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Il s’agit de réfléchir au fait qu’élever un enfant ne suffit pas à l’inscrire dans une parenté...
Par Jean-Pierre Winter, psychanalyste

J’aimerais être convaincu que la promesse de François Hollande est le fruit d’une réflexion approfondie et qu’il ne s’agit pas d’une simple adaptation à l’air du temps ! J’aurais aimé que François Hollande tienne compte des débats qui ont eu lieu lors de la révision des lois de bioéthique. Quelques arguments ont été alors avancés qui n’étaient pas seulement inspirés par une morale caduque ou des dogmes religieux. Cela étant, son embarras sur ces questions se trahit dans sa prise de position – que je partage – contre la grossesse pour autrui, qui aurait pour conséquence une inégalité de fait entre les couples lesbiens et les couples d’hommes !

Encore une fois, nul ne doute des capacités pédagogiques et de l’amour que des homosexuels sont à même de mettre au service d’enfants dont ils auraient la charge, ni ne prétend que les familles dites «  traditionnelles  » seraient a priori plus compétentes pour éduquer des enfants. Mais il s’agit de réfléchir au fait qu’élever un enfant ne suffit pas à l’inscrire dans une parenté. L’enjeu est celui des lois de la filiation pour tous.

Comme psychanalystes nous ne sommes que trop avertis des conséquences anxiogènes à long terme des bricolages généalogiques commis au nom de la protection d’intérêts narcissiques, religieux, économiques ou autres. Jusqu’à présent ces manipulations, souvent secrètes, pouvaient être entendues comme des accidents historiques, des conséquences de troubles psychologiques, des effets d’aliénation, etc. Mais voilà que l’«  accident  » devrait devenir la loi.

Voilà que François Hollande veut organiser légalement des arrangements qui priveraient a priori certains enfants de leur père ou de leur mère. Et il nous faudrait croire, simplement parce qu’on nous l’affirme, que cela serait sans effets préjudiciables alors que nous pouvons constater jour après jour la souffrance et l’angoisse de ceux que la vie s’est chargée de confronter à de tels manques.

Certains, à droite comme à gauche, semblent convaincus qu’un enfant se portera bien du moment qu’il est aimé. Le grand mot amour est lâché ! Cet argument est dangereux. Il est culpabilisant pour tous les parents qui ont chéri leur enfant et qui néanmoins l’ont vu dériver et s’acharner contre eux dans la colère ou la haine. Au reste, qui peut dire avec certitude la différence entre amour et allégation d’amour ? Qu’on ne nous dise pas, sans rire, que nombre d’études américaines, canadiennes, finnoises ou autres démontrent que les enfants élevés avec des parents du même sexe vont, aujourd’hui, aussi bien que les autres. Jamais citées, au demeurant, elles ne sont pas plus pertinentes que la présence de cellules de crise psychologique lors de la moindre catastrophe car la psychanalyse nous a appris que les effets d’un trauma ne sont déchiffrables qu’après son refoulement, et donc dans l’après-coup.

Il nous faudra du temps pour constater empiriquement ce que nous savons déjà. Mais dans l’intervalle combien d’enfants auront été l’objet d’une véritable emprise purement expérimentale ? Il faudra plusieurs générations pour apprécier les conséquences de telles modifications dans le système de la filiation surtout si par voie de conséquence logique on en vient, comme en Argentine récemment, à effacer purement et simplement la différence des sexes en laissant à chacun le droit de déclarer le genre qui lui sied par simple déclaration.

Pour ma part, si je ne vois pas de véritables objections à ce que des enfants soient adoptés par des couples quels qu’ils soient à condition qu’ils se sachent issus d’un homme et d’une femme, même abandonniques, j’ai les plus grands doutes sur les effets des procréations faisant appel à des tiers voués à disparaître de l’histoire d’un sujet d’emblée dépossédé d’une moitié de sa filiation avec le consentement de la loi. Il y aurait lieu avant de légiférer à la hache de signifier clairement que «  l’humanité est sexuée et que c’est ainsi qu’elle se reproduit  », comme le disait la sociologue Irène Théry en 1998, se demandant pourquoi nous en venions à nier ce fait.

Texte paru dans L’Humanité des débats du 24 mai 2012

A lire également sur ce sujet sur le site : L’accident ne doit pas devenir la loi, également de Jean-Pierre Winter ; La revendication d’homoparentalité et le malaise dans la culture, de Denis Collin


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