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Le Dernier Assaut de Tardi
Par Philippe Pivion

Un nouvel ouvrage de Tardi mérite toujours le détour. Le Dernier assaut, publié aux éditions Casterman est écrit à plusieurs mains (j’allais dire à plusieurs voix car il se double d’un CD qu’il est recommandé d’écouter en lisant l’ouvrage) : Dominique Grange et toute la bande d’Accordzéäm sont de la partie.

Tardi examine et donne à voir avec régularité sa vision de la Grande guerre. Non pas les faits glorieux, non pas les victoires, ni les résistances, mais la vie, je devrais dire la mort, des soldats anonymes. « Des deux côtés, des hommes à bout de force, enfouis dans les tombes qu’ils ont creusées à leur usage, s’appliquent méthodiquement à s’entretuer ». Cette deuxième phrase du livre donne le ton. Le ton absurde de cette tuerie, le ton de folie de ces hommes s’enfouissant dans les tranchées qui seront leurs sépultures, le ton de la révolte contre les guerres, le ton cauchemardesque de cette ignominie. Tardi accompagne le récit d’un graphisme dont il nous a habitués. Le coloris est noir et gris, teinté de bleu délavé, d’ocre terne. Seul le rouge est vif. Parfois le drapeau tricolore illustre une série de dessins : un bleu, l’autre blanc et le dernier rouge. Les visages grossiers, disgracieux, les mains grosses aux ongles dessinés, bref c’est du Tardi.

Ne cherchez pas l’histoire, c’est en fait une narration de l’Histoire. Le fil conducteur est un certain Augustin qui croise des morts, qui parle aux morts, qui est peut-être lui-même mort. La mort est omniprésente, et cette gadoue de merde, de sang, de vomis, finit par imprégner le lecteur qui en apprend de belles.

Car voilà Tardi ne fait pas une BD pour le plaisir, ni pour faire plaisir, il donne à voir, à comprendre, à apprendre des faits occultés, enfouis sous une chape de plombs dans le fin fonds des archives. Il exhibe des faits pas très conformes à la vision communément répandue. Il met à jour la tragédie des sénégalais et autres colonisés, la « Force noire » du général Mangin. Il exhume l’affaire des Bantam du Royaume Uni, il souligne le rôle des grands groupes industriels et de leurs dirigeants.

Nous cheminons en compagnie d’Augustin dans cette fange qui colle aux semelles, dans ces souvenirs collectifs qui hanteront les familles, dans ces rencontres improbables où des liens se tissent bientôt brisés par la faucheuse. Augustin n’a rien d’auguste, sauf le côté irrationnel du clown, trop caricatural, trop excessif, trop inexpressif. Comme tous les poilus, il n’est pas né sous de bons auspices, non avec ses potes il est parti faire une guerre fraiche et joyeuse. Elle fut longue et massacrante comme le chante Brassens évoquant la suivante, 39/45. D’ailleurs, de nombreux renvois de Tardi nous dépêchent dans la prochaine…

Alors le lecteur peut être décontenancé car malgré la présence d’Augustin, ce n’est pas une histoire à l’Adèle Blanc-Sec, ni à la Nestor Burma. Non, c’est ce qui rend plus âpre, plus éprouvante la lecture de cet ouvrage car rien n’est fait pour épargner le lecteur, et comme les soldats de cette saloperie de guerre, il n’en sortira pas indemne.

Le dernier assaut. Scénario : Tardi, Dominique Grange. Dessin : Tardi. Editions Casterman. 23,00 €


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