de générer une réduction de la consommation d’énergie, peuvent conduire en réalité à son augmentation par divers canaux : une utilisation plus intense, des modes d’utilisation plus variés, et la réaffectation des économies réalisées sur des usages plus intensifs. Ainsi, tous les gains d’efficacité énergétique réalisés sur l’électroménager et l’éclairage depuis 1995 auraient été annulés par l’augmentation de la consommation des TIC (technologies de l’information et de la communication) ; rien que la consommation électrique de l’audiovisuel a augmenté de plus de 78 % en dix ans. Dans le secteur résidentiel, les TIC occupent aujourd’hui le premier poste hors chauffage, consommant 30 % de l’électricité. Le téléchargement sur son ordinateur de la version électronique d’un quotidien consomme autant d’électricité qu’une lessive ; une recherche sur le site Google est équivalente à une heure de lumière dispensée par une ampoule à économie d’énergie. Un chercheur de l’université de Dresde aurait montré que le fonctionnement de l’Internet pourrait, dans vingt-cinq ans, consommer autant d’énergie que l’humanité tout entière aujourd’hui !

Les énergies renouvelables

La mission rappelle la nécessité de développer les réseaux en même temps que se développeront les énergies renouvelables intermittentes (4000 km de lignes THT sont prévues d’être tirées en Allemagne, alors que l’opposition des environnementalistes empêchait jusqu’à présent d’en tirer plus d’une centaine de km par an…) : d’après RTE (Réseau de transport d’électricité), il faut près de dix ans pour créer de nouvelles lignes alors que les nouvelles capacités de production peuvent arriver à l’étape du raccordement en trois ou quatre années. En attendant, le nombre d’arrêts forcés d’éoliennes en Allemagne a bondi de 285 en 2009 à 1 085 en 2010, soit une perte de production allant jusqu’à 150 GWh [la consommation annuelle d’une ville de 20 000 habitants], les parcs d’éoliennes étant concentrés dans le nord du pays pour une demande plutôt localisée au sud.

Par ailleurs, tout n’est pas inépuisable dans les énergies renouvelables : le prix du néodyme, largement présent dans les turbines éoliennes marines, a été multiplié par quatre en 2010, et certaines technologies photovoltaïques de couches minces dépendent de métaux rares tels que l’indium, le sélénium et le gallium.

Seul le développement de capacité de stockage économique permettrait de dépasser la limite couramment admise d’un taux de 30 % d’électricité d’origine renouvelable dans le réseau. La France dispose déjà d’une capacité d’ajustement cumulée de 5 GW sous forme de stockage par retenue d’eau, en particulier grâce au barrage de Grand’Maison dans l’Isère. EDF a proposé la réalisation en Guadeloupe d’une STEP (station de transfert d’énergie par pompage) qui serait construite en haut de falaise. Les STEP marines pourront constituer une solution pour la stabilisation de l’électricité produite par les parcs d’éoliennes marines [pour autant qu’on pourra créer les réservoirs d’eau suffisants ] [4].

La production d’hydrogène, utilisable pour la méthanation (procédé de production de méthane par un mélange d’hydrogène et de gaz carbonique en présence d’un catalyseur, mis au point par Paul Sabatier, prix Nobel de Chimie en 1912) est étudiée en France par un GIE incluant Areva, Rhodia et GDF Suez.

Les futurs « réseaux intelligents » ne se substitueront pas aux dispositifs de stockage massif d’énergie, mais serviront plutôt à les intégrer, de manière optimisée, au fonctionnement du réseau électrique.

La réalité du temps énergétique face aux raccourcis politiques

La mission rappelle les étapes incontournables permettant successivement de transformer un concept scientifique en maquette expérimentale, puis en prototype opérationnel, puis en équipement industriel, puis en noyau de système industriel, avant de le transformer en vecteur d’une véritable filière économique.

Si l’on examine les quatre « grappes de technologies » en phase de développement aujourd’hui, à savoir les énergies renouvelables, les réacteurs de troisième génération, les technologies de stockage d’énergie et les réacteurs de quatrième génération, ils se dédoublent en deux groupes sur deux positions différentes le long du processus de maturation : le stockage d’énergie et la quatrième génération d’énergie nucléaire en sont au stade préliminaire de l’élaboration de la maquette expérimentale, tandis que les technologies éoliennes et photovoltaïques, mais aussi les énergies marines, tout comme les réacteurs de troisième génération en sont, peu ou prou, au stade de la mise en oeuvre d’un équipement industriel qui n’en est pas encore à bénéficier des économies d’échelle et de dimension.

A partir de là, en faisant l’hypothèse qu’un cycle de maturation dure une cinquantaine d’années, il est possible de dessiner à grands traits un calendrier « raisonné » de déploiement de ces grappes technologiques.

Avec un taux de charge moyen de 20 %, une capacité éolienne de 50 GW s’appuyant sur un système de stockage d’énergie pourra alors se substituer à une production de 10 GW en base, soit à peu près l’équivalent de 10 à 15 % de la production totale d’aujourd’hui.

On peut donc concevoir qu’à l’horizon 2050, pourvu que les technologies de stockage intersaisonnier d’énergie soient effectivement disponibles, la part de production nucléaire dans l’électricité puisse être abaissée vers 50 à 60 % de la production totale actuelle. Cet abaissement s’obtiendrait par le remplacement en fin de vie des centrales nucléaires au rythme d’un réacteur sur deux, au bénéfice exclusif de la technologie de troisième génération ; on fait l’hypothèse que l’arrivée en fin de vie, qui relève de la décision de l’Autorité de sûreté nucléaire, serait prononcée en moyenne au moment de la cinquième visite décennale (à 50 ans).

Le déclassement progressif, après 60 ans d’exploitation, des centrales nucléaires de troisième génération, donnerait lieu à une possibilité équivalente de substitution soit par des centrales de quatrième génération, soit par des équipements exploitant les énergies renouvelables en liaison avec des capacités de stockage d’énergie.

A cette échéance, ces deux types de technologie devraient être industriellement viables, c’est à dire en mesure, sans aucune subvention, de tenir le prix en vigueur sur le marché de l’électricité ; et elles seraient équivalentes du quadruple point de vue de l’offre ajustée en électricité, de l’indépendance énergétique, de la neutralité climatique, et de « l’empreinte économique », en désignant ainsi l’apport en termes d’emplois localisés sur le territoire national.

En considérant que l’énergie hydroélectrique et l’énergie thermique tirées des déchets et de la biomasse contribueront à l’assise du système électrique français pour une part qui pourrait atteindre au total 15 % de la production totale actuelle à partir de 2050, on voit qu’une composante nucléaire du bouquet électrique ramenée à 25 ou 30 % suffira pour donner à cette assise une ampleur suffisante d’au moins
40 % de la production totale actuelle. Cela laisserait une part de plus de la moitié pour les énergies renouvelables les plus productives (énergies éolienne et photovoltaïque), pour autant que leur démultiplication bénéficie de l’assentiment social dans les zones concernées, et que leur implantation soit couplée avec une gestion du stockage de l’énergie compensant complètement leur intermittence.

Conclusion : se méfier de « l’effet de ciseau »

Toute démarche de substitution qui prétendrait être plus volontariste prendrait le risque de l’incohérence climatique (CO2) et de l’impasse économique : C’est le prix relativement bas de l’électricité française, héritage de l’investissement historique de notre pays dans l’énergie nucléaire, qui permet de payer depuis 2003 la « Contribution du service public de l’électricité » (CSPE), de manière relativement indolore. Si la base de production nucléaire en vient à être brusquement réduite sans attendre la maturation des solutions de substitution, comme toute autre source d’électricité non hydraulique est plus chère, le prix final de l’électricité s’élèvera mécaniquement, réduisant d’autant la marge de revenu du client final pouvant faire l’objet d’un prélèvement. La ressource pour soutenir le déploiement des énergies renouvelables se tarira donc au moment même où ce déploiement aura au contraire besoin d’être accéléré pour compenser le déficit d’électricité provoqué par l’arrêt a priori des centrales nucléaires !

Un tel arrêt précipité enclencherait donc un cercle vicieux qui contrarierait l’objectif d’accroître la place des énergies renouvelables ; il conduirait en outre à une détérioration du bilan en CO2 via un recours contraint à un supplément d’énergies fossiles. C’est là l’illustration d’un « effet de ciseau » : une trajectoire trop directe pour obtenir des bénéfices va activer d’elle-même des facteurs antagonistes accroissant à rebours des charges et des contraintes au point d’annihiler les gains souhaités.

Il serait irresponsable d’estropier notre pays en le lançant dans le vide pour s’éviter d’attendre les deux ou trois décennies indispensables à la mise au point d’innovations suffisamment robustes.

ANNEXE : AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DES 3 SCÉNARIOS ÉTUDIÉS

1 - SORTIE DU NUCLÉAIRE : [une solution ruineuse pour notre économie (Patrick Michaille)]
- Aggravation du déficit commercial de 25 milliards d’euros pour un déficit actuel de 50 milliards d’euros
- 400 000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire
- Faillite et délocalisation des entreprises victimes de l’électricité chère
- L’émission CO2 du kWh passe de 90 grammes à 210 grammes
Coût d’ajustement :
- Démantèlement des 59 réacteurs et des installations aval et amont de la filière : des dizaines de milliards d’euros.
- Création d’une capacité de 63 GW de production à flamme : 60 milliards d’euros
- Installation d’une capacité en énergies renouvelables de 30 % du parc des centrales à gaz
(10 milliards d’euros pour 3 GW) : 150 milliards d’euros

2 - MAINTIEN DU PARC ACTUEL : [une solution risquée en termes d’acceptation (Patrick Michaille)]
- Maintien d’un prix bas et stable de l’électricité.
- Consolidation de la sûreté par des centrales de troisième génération.
- La filière de gestion des déchets poursuit les recherches sur la transmutation.
- Les réacteurs de quatrième génération sont déployés à partir du milieu du siècle.

Mais le parc nucléaire est exposé au syndrome japonais : toutes les centrales nucléaires sont arrêtées si un accident survient, ce qui ramène au scénario précédent.

3 – DURÉE DE VIE À 50 ANS ET RENOUVELLEMENT PARTIEL DU PARC
- Le remplacement d’un réacteur sur deux en fin de vie (50 ans, sous réserve de l’avis de l’ASN) par des EPR ramène la part électronucléaire de la production d’électricité à moins de 2/3 de la production totale actuelle vers 2036 (ce qui suppose la construction à cette date d’une vingtaine d’EPR).
- Le remplacement des deux derniers réacteurs de deuxième génération (Civaux) en 2052 ramène cette part à près de la moitié de la production électrique totale actuelle avec un parc d’une trentaine d’EPR.

Le scénario laisse un délai pour faire émerger des solutions alternatives :
- Développement de la sobriété énergétique (bâtiments passifs)
- Déploiement à grande échelle des solutions de stockage d’énergie
- Utilisation à plein du potentiel des « réseaux intelligents »

Le scénario permet le maintien de l’atout industriel français dans la filière :
- Renforcement de la sûreté grâce au remplacement par des EPR
- Conservation de la compétence d’ingénierie grâce aux constructions
- Poursuite des recherches intéressant la transmutation des déchets
- Déploiement des premiers réacteurs de quatrième génération vers 2050

Ce texte est accessible sur le site du G.A.S.N. :
http://www.energethique.com/fiches_d_actualite/GASN_actu_3.pdf

Le rapport lui-même est sur le site de l’Assemblée Nationale.

Patrick Michaille est également membre du GR21 (Groupe de Réflexion sur l’énergie et l’environnement au 21ème siècle) de la SFEN (Société Française de l’Energie Nucléaire).

Voir aussi sur le site, à propos des questions relatives à l’énergie, la note de Denis Cohen Nucléaire : débattre avant de décider.

Notes :

[1Parmi les députés : Yves COCHET pour EELV, François GOULARD, Jean-Yves LE DEAUT ; parmi les sénateurs : Chantal JOUANNO.

[2Sur l’exploitation du lignite en Allemagne : « Des excavateurs à godets gigantesques, longs de plus de deux cents mètres et hauts de près de cent mètres, pesant plus de treize mille tonnes, peuvent chacun déplacer, en une seule journée, deux cent mille tonnes de minerai, acheminé sur des convoyeurs, puis un réseau ferré dédié, jusqu’aux centrales électriques. Rien ne semble devoir s’opposer à l’activité d’excavation de ces titans, pas même les villages ou les routes situés sur leur chemin, déplacés avant leur passage pour être reconstruits, quasi à l’identique, un peu plus loin, alors que le reboisement permanent permet de recréer le paysage en quelques années. » (p. 82 du rapport).

[3Autorité de régulation des communications électroniques et des postes

[4Une STEP a un rendement de 82% ; pour produire 50 MWh, il faut faire chuter de 90 m un million de tonnes d’eau, soit une capacité d’un km de côté sur 1 m de profondeur.


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