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Le président est-il devenu fou ? de Patrick Weil
La critique de Philippe Pivion

Patrick Weil vient de commettre un ouvrage, Le Président est-il devenu fou ? qui reprend, à l’aune de sa découverte du manuscrit complet de l’ouvrage co-écrit par Freud et Bullitt, l’origine et la destinée du fameux Le Président T.W. Wilson : portrait psychologique. Nous le félicitons pour ses recherches et cette exhumation du manuscrit original du livre de Freud et Bullitt.

L’intention est attractive. Comment et pourquoi le père de la psychanalyse a-t-il rédigé ce « portrait » post mortem d’un des personnages les plus important du début du 20ème siècle et pourquoi le fait-il avec un diplomate, William Bullitt ?

Patrick Weil puise dans la documentation des informations importantes, voire nouvelles qu’il ordonne avec difficultés. Les allers-retours sont nombreux dans le texte et cela n’aide pas le lecteur à suivre le fil de la démonstration. Weil n’est ni historien, ni psychanalyste. Il a été un temps au Parti socialiste et chef de cabinet du secrétaire d’État à l’immigration en 1981/82. Rien ne semblait le disposer à cette recherche, donc. Pourquoi alors s’intéresse-t-il à la rédaction du livre de Freud et Bullitt ? Dans l’introduction, nous n’en saurons rien. C’est en lisant le livre que l’on s’aperçoit d’une résonnance particulière dans une espèce de billard à trois bandes entre les différents auteurs.

L’ouvrage s’articule surtout autour de W. Bullitt dont il convient de cerner la personnalité.

William C. Bullitt nait en 1891 dans une riche famille américaine. Grand-bourgeois, il défend avec opiniâtreté sa classe, même s’il se donne des apparences socialisantes dès 1919. Il rencontre les personnalités marquantes de l’époque, convainc les USA d’établir une ambassade à Moscou, papillonne et se fait psychanalyser par Freud en 1920. Il s’en suivra un attachement profond entre les deux hommes. L’auteur n’approfondit pas cette question pourtant au centre de la relation qui conduira à la co-écriture du fameux texte. Bullitt a une fille, Anne, que Freud nomme, dans sa correspondance, Anna. Mais la fille de Freud se prénomme aussi Anna. Mimétisme de la part de Bullitt, identification ? Nous n’en saurons rien.

À l’heure où semble s’apaiser le débat mortifère entre psychanalyse et psychiatrie, débat au centre duquel les neurosciences faisaient point de bascule, il est salutaire de mettre en avant la théorie freudienne. Certes la plasticité cérébrale n’était pas connue à l’époque, mais loin de s’opposer, les deux éléments théoriques se complètent. Oui, remettre la théorie de Freud sur le devant de la scène est positif.
Mais alors comment ne pas s’interroger, d’une part sur le rapport Freud-Bullitt, rapport paternel avec une once d’homosexualité, rapport justement décortiqué par Weil dans le retard mis par Bullitt à publier le texte, d’autre part dans le rapport Weil-Bullitt, que naturellement l’auteur ne peut évoquer. Mais comment ne pas sursauter à cet échange entre Orville Horwitz et Bill (William Bullitt) : « Un écrit de Freud ne peut pas être la propriété d’un seul. –Non, il m’appartient », trancha Bill (Bullitt).

Ainsi ce texte serait l’enfant caché de Bullitt et de Freud. Mais l’auteur n’en analyse pas le mécanisme, laissant à croire qu’un autre se met en place entre lui et Freud et Bullitt…

Le texte de Freud et Bullitt tente de cerner pourquoi les États-Unis seront le grand perdant du Traité de Versailles. Ce traité est en fait une tragédie où tous les protagonistes se cramponnent à des certitudes, des terres, des industries, des indemnités sans s’interroger sur l’avenir d’une coexistence pacifique. Woodrow Wilson crispé sur la SDN cédera sur des éléments qui seront les détonateurs de la Seconde Guerre mondiale. Il ne comprendra rien aux processus européens, il favorisera le nationalisme japonais, il se coupera des masses françaises, anglaises, italiennes et même perdra les élections aux USA, alors qu’il revient avec un texte qu’il défend mordicus. Pire, les États-Unis ne ratifieront pas la paix, ni la création du joujou de Wilson, la SDN. Comment en arriver à un tel désastre ? L’auteur en apporte quelques précisions mais mal abouties.

Par ailleurs, nous ne saurons rien non plus par Weil de l’anticommunisme exacerbé de Bullitt et là, l’auteur se fourvoie. En effet Bullitt, papillon-diplomate de profession, recherche les rencontres qui lui paraissent importantes pour épaissir un carnet d’adresse qu’il vendra à Wilson. Ainsi, Weil évoque une rencontre que Bullitt a eu avec Cachin le 4 février1919 à Berne. Les deux hommes auraient préparé une motion sur la Société des Nations pour la conférence socialiste qui se tenait dans cette ville. Mais Cachin dans ses carnets, note de manière sibylline cette rencontre sans aucun commentaire ce qui n’est pas dans les habitudes du directeur de l’Humanité, surtout lorsqu’il s’agit d’un rendez-vous débouchant sur une forme de complicité. On peut donc douter de la connivence vantée par Bullitt.

L’auteur présente Bullitt comme un stratège émérite, un homme qui avait le sens du cours de l’Histoire et qui savait analyser les méfaits ou les bénéfices d’un accord. Il a raison. Il a été lucide, mais lucide pour son camp.

Bullitt est ambassadeur des États Unis en France de 1936 à 1940. Une période déterminante. Il faisait des ronds de jambes à Blum, cajolait tel ministre, organisait des réceptions à qui mieux-mieux. Mais l’auteur n’a pas lu le texte d’un télégramme expédié à Roosevelt le 21 février 1938. Le cabinet Chautemps tombe et Bullitt estime : « La France n’est pas encore suffisamment alarmée et secouée pour rendre possible la formation d’un vrai gouvernement national. ». Ainsi Bullitt, qui par national veut dire nationaliste, dévoile-t-il ses véritables objectifs.

L’auteur évoque la période de Munich, l’accord où la France a bafoué sa signature en abandonnant la Tchécoslovaquie à Hitler, après avoir lâchement abandonnée l’Autriche. Il évoque un Roosevelt inquiet de l’aviation française, mandatant un Charles Lindbergh pour examiner la situation. Celui-ci pronazi convaincu, comme Joseph Kennedy, le père de John, ambassadeur US à Londres, avec lequel il travaille sur le dossier, évoque la supériorité écrasante de l’Allemagne, et qu’il ne vaut mieux pas s’y frotter… L’auteur souligne alors l’euphorie de Bullitt et d’autres sur la trahison de Daladier à Munich. Il se reprendra une semaine plus tard. Mais quel rôle joue donc Bullitt ? Il est dans le camp des appeasementeurs de Chamberlain ou dans celui des nationaux-socialistes ? La question n’est pas abordée.

Si Bullitt est l’ambassadeur favori de la gauche de gouvernement, il lui donne des coups de pieds de l’âne. Pire, l’auteur s’égare au sujet de Daladier, fossoyeur de la république. On en pleurerait tant le bonhomme court après des avions auprès des américains dès 1939, épisode narré par Weil.

C’est passer sous silence les offres soviétiques en avions modernes prêts à être expédier à l’époque de Cot, un des rares ministres socialistes à être lucide. Au tout dernier moment, en 1940, Ilya Ehrenbourg est désigné intermédiaire auprès du pouvoir soviétique. Il sera arrêté par Pétain et les avions n’arriveront jamais.
Le problème avec l’auteur est que ses recherches sont à sens unique. Il ne dit pas un mot de l’interdiction du Parti Communiste français dès août 1939, de la chasse de ses militants, des camps de concentration en France dont Bullitt ne s’émeut pas.
En fait cet ouvrage est plus une biographie de William Bullitt qu’autre chose, et une biographie partiale.

Enfin, après lecture je n’en sais toujours pas beaucoup plus des chapitres retrouvés (300 paragraphes selon Weil) et non publiés du portrait psychologique de Wilson. Faut-il attendre cette nouvelle édition augmentée pour que l’auteur nous en fasse découvrir le contenu ?

Le président est-il devenu fou ? Patrick Weil. Editions Grasset. 25 euros.

Le livre Le Président T.W. Wilson : portrait psychologique est disponible dans la collection Petite bibliothèque Payot, préfacé par Gérard Miller. 9,70 euros.

Philippe Pivion est notamment l’auteur de La nuit se déchire à Tours, aux éditions Le temps des Cerises, roman historique qui se déroule durant l’année 1920. A paraître : Les assassins de la paix, roman historique qui se déroule en 1919, avec pour contexte la Conférence de Paris et la signature du Traité de Versailles.


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