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Ma lettre d’automne
Un texte de Thierry Renard

« La révolution ou la mort », ce slogan n’est plus l’expression lyrique de la conscience révoltée, c’est le dernier mot de la pensée scientifique de notre siècle. Ceci s’applique aux périls de l’espèce comme à l’impossibilité d’adhésion pour les individus. Dans cette société où le suicide progresse comme on sait, les spécialistes ont dû reconnaître, avec un certain dépit, qu’il était retombé à presque rien en France en mai 1968. Ce printemps obtint aussi, sans précisément y monter à l’assaut, un beau ciel, parce que quelques voitures avaient brûlé et que toutes les autres manquaient d’essence pour polluer. Quand il pleut, quand il y a de faux nuages sur Paris, n’oubliez jamais que c’est la faute du gouvernement. La révolution fait le beau temps.
Guy Debord, La planète malade.

Maintenant que la rentrée littéraire a véritablement eu lieu, et alors que le mouvement social semble un peu fatigué, je reviens à la charge avec mes mots du jour. Tout ça va finir par laisser des traces durables ; je parle ici des manifestations de ces temps derniers, et non du millier d’ouvrages venant de paraître. Tout ça nous frappe, qu’on le veuille ou non, de plein fouet. L’injustice est rarement bonne pour le moral. Et nous n’en avons pas terminé avec l’amertume et les rancœurs. C’est pourquoi, notamment, je suis fier de continuer à me déclarer communiste, fier d’appartenir à la tribu de celles et de ceux qui voudraient bien connaître un jour, même éloigné, un monde différent. Il faudrait, certes, peut-être argumenter, développer… Voire, encore, éclaircir les ténèbres…

Mon communisme n’a pas une goutte de sang sur les mains. Il témoigne d’une radicalité généreuse et, comme le dirait Michel Onfray, existentielle. C’est un communisme de l’instant présent, de l’instant vécu. Et, chez moi, l’intuition est suffisante. Elle est, le plus souvent, ma propre vérité. L’intuition, qui m’accompagne depuis toutes ces années, n’a changé ni de destinataire ni de destination. Elle a conservé rythme et souffle, images et mots. Elle a parcouru de très nombreux paysages, vécu des expériences originales et connu, à certaines reprises, des moments pénibles. Mais elle a résisté à l’usure. C’est bien là l’essentiel. La misère ne m’a jamais laissé indifférent.

Il y a des livres incontournables, des chocs qui bouleversent une vie d’homme et aussi, par ricochets, sûrement un peu le monde. Parmi les œuvres qui ont compté à mes yeux, il y a bien entendu celle de Paul Éluard. Et celle, encore, de Pierre Reverdy. Deux moissons d’espérance vive. Deux chemins peuplés d’obstacles, mais à la circulation cependant libre et évidente. Paul Éluard m’a, très régulièrement, ouvert la voie. Celle de l’amour fou et de la poésie ininterrompue, celle de la vie immédiate… Pierre Reverdy, c’est autre chose. Comme s’il m’avait remis, une fois pour toutes, les clefs de l’énigme. La plupart du temps, il m’a tout simplement permis de remonter jusqu’aux sources du vent. Deux manières distinctes, sans doute, d’aborder la poésie. Chacun se faisant son propre cinéma. Chacun se racontant sa propre histoire. Mais la poésie a traversé ces deux êtres, continuellement. Chez le premier, elle est naturelle. Elle coule presque fluide. Chez le second, elle retient ses images et ses mots, et elle dit beaucoup plus que nos amours ou que notre banalité.
La poésie est sans importance, et pourtant, sans elle, nous manquerions déjà de tout. Pierre et Paul sont mes amis, leurs vers flamboient dans mes nuits agitées.

En ces temps dispersés, nous savons comment, désormais, nous défaire de nos liens étroits, de nos plus fines attaches…

J’ai encore une page devant moi, une page pour écrire, une page à remplir. Actuellement je me sens plutôt mieux qu’auparavant. Je ne navigue plus à vue, je parcours mon expérience, je redistribue l’aventure. C’est un voyage moins risqué, mais tellement plus intelligent. Un jour, j’écrirai sur la force du communisme, sur cet idéal, cette utopie… Et j’écrirai, pareillement, sur la poésie, sur la puissance, même clandestine, du poème, sur ses élans fabuleux et sur ses modestes retombées.
Je peux bien, en même temps, suivre la voie de la non-violence tracée par Gandhi et celle, peut-être moins généreuse mais résolument tournée vers le futur, décrite par Gramsci. Les deux ne sont pas incompatibles. Elles poursuivent presque un même but. Elles convergent, quelquefois. Deux voies pour une seule route. Une seule piste. Mais j’aime, encore, Marguerite Duras et Christian Bobin, deux étoiles filantes dans mon ciel de nuit en neige et en feu. Duras et Bobin, comme deux proses aux aguets, authentiques et déshabillées. Il faudrait arrêter de se défier de ces deux-là. Je les préfère, de très loin, à Virginie Despentes et à Michel Houellebecq. Je ne suis guère adepte de l’antihumanisme, de la vulgarité la plus crue et de la violence la plus gratuite. Chacun a ses faiblesses ou ses doutes.

J’ai vécu, jusqu’à ce jour, dans une oisiveté bienveillante.

Saint-Fons, le 7 novembre 2010 ; Saint-Julien-Molin-Molette, le 14.


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