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"Les démiurges scientifiques" de Jean-Pierre Laigle
La critique de Rémi Boyer

Jean-Pierre Laigle (pseudonyme Rémi-Maure) fut un spécialiste très apprécié de la science-fiction, auteur de plusieurs essais et romans. Il nous a quittés en 2020.
Dans cet ouvrage, il s’intéresse aux démiurges scientifiques. Ce thème s’est développé peu à peu depuis un siècle. D’abord traité de manière superficielle, il est devenu de plus en plus sophistiqué pour interroger notre rapport à la science et la technologie. Jean-Pierre Laigle s’intéresse d’abord aux précurseurs du genre avant d’aborder trois sujets : La création de peuples nains dans la science-fiction – La Cosmanthropie, un aspect du transformisme cosmique chez l’homme dans la science-fiction – L’audition transtemporelle dans la science-fiction.

A l’origine de l’apparition du thème des peuples minuscules dans la SF, nous trouvons Paracelse qui inspira John Hargrave (1894-1982) et David H. Keller (1880-1966) avec son homonculus. Création d’humains minuscules, miniaturisation d’êtres humains ou autres, les auteurs s’appuient plus ou moins selon la biologie. Exemple avec Les Myrmidons de Raymond E. Banks, publié en français en 1955 :
« Les Myrmidons sont de minuscules êtres protoplasmiques vivant sous un dôme au centre d’un auditorium installé au Pentagone. Ils sont 250 000 et servent de sujets d’expérience et de test aux candidats aspirant à une carrière politique. A cette époque, il n’est plus question de faire gérer la société par des amateurs.
C’est l’histoire d’un candidat. Il a six heures pour démontrer ses compétences, soit un an de la vie des Myrmidons. Grâce à un casque, il devient leur dieu par procuration. Pour leur imposer sa volonté, il les manipule. Il peut les tuer à distance, faire des miracles et contrôler la météorologie. Mais il a pour rival un roi qui répand l’athéisme et doit déchaîner une guerre civile pour l’éliminer. Pour rendre plus réaliste l’examen, ces créatures sont dotées de sentiments humains, mais sont sacrifiés sans pitié. Cela donne la mesure de cette satire de l’aliénation politique. »

La cosmanthropie questionne la conception même de l’évolution humaine et les limites de son adaptation à travers l’exploration spatiale. Beaucoup d’auteurs envisagent la transformation de l’espèce en « tout autre chose ». Exemple avec Michèle Laframboise dans La Cousine Entropie (2016) :
« Au bout de 887 milliards d’années, l’humanité, asexuée, immortelle, méconnaissable à force de rajouts, évolue sans avoir besoin d’astronefs dans un Cosmos privé d’énergie par l’entropie, encombré de cadavres d’étoiles et infesté de trous noirs invisibles faute de lumière courbée pour les démasquer. C’est pourtant dans celui qui ronge le cœur de la Voie Lactée qu’elle s’apprête à plonger pour accéder au-delà à un nouvel univers… »

Avec l’audition transtemporelle, les auteurs cherchent des solutions pour retrouver les événements passés et les protagonistes afin de les actualiser. Certains cherchent à voir, d’autres privilégient l’audition.

L’ouvrage restitue également un entretien avec Jean-Pierre Laigle conduit par Christian Tamas. Nous découvrons que les enjeux de la SF ne sont pas seulement littéraires, ils sont aussi politiques :
« Comment qualifieriez-vous la SF française (et francophone) au cours des 25 dernières années en termes de l’américanisation, omniprésente, l’anglais étant devenu la première langue de communication dans le monde, propulsé aussi par la généralisation de l’Internet (phénomène qu’on appelle par euphémisme « mondialisation »), et vis-à-vis du succès mondial de la littérature anglo-saxonne de masse ?
Comme une SF assiégée, et pas seulement depuis 25 ans. La SF française défend son marché contre la production anglophone tout comme la SF québécoise défend le sien contre la production française et anglophone. Toutes deux bénéficient un peu d’aides d’état. La SF mondialiste, c’est-à-dire états-unienne, est un rouleau compresseur qui nivelle tout partout où s’impose l’ultra-libéralisme que les USA ont déclenché avec l’anglais comme véhicule culturel. Ceci dit, si les usagers de l’Internet ont d’abord été des américanisés, il s’est ouvert en se démocratisant. Toutes les langues s’en sont emparées et bientôt les plus obscurs dialectes auront leurs sites qui en rallieront les locuteurs et élargiront leurs aires d’expressions. Ce pourrait être le début d’une contre-mondialisation pluraliste. La SF francophone aussi s’est emparée d’Internet. C’est peut-être par-là que débutera la reconquête. »

Les écrits de Jean-Pierre Laigle sont très étayés et s’appuient sur des bibliographies thématiques fournies. L’ouvrage est complété par un hommage à l’auteur signé Martine Blond et d’une bibliographie chronologique conséquente établie par Jean-Luc Buard, qui démontre l’ampleur et la pertinence du travail de Jean-Pierre Laigle dans le domaine de la SF.

Les démiurges scientifiques de Jean-Pierre Laigle. Editions L’œil du Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris – France
www.oeildusphinx.com


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