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Le Parlement des cigognes, récompensé du prix Littérature de la Licra
L’intervention de Valère Staraselski


Valère Staraselski a reçu pour son roman Le Parlement des cigognes le prix Littérature 2018 de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Voici son intervention pour la remise de ce prix qui a eu lieu le dimanche 27 mai à la mairie du 5e arrondissement de Paris.

C’est bien la première fois de ma vie d’écrivain que je reçois un prix. Vous comprendrez que j’en conçoive encore de l’étonnement en même temps qu’une fierté certaine ou disons plus exactement une certaine réassurance – comme on dit en psychanalyse – pour mon travail d’écrivain.
Fierté aussi, j’y reviens, car cette distinction n’appartient pas à la catégorie des prix industriels, commerciaux – il en faut, économiquement parlant – mais à la catégorie des prix que je qualifie de citoyen ou militant. Oui, je dis bien militant, comme l’Eglise militante opposée à l’Eglise triomphante.
Disant cela, j’ai bien conscience que l’on peut penser, en voici un qui aplatit la part artistique sous le sujet. Il n’en est rien. Car un roman n’est pas, ne peut pas être ni un tract ni un manifeste et qu’un écrivain véritable sait qu’il écrit toujours un peu en vain car, ainsi que le disait très justement Michel Foucault dans Les mots et les choses : "On a beau dire ce que l’on voit, ce que l’on voit ne loge jamais dans ce qu’on dit".
En art comme en politique, il n’y a jamais de lutte finale, c’est Sisyphe contre Prométhée.

La Licra a une histoire (que j’ai pour partie réellement découvert dansle livre de messieurs Allali et Musicant - Les combats de la Licra - paru l’an dernier, la Licra a des objectifs clairement définis et des pratiques militantes, oui militantes, prenant corps ici et maintenant, et qui participent à la vie de notre démocratie, à l’existence même de notre démocratie.

A ce propos, précisons qu’il en va des militants comme des citoyens, je veux dire en matière de prise de parti. Intellectuel ou écrivain n’est pas un antidote à la barbarie ! On le voit aujourd’hui ! Pour ma part, j’ai encore en mémoire l’adresse de Louis Aragon en novembre 1933 intitulée "A Louis Ferdinand Céline, loin des foules" : Le grand problème pour vous, Louis Ferdinand Céline, sera quoi que vous en croyiez de sortir de l’agnosticisme. Par quelle porte le ferez-vous ? On ne peut le dire, et j’espère que cela ne sera pas celle deMaurice Barrès et du nationalisme, malgré vos petites idées sur Israël.

Vous qui vous refusez à choisir, vous choisirez. Nous nous verrons un jour dans la bataille. Permettez moi de souhaiter vous voir du côté des exploités, et non des exploiteurs". Terminologie politique de l’époque, pour cette chute qu’Aragon emploie alors, Aragon qui n’hésitait pas à titrer un de ses éditoriaux Un jour du monde dans le journal Ce soir qu’il co-dirigeait avec Jean Richard Bloch : "Antisémite n’est pas français !"
Et pour notre époque de racisme et de judéo phobie flagrante où le sang coule, pardonnez moi de devoir utiliser une tautologie puisque il le faut : il n’y a pas, il ne saurait y avoir, de bourreau innocent !
L’histoire nous enseigne cela, c’est pourquoi, oui, la transmission doit battre en brèche la non-connaissance, l’ignorance, les idées fausses, les confusions de toutes sortes, les amalgames, les lieux communs les plus éculés lourds de conséquences gravissimes et de dangers !
"L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet dans le présent l’action même" affirmait l’historien-médiéviste Marc Bloch fusillé en mars 1944 par les Allemands pour fait de résistance.
Pour un romancier, la difficulté avec l’Histoire, l’historicité même, car tout finit par faire Histoire, tient me semble t’il dans cette parole de l’auteur du" Bûcher des vanités", l’américain Tom Wolfe, récemment disparu, pour qui, je cite : "La fiction n’arrive pas à la cheville du réel".
De la sorte, que dire de la détresse absolue du peuple juif durant la Shoah… Une nouvelle traduction des paroles du Christ sur la croix lui fait dire au lieu de Père, pourquoi m’as tu abandonné, Père, à quoi m’as tu abandonné ? Cet abandon caractérisé du peuple juif au pire des sorts (je pourrais citer le projet Madagascar de 1937 entre les gouvernements français et polonais) ne signifie pas qu’il y ait eu apathie dans ce peuple, loin de là.

Toute l’histoire des combats de la Licra avant-guerre le prouve amplement comme en atteste, quant à la Pologne, l’armée Anders ou le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, par exemple, mortalisé dans les mots, à mes yeux devenus sacrés, mots attribués au jeune Arie Wilner de l’organisation juive de combat : "Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d’ici. Nous voulons sauver la dignité humaine."
L’actualité m’invite à ajouter ceci : Rappelons que la situation de la Pologne durant ces années n’a rien à voir avec celle de la France sous l’occupation. Il y a un Etat français , mais il n’y a plus d’Etat polonais, tout simplement parce que les tenants de la suprématie aryenne veulent faire place nette à leur projet d’espace vital à l’Est où pour les Slaves il n’y a d’avenir que morts ou esclaves. Il n’y a pas eu de camps polonais au sens où on peut dire que les camps deDrancy, de Compiègne ou encore celui de Milles, placés sous l’autorité de Vichy, étaient des camps français.
Dire cela n’est en rien effacer l’antisémitisme en Pologne, mon livre essaie d’en témoigner. C’est pourquoi, la qui prévoit une peine de trois ans de prison "à quiconque, de façon publique et contrairement aux faits, attribue au peuple ou à l’Etat polonais la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le 3ème Reich allemand ou tout autre crime contre l’humanité (…) ou crime de guerre", n’est pas, en cette partie, acceptable.
Quid des applaudissements des fidèles à la sortie de la messe saluant la fin du massacre par les soldats hitlériens du ghetto de Varsovie…Oui, il y a eu 6000 justes polonais parmi les nations sur 22000, mais on ne bâtit rien de solide sur une histoire en noir et blanc, voire révisionniste.
Enfin, et j’en termine par deux exemples littéraires, puisque c’est la littérature qui est ici honorée, littérature où la place des animaux s’affirme jusque dans le titre, permettez moi d’évoquer non pas les cigognes, chères à mon cœur, mais un faon, un faon mondialement connu, un faon nommé Bambi.
Car, avant d’être un film d’animation, Bambi est d’abordle roman d’un écrivain né en Autriche-Hongrie en 1869 et mort à Zürich en Suisse en 1945. Félix Salten, de son vrai nom Sigmund Salzmann, a publié en 1923 Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois.Ce roman qui fut un succès de librairie, sera traduit en anglais en 1928, interdit en Allemagne nazie en 1936 et adapté en film en 1942 par les studios Disney.
Les nazis savaient lire. C’est pourquoi ils attribuèrent à ce livre qu’ils interdirent le caractère " d’une allégorie politique sur le traitement des juifs en Europe" et leur désarroi dans l’entre deux guerres. Ils brûlèrent de nombreux exemplaires de Bambi avant de brûler les juifs et de leur faire subir durant la guerre elle-même cette fois, pour ceux qui échappèrent aux fours crématoires, le sort des animaux traqués dans la forêt par les chasseurs. Alors oui, on peut qualifier Bambi, comme le fait Gilbert Salem, de conte d’une tragédie juive…

Ensuite et enfin, souvenir d’un exemple d’engagement ou de militance, me semble-t’il, imparable. Celui d’un personnage de fiction, une femme, nommée Shéhérazade et conteuse durant mille et une nuits. 

Souvenons-nous un sultan fait exécuter sa femme pour cause d’adultère. Puis, il épouse chaque jour une vierge qu’il fait tuer au matin de la nuit de noces pour se venger. C’est alors que Shéhérazade, fille aînée du grand Vizir, se porte volontaire afin de faire cesser le massacre. Pour cela, elle met au point un stratagème avec sa sœur cadette Dinarzade.
Le soir de son mariage, elle raconte une histoire au sultan sans la terminer. Ce dernier pris par l’intrigue veut absolument connaître la suite, aussi lui laisse-t-il la vie une journée de plus. Ce stratagème dura mille et une nuits au bout desquelles le sultan abandonnera sa résolution et décidera de garder Shéhérazade auprès de lui, lui reconnaissant qualités de cœur et d’esprit.
De la sorte, Shéhérazade aura réussi à faire cesser le massacre. En d’autres termes, l’action créatrice de Shéhérazade aura imposé le droit de vivre*, qui est, outre le titre d’un beau journal [1], le tout premier, le plus sacré, des droits humains. Du fond du cœur, merci pour cette distinction.

Notes :

[1Journal de la Licra


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