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Le mythe national
Philippe Pivion évoque la réédition de l’ouvrage de Suzanne Citron

Les éditions de l’Atelier nous livrent une nouvelle édition de l’ouvrage de Suzanne Citron, le Mythe national, L’histoire de France revisitée, 30 ans après la parution de la première mouture.

Disons d’emblée la contradiction qui vient à l’esprit en lisant cet ouvrage : oui, il faut le lire, car il comporte une quantité d’informations, de remise en ordre de faits historiques, mais dans le même temps, la masse d’informations, l’ordonnancement même de l’ouvrage, des allers-retours multiples, des redites, parfois inutiles, n’en rendent pas la lecture facile.

C’est dommage ! Car il faut que le lecteur parvienne à des pages fortes, par exemple celles du chapitre 11, « Maillages, l’aventure humaine ». Dans ce chapitre, l’auteur dénonce la construction de l’histoire de la France, entre autres, comme une histoire des guerres et des victoires françaises. « N’est-il pas temps aujourd’hui de s’interroger sur cet « acquis » ? Doit-on continuer d’admettre implicitement - et de continuer (involontairement) à inculquer par l’enseignement - une philosophie de l’histoire humaine qui repose sur l’idée que la guerre est justifiée pour construire la nation ? » [1]

Ce livre dénonce l’utilisation de l’histoire pour façonner la nation française dès la Troisième République avec un auteur incontournable, Ernest Lavisse, qui sévit en écrivant un texte du passé destiné à tous les élèves, texte qui fera les délices des potaches… mais seulement 100 ans après sa rédaction, « Nos ancêtres les Gaulois ». Et Napoléon III de lancer des recherches sur Vercingétorix, le premier héros national, destiné à donner un peu d’éclat à l’auréole bien pâlichonne de ce petit empereur.

D’ailleurs, la Gaule… comment devient-elle la France, les Gaulois, nos ancêtres ? Qui peuplait ce qu’aujourd’hui nous qualifions d’hexagone ? Et les autres, les Bretons, les Normands, les Nordistes, les Antillais, les Provençaux, les Savoyards et tant d’autres, comment sont-ils agglomérés à la nation française ? Autant de questions auxquelles Suzanne Citron apporte des réponses. Elle souligne qu’au 13ème siècle, le jeune royaume de France annexe les pays d’oc et écrit à ce propos : « Elle [2] est le point d’appui d’une redécouverte de la nation plurielle, puisque l’absorption de l’espace que la monarchie va baptiser « Languedoc » est le premier acte de la formulation d’une nation française pluri « nationale » ou pluriculturelle – comme on voudra - dans son épaisseur historique. » [3]. Et c’est là tout l’intérêt de cet ouvrage. Qu’est-ce que le nationalisme ? De quoi parlent les nationalistes, les utilisateurs de l’histoire pour des projections politiques à leur unique fin, quitte à tordre le cou à la vérité historique ?

La question est très politique. D’ailleurs, il n’est pas un président de la république qui depuis une trentaine d’années n’ait donné son avis sur l’identité nationale. Attendons un peu et le jupitérien Macron ne tardera pas à nous livrer sa conception après ses errances algériennes et guyanaises.

Celui qui a été le plus loin sur le sujet est sans conteste Sarkozy qui, quelques années après avoir agité devant le peuple éberlué les mannes de Jean Jaurès et de Guy Moquet, a déclaré : "Si l’on veut devenir Français, on parle français, on vit comme un Français. Nous ne nous contenterons plus d’une intégration qui ne marche plus, nous exigerons l’assimilation. Dès que vous devenez Français, vos ancêtres sont Gaulois", et, à Franconville, le 16 septembre 2016 : « Quelle que soit la nationalité de vos parents, jeunes Français, au moment où vous devenez Français, vos ancêtres, ce sont les Gaulois et c’est Vercingétorix. » Pour être sûr d’être compris, lors d’un diner organisé par Valeurs actuelles le 20 septembre, il précisait : « Ça veut dire qu’il y a un roman national, que ce roman national ce n’est pas forcément la vérité historique dans son détail mais c’est un roman national peuplé de héros qui ont fait la France, et quand on est fils d’un hongrois ou fils d’un algérien et que vous arrivez en France, on ne vous apprend pas l’histoire de la Hongrie ou de l’Algérie, on vous apprend l’histoire de France ! ». Déjà dans son discours de Poissy sur l’école de la République, le 6 septembre 2016, il proclamait : "Comment comprendre l’Histoire des autres si l’on ne connaît pas sa propre Histoire, à commencer par sa chronologie ? Comment comprendre l’expansion de l’Islam si l’on ne connaît pas l’Empire Carolingien ? Comment comprendre la Renaissance italienne si l’on ne connaît pas le règne de François Ier ? Comment comprendre l’Europe du XIXe siècle si l’on n’a jamais entendu parler de Napoléon Ier et de Napoléon III ? Comment comprendre le combat de Lincoln contre l’esclavage si l’on ignore Schœlcher ? Comment comprendre la montée du nationalisme allemand si l’on ne connaît pas l’histoire de Rethondes et les traités de Versailles ?"

A quoi bon donc apprendre ce qui s’est passé ailleurs puisque seule l’Histoire de France et des Gaulois est explicative de tout ! Sarkozy en pleine campagne pour les présidentielles n’hésitait pas à souligner que c’est la France qui fait l’histoire du monde, peut-être même celle de l’Univers !

Cet ethnocentrisme n’est ni une faute de langage, ni une errance de la pensée. Elle vise à piétiner les plates-bandes de Le Pen, qui instrumentalise l’Histoire de France, ravalée au niveau d’un roman national dont l’épicentre est Jeanne d’Arc.

Le président Mitterrand avait livré sa pensée en mai 1987, année de la parution du livre de Suzanne Citron. Il avait notamment déclaré à la Sorbonne : "Nous sommes français, nos ancêtres les Gaulois, un peu germains, un peu romains, un peu juifs, un peu italiens, de plus en plus portugais, un peu polonais, et je me demande si nous ne sommes pas de plus en plus arabes…" et il précisait sa pensée en appelant à "refuser tous les appels de l’inconscient, de je ne sais quel subconscient mal réglé ou mal dirigé" et "à choisir l’unité de la France à construire".

Cette déclaration se heurte pourtant au fait que les commémorations du bicentenaire de la ré-volution française, au lieu de rejeter définitivement une conception Lavissienne de l’histoire, vont parfois lui redonner une bouffée d’oxygène en définissant une mémoire à la gloire de l’identité française [4]. Une nation bloc, pourrait-on dire en paraphrasant Clemenceau !

La partie III de l’ouvrage de Suzanne Citron, Repenser l’histoire de France, permet au lecteur de prendre conscience de la profondeur du problème posé par l’histoire version IIIème Répu-blique qui malgré quelques remaniements n’est pas remise en cause, encore aujourd’hui, dans son processus aliénant.

Enfin, ce travail fouillé, malgré sa lecture difficile, permet également de mieux cerner l’escroquerie nationaliste. En effet, dès lors que la Nation est un creuset dans lequel le Peuple se rassemble, s’unifie, se soude, ne forme plus qu’un même corps, le nationalisme, lui, fabrique d’exclusion, le rejet, et la haine. Il y a là une contradiction majeure. C’est un des débats qui agite les tenants du Front National, n’en doutons pas.

Un livre donc au centre de l’actualité de l’Histoire !

Notes :

[1page 215

[2la différence occitane, ndlr

[3page 237

[4Je n’évoque pas là le travail accompli par Michel Vovelle pour la mission du bicentenaire


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