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Voulons-nous des enfants barbares ? Le dernier livre de Maurice Berger.
Par Remi Boyer

Maurice Berger est un spécialiste de renommée mondiale de l’aide et de
la protection de l’enfance. Chef de service en psychiatrie de l’enfant
au CHU de Saint-Etienne, ex-professeur associé de psychologie à
l’Université Lyon 2, psychanalyste, ses travaux font autorité. Ajoutons,
et ce n’est pas rien, que contrairement à nombre de ses collègues qui se
cachent derrière leur jargon, ses travaux et ses écrits sont lisibles et
compréhensibles par le plus grand nombre.

Voici des années que Maurice Berger met en évidence nos égarements, nos
dénis, nos incompétences sociétales en matière de protection de
l’enfance. En 2004, il avait commis un ouvrage qui avait fait grand
bruit, intitulé L’échec de la protection de l’enfance [Paris, Dunod 2004 ] dans
lequel, après un constat accablant, il proposait des pistes très
pertinentes qui ne nécessitaient pas de moyens financiers
supplémentaires. Il ne fut pas entendu malgré le soutien massif des
professionnels. Il a notamment alerté, dès janvier 2004, sur la
résidence alternée chez les enfants de moins de six ans, dénoncée comme
une situation à haut risque psychique.

En 2007, il alertait de nouveau avec un livre au titre provocateur, Ces
enfants que l’on sacrifie
[Paris, Dunod 2007 ]. Quelques mois plus tard, il
récidive avec un nouveau livre Voulons-nous des enfants barbares ?,
paru chez Dunod, fin 2008.

Maurice Berger présente ainsi son livre :

« La quasi-totalité des enfants et préadolescents auteurs de violences
extrêmes ont été soumis tout petits, le plus souvent par leurs parents,
à des relations particulièrement défectueuses entraînant des
traumatismes relationnels précoces.

Pour faire face à ces traumatismes, ces enfants ont, dès les premières
années de leur vie, mis en place des processus de défense incluant la
violence. Devenus adolescents ou adultes, beaucoup blesseront, voire
même violeront ou tueront.

Leur prise en charge thérapeutique est de résultat aléatoire, pourtant
les connaissances scientifiques qui permettraient une vraie prévention
existent. Seule la France refuse de les prendre en compte car ce savoir
bat en brèche un bon nombre de croyances. Le lien de causalité entre
traumatisme relationnel précoce et violence fait en effet chez nous
l’objet d’un déni volontaire et sans remède.

Le nombre d’enfants « barbares » qui n’ont pas la liberté interne de ne
pas frapper va continuer à croître si nous ne parvenons pas à modifier
notre manière de penser. Cet ouvrage veut y contribuer. »

Il ne s’agit aucunement d’un propos alarmiste mais de la prise en compte
lucide de ce que constate les praticiens de la protection de l’enfance,
de la Santé de l’Education Nationale comme ceux de la Justice des
mineurs. Prévenir et traiter la violence extrême sera une des grandes
questions de société des toutes prochaines années.

La spécificité franco-française tient notamment dans cette constante
pointée, entre autres, par Stefano Cirillo : « En France, quand les
faits et la théorie ne coïncident pas, on considère que ce sont les
faits qui ont tort »
. Nos résistances idéologiques nous empêchent de
traiter la situation telle qu’elle est et de prendre la mesure de la sa
gravité. Nous vivons dans plusieurs illusions dont celle du maintien de
la relation parents-enfant même quand celle-ci est dramatiquement
destructrice pour l’enfant ou, celle, parfois tout aussi toxique du
maintien de la relation entre les membres de la fratrie[Ces deux illusions naissent de l’idéologie dominante de la famille comme cellule de base de la société et conduit à une surévaluation de sa nécessité et à la soumission à des dictats issus de la religion. Toutefois, ces illusions servent aussi les plans comptables de gouvernements. Le placement en institution présente un coût élevé en effet pour la société ce qui explique pourquoi nombre d’enfants mis en danger par leurs parents ne sont pas retirés. ].

Maurice Berger dresse rapidement la liste des causes du retard français :

-  Notre difficulté à nous identifier à la victime.

-  Notre tendance à regrouper les différents types de violence des
mineurs en une seule vaste catégorie, sans faire les distinctions
nécessaires à leur compréhension.

-  L’ignorance de la période originaire de la violence pathologique
extrême qui s’installe très tôt et est souvent déjà fixée à l’âge de
deux ou trois ans.

-  La sous-estimation de la complexité des processus en jeu.

-  La sous-estimation du jeu et des interdits cohérents comme vecteurs
d’élaboration permettant à l’enfant de transformer cette violence.

Il analyse ensuite les composants et les mécanismes de la violence
pathologique extrême avant d’examiner les prises en charge possibles et
de faire un certain nombre de propositions concrètes. Ses travaux et
ceux de ses équipes ont permis d’établir des faits qui doivent nous
inciter à changer nos modalités de prévention, d’intervention et d’aide.
Maurice Berger met en évidence que « L’impact des traumatismes
psychiques est d’autant plus important qu’il est précoce. »
La vision
par un nourrisson de scènes de violence conjugale est bien
traumatisante. Il rappelle, ce qu’il avait déjà abordé dans d’autres
ouvrages[L’enfant et la souffrance de la séparation de Maurice
Berger. Paris, Dunod 2003 ], qu’un enfant traumatisé peut connaître de
véritables moments hallucinatoires pendant lesquelles des images ou des
sensations de scènes de violence sont totalement actualisées. Constatant
que « Tout traumatisme répétitif entraîne une sidération plus ou moins
importante de la pensée »
, il invite à évaluer le niveau de
développement de l’enfant le plus précocement possible. L’enfant connaît
des sentiments de solitude, d’abandon, de culpabilité, d’angoisse, de
terreur, profonds qui vont bien sûr hypothéquer un développement
harmonieux. Il présentera fréquemment des clivages qui lui permettent
aussi de survivre à une situation intolérable. Il lui sera impossible de
se construire pleinement comme sujet.

Maurice Berger aborde également dans ce livre d’autres formes de
violence, notamment la violence sexuelle des jeunes violeurs. C’est à
une révolution de la relation d’aide qu’invite Maurice Berger. Pour cela
il demande que les questions soient posées sans et hors des cadres
idéologiques. A la question Peut-on repérer et prévenir la violence
pathologique avant trois ans ?
, question qui fait scandale, il répond
oui mais probablement pas en France et s’appuie sur l’exemple du Québec
pour montrer la nécessité de formations adaptées et obligatoires,
d’utilisation de référentiels précis d’évaluation des situations de
dysparentalité, de mise en place de nouveaux dispositifs de recherche
dans les universités.

C’est un chantier important et vital qui ne saurait attendre pour « 
soigner la pensée ».

Commentaire de Philippe Pivion

S’agissant du livre de Berger. Je suis un peu inquiet de lire ce qu’il écrit et de voir le commentaire. Comment ne pas faire le rapprochement avec la tentative de Sarkozy de criminaliser les enfants dès leur naissance, ce qui a conduit au fameux texte:pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de 3 ans ! En fait, je crois réellement que les lobbies pharmaceutiques font tout pour vendre encore plus de camisoles chimiques.

Ensuite, je crois, comme l’auteur, que la violence engendre la violence. Mais, pour moi, parmi les premières violences, il y a celles collectives qui proviennent de la société et de ses délitements. La crise actuelle est violente, elle alimente des peurs et des frayeurs, elle mutile des familles dans leurs biens, dans leur emploi, dans leur vie. On ne peut simplement regarder la violence nouvelle vécue dans l’enceinte familiale, déconnectée de ce qui se déroule dans l’environnement proche.

Partir de l’éclatement familial pour en conclure qu’il est générateur de troubles pathologiques est également spécieux. En effet, si des enfants sont confrontés (comme il est dit à la fin de l’article) à un conflit entre père et mère, et que ceux-ci ne se séparent pas, le conflit deviendra alors une normalité existencielle de l’enfant. Un enfant, dès lors qu’il lui est signifié qu’il n’est pas responsable d’un conflit entre adultes peut très bien vivre une séparation, si lui-même ne devient pas objet de jouissance dans le cadre de la séparation.

Dans le cadre de la structuration de l’enfant, il y a la recherche du donneur de Loi. Dans la conception freudienne, c’est le rôle du père, ce qui ne veut pas dire obligatoirement le père biologique, mais celui qui assume cette fonction. Si le père est détruit dans sa fonctionnalité, par le fait du chômage, de la perte d’identité, et si l’enfant ne trouve pas un porteur de Loi, il y a risque pour lui de se donner des lois qu’il prendra au hasard de ces rencontres. Si la mère, pour combler une absence, pour donner plus d’amour aux enfants, les engluent dans une colle affective, les enfants n’auront que la violence comme outil de décollage.

Je pense donc, qu’il ne faut ni entrer en catastrophisme, ni dans l’inaction. La barbarie évoquée, c’est la perte des re-pères. C’est donc une question qui relève du politique : quelle place occupe chacun dans une société harmonieuse ? Comment aujourd’hui alors que tout un monde vacille, la famille serait-elle à l’écart de ce vacillement ?


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