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" Portugal, Etat d’Urgence "
Rémi Boyer évoque ce livre de Mario Soares

Le 25 avril 2014, le peuple portugais fêtera le 40ème anniversaire de la Révolution des œillets, mais de quelle manière ? Alors que le Portugal s’enfonce dans une crise voulue et contrôlée par la haute finance dans l’indifférence générale, il n’est pas impossible que l’armée, toujours très populaire depuis la révolution d’avril 1974, décide d’intervenir pour redonner le pouvoir au peuple. Ce serait un signe puissant envoyé à une Europe en panne politique. Depuis deux années, les Capitaines d’Avril refusent de participer aux cérémonies d’anniversaire au côté des autorités du pays. Le gouvernement essaie d’anticiper un possible coup d’Etat que de plus en plus de gens, dans une souffrance silencieuse mais terrible, appellent de leurs vœux.

Dans Le Monde du 10 décembre 2013, Cristina Semblano, économiste qui enseigne l’économie portugaise à l’université Paris IV, évoque une « économie de guerre au Portugal » qui entraîne une émigration de masse, aussi importante que dans les années 60, sous la dictature, mais de nature différente. Beaucoup de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ne reviendront pas. Elle dénonce la politique économique imposée par la troïka dont le seul effet est un enrichissement criminel des banques et des hautes finances sur le dos des peuples.

Depuis deux années, Mario Soares qui, après avoir combattu la dictature, fut deux fois président de la République portugaise, fait le tour des capitales pour dénoncer les effets dévastateurs du néolibéralisme. Il traite bien sûr de la situation portugaise mais glisse, avec justesse, que cette situation nous concerne tous. Elle est symptomatique de « l’asphyxie générale qui accable les pays d’Europe ».

Ses interventions sont rassemblées dans un livre, disponible en français, langue qui lui est familière, sous le titre Portugal, état d’urgence, publié aux Editions de la Différence.

Il nous rappelle tout d’abord que le Portugal « n’est pas un petit pays, comme on le pense, parce qu’il possède la plus grande zone économique exclusive de l’Union européenne, et une plateforme continentale très vaste et riche, encore en extension. Et une langue qui est la troisième langue européenne la plus parlée et la cinquième du monde. »

Mario Soares regrette la presque disparition des démocrates-chrétiens d’Europe co-fondateurs avec les socialistes de l’Union européenne. Ils furent supplantés par les néo-libéraux, auteurs d’une dérégulation sanglante et inhumaine contre l’Etat social, rendant impossible un véritable changement de politique en Europe et stoppant la construction politique européenne. Il dénonce également le manque de vision, d’éthique, de courage et d’ambition des responsables politiques européens et évoque le projet fédéraliste et environnemental des Etats-Unis d’Europe, comme « grande puissance collective », qu’il convient de relancer.

Il note, tout comme Jacques Delors, que « L’opinion publique européenne a compris que le seul effet de l’austérité est d’accroître les difficultés, parce qu’elle favorise la récession économique dans les pays qui l’appliquent et fait augmenter, sans que rien ne l’arrête, le fléau du chômage. »

Concernant le Portugal, il appelle ouvertement à la démission du gouvernement, voire à son renversement, et au départ de la troïka. En mars 2013, il disait :

« Ce gouvernement, qui n’a pas honte – sinon il aurait déjà compris qu’il doit partir – ne se contente pas d’alimenter la troïka et de détruire l’économie et les finances. Il remet aussi délibérément en cause notre jeune démocratie et la morale des Portugais, héritées du 25 avril. Lorsque le peuple ne compte pas et qu’il n’a pas de voix, il est clair que la démocratie s’effondre. A commencer par les partis politiques et l’Etat social, qui nous a demandé tant de travail, les syndicats et l’environnement, sans oublier notre mer, dont on parle tant, mais pour laquelle rien n’est entrepris. Et il y a urgence. Beaucoup d’étrangers lorgnent notre situation avec convoitise. (…)

Le Parti communiste va présenter devant l’Assemblée de la République une demande de démission du gouvernement. Elle est opportune. Moi, socialiste, si j’étais député, je n’hésiterai pas à voter pour. »

Depuis mars 2013, la situation a continué à se dégrader. La ville de Porto, surnommée Cidade invicta, « la ville invaincue », a rassemblé une centaine de personnalités, anciens maires, recteurs, chefs d’entreprise, scientifiques, l’évêque de Porto et d’autres, contre le gouvernement.

Mario Soares met également en évidence l’aveuglement et l’égoïsme de l’Allemagne de la chancelière Merkel qui a soutenu la politique d’austérité et contribué à l’étranglement de la Grèce.

Son propos ne concerne pas seulement le peuple portugais. En analysant la situation portugaise, nous pouvons nous rendre compte que les processus néolibéraux toxiques à l’œuvre à Lisbonne, relayés par le FMI, se répliquent à l’identique dans la toute la zone euro. Dès lors, nous pouvons, nous devons, entendre la situation portugaise comme étant nôtre.

« Tout ça pourquoi ? demande Mario Soares, Parce que le gouvernement est d’une incompétence absolue et s’accroche à l’idéologie néolibérale et à l’austérité, qui détruit l’Etat social, appauvrit terriblement notre peuple – y compris ceux qui ont voté pour lui – et a déjà fait plus d’un million de chômeurs et de malheureux qui souffrent de plus en plus des coupes successives et anticonstitutionnelles que subissent leurs pensions.

Une austérité imposée par la troïka qui, tout le monde s’en rend compte, nous conduit à la catastrophe, voire à l’abîme. Pour quoi faire ? Pour enrichir les marchés spéculatifs, qui dominent aujourd’hui les Etats et pas seulement ceux du Sud, qu’on appelait périphériques, ce qu’ils ne sont pas et n’ont jamais été.

Pour cette raison – et pour toutes celles dont je ne parlerai pas par manque de temps – nous devons obtenir la démission d’un gouvernement si têtu, si avide de pouvoir, indifférent à la haine que les Portugais lui manifestent quotidiennement. »

Le Portugal, qui nous a offert le monde entier et une culture exceptionnelle, peut nous montrer, une fois encore, le chemin vers un autre monde. Sur la question d’une révolution européenne, Mario Soares répond :

« Vous savez que le 25 avril 1974 une révolution a eu lieu au Portugal, avant que ne tombent les autres dictatures d’Europe occidentale : la Grèce et l’Espagne. Nous avons été les premiers. Grâce au Mouvement des forces armées, MFA ! (…)

Aujourd’hui, nous pouvons être à nouveau les premiers à en terminer avec l’austérité, mais pour cela il faut que le gouvernement démissionne ou tombe. Le plus vite possible. Quant à une révolution (pacifique !) en Europe, pour mettre un terme à la crise, elle arrivera en son temps. C’est inévitable. J’espère que le Portugal y contribuera par son exemple. »

Depuis la parution de ce livre, fin 2013, on a tenté de discréditer Mario Soares. Le gouvernement a essayé de faire croire au peuple que la situation s’améliore alors que les dégradations sont évidentes, faillites en série, déficit public supérieur à celui établi avant l’arrivée de la troïka, chômage encore en hausse.

Le peuple portugais semble impuissant, cependant les récents événements dans d’autres pays indiquent que les peuple sont capables de se réveiller au moment où on les attend le moins. La Faute à Diderot sera au côté du peuple portugais fin avril pour le 40ème anniversaire d’une révolution exceptionnelle et toujours porteuse d’espoirs.


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