Jeudi soir, je l’avoue, j’ai regardé la prestation télévisuelle de qui-vous-savez en dilettante. En zappant... D’abord avec mauvaise conscience ("non, non, tu es journaliste, tu dois le regarder") puis, au fil des heures, avec soulagement ("que c’est long, long, long")... Je pense ne pas être le seul.
Inutile de cultiver le suspense. Cette nouvelle compilation des tubes du sakozysme est usée, usée, usée... Cette parole est dévaluée, dévaluée, dévaluée... La sécurite blabla, les jurés "populaires" en correctionnelle blabla... Les voyages de ministres blabla... Les 35 heures blabla... Aucun intérêt.
On notera cependant une innovation journalistique majeure : désormais, la question qui dérange le président et fait tache dans le conducteur est posée par madame Bellepaire de Loches, via Internet. C’est ainsi que fut abordée l’affaire des avions "air MAM" et "air Fillon". Le journalisme avance.
A part cela, le Stéphane Hessel qui sommeille en moi a eu au moins une occasion de s’indigner. Je m’explique. Délaissant, au cours de mon zapping, "Envoyé Spécial" pour voir où en était le Bedos de droite de l’Elysée, j’ai eu le temps de saisir une de ces phrases cultes dont le président est coutumier. J’ai choisi de la relever parce que vu les commentaires convenus du matin, je crains qu’elle ne passe à l’as. Attention ! Citation :
"La génération d’avant la mienne, son projet c’était la guerre".
Pour rappel, la génération qui précède celle du président de la République est celle qui est née avant, pendant et après la Grande Guerre. Cette génération est celle des monuments aux morts et a été élevée dans le culte des 1.300.000 morts français de la Première Guerre mondiale. Les parents de cette génération ont eu pour principal projet de faire en sorte que cette saignée de 14-18, voulue par l’Allemagne du Kaiser et de ses militaires, soit la "Der des der", et ce afin d’éviter que les jeunes gens nés dans les années 10,20 et 30 du 20e siècle ne connaissent pas un nouveau conflit sanglant.
Paradoxalement, cette détestation de la guerre a empêché la France de se préparer en temps voulu à l’inéluctable affrontement contre l’Allemagne devenue nazie. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, une génération fut élevée dans l’horreur et le rejet de la guerre se retrouva in fine à combattre le nazisme. Ce phénomène "pacifiste" des années 20-30 mena droit à L’Etrange défaite dont les causes sont traitées par Marc Bloch dans le livre du même nom (livre qui n’a pas pris une ride et dont l’analyse de l’esprit français vaut encore pour la France d’aujourd’hui). Cette France des petites villes, rurale et tranquille, celle des parents de la génération qui précède celle de l’actuel président, ne voulait tellement plus de guerre qu’elle se retrouva acculée aux accords de Munich. En 1936, conscient des périls, le gouvernement de Front populaire de Léon Blum (contraint de réparer le retard accumulé par la droite bourgeoise au pouvoir qui préférait, elle, "Hitler au Front populaire") avait pourtant entamé le processus de modernisation de l’armée française, mais il était déjà trop tard. Ce processus avait été mené non pas avec le projet de préparer la guerre pour la guerre, mais tout simplement avec le projet de se préparer à combattre le Nazisme, nuance qui échappe au président de la république.
En gros, la génération qui précède celle du président n’a jamais eu pour projet la guerre, mais elle y fut contrainte, mal préparée moralement et militairement, alors qu’il s’agissait de combattre le nazisme. En un sens, elle fut triplement victime : des choix de la génération de 14-18, du manque de patriotisme de la droite bourgeoise au pouvoir et de la montée du nazisme.
Je concède que ce qui précède est un résumé à grands traits, mais l’essentiel y est. C’est bien suffisant pour comprendre qu’hier soir, avec une inconcevable légèreté, l’actuel président a réussi à cracher d’un coup sur les deux générations de Français qui furent contraintes de combattre l’Allemagne du Kaiser puis l’Allemagne nazie, le tout en leur imputant la responsabilité de deux guerres mondiales. Chapeau.
Historiquement faux, politiquement odieux, moralement inadmissible, le verbe sarkozyste demeure tel qu’en lui même. Hors d’une certaine idée de la France.
Publié sur le site "Le Post" le 11 février 2011