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La mondialisation capitaliste et sa philosophie en France
André Tosel

Ce texte constitue l’introduction de l’ouvrage d’André Tosel, Un monde en abîme : essai sur la mondialisation capitaliste. Paris, Kimé, 2008.

« La révolution introduite par la classe bourgeoise dans la conception du droit et donc dans la formation de l’État consiste spécifiquement dans la volonté de conformisme (donc éthicien du droit et de l’État). Les classes dominantes antérieures étaient essentiellement conservatrices en ce sens qu’elles ne tendaient pas à assimiler, à élaborer un passage organique des autres classes à elle-même, à élargir leur sphère de classe et idéologiquement, conception d’une caste fermée. La classe bourgeoise se pose elle-même comme un organisme en continuel mouvement capable d’absorber toute la société, l’assimilant à son niveau culturel et économique : toute la formation de l’État est transformée. L’Etat devient éducateur. Puisqu’il se produit un arrêt, l’on retourne à la conception de l’Etat pure force. La classe bourgeoise est saturée : non seulement elle ne se diffuse pas, mais elle se désagrège ; non seulement elle n’assimile pas de nouveaux éléments, mais elle désassimile une partie d’elle-même (ou du moins les désassimilations sont nettement plus nombreuses que les assimilations). Une classe qui se pose elle-même comme susceptible d’assimiler toute la société est en même temps capable
d’exprimer ce processus, elle conduit à la perfection de l’État de droit ; jusqu’au point de concevoir la fin de l’Etat de droit et du droit devenus inutiles pour avoir épuisé leur tâche et être absorbés dans la société civile ».
(Gramsci. Quaderni del carcere, cahier 8, § 2 ; Torino :
Einaudi, 1975, p. 937)

Ce texte de Gramsci semble bien daté et même falsifié par l’histoire, pour l’essentiel. L’échec du communisme soviétique que Gramsci soutenait tout en élucidant ses difficultés rend improposable la fin de l’Etat de droit et du droit sous l’hégémonie d’une classe parfaitement assimilatrice de l’Etat et de la société civile.

Mais en sa partie critique ce texte portait un jugement théorique et historique sur la capacité hégémonique de la classe bourgeoise qui ne manquait pas en la conjoncture de plausibilité. Dans les années 1930, en effet, la crise de la démocratie libérale était à l’ordre du jour. Le système social et politique des démocraties libérales était ou ébranlé ou éliminé. Aux États-Unis le chômage de masse était accompagné de grèves et de mouvements de contestation sans précédent. En Allemagne nazie et en Italie fasciste, les nouvelles couches dirigeantes, soutenues par
les classes capitalistes dominantes, avaient passé alliance avec les classes moyennes paupérisées et les fractions nationales-populistes les plus violentes pour établir un régime dictatorial ainsi avaient été vaincus les partis ouvriers, suspendus les libertés, et inventer une autocratie nouvelle. La jeune Union soviétique perdait le pouvoir d’attraction que lui avait valu la percée de 1917. Encerclée, elle s’enfermait dans ses frontières, maintenait l’état d’exception qui lui était imposé et finissait malgré des réussites évidentes par traiter ses populations récalcitrantes comme des colonisés. Gramsci espérait une reprise hégémonique en s’appuyant sur la saturation bourgeoise. Ce fut le contraire qui se réalisa. Le communisme s’est effondré et les classes dirigeantes libérales ont retrouvé leur pouvoir d’assimilation et elles l’énoncent à la fois dans l’universalisme hégémonique des rapports capitalistes entrepreneuriaux et dans l’universalisme procédural de la démocratie mondiale et à mondialiser.

Il s’agit toutefois d’une apparence, et Gramsci pourrait retrouver sous peu une actualité critique aujourd’hui, alors que la nouvelle ondée de mondialisation des rapports capitalistes se prévaut d’une puissance d’intégration et d’assimilation sans précédent. Certes, la production de
richesses et de connaissances se poursuit, le capitalisme est le démiurge qui révèle à l’humanité sa puissance d’autoproduction illimitée, et le néo-libéralisme est devenu la conception du monde, dominante, cimentant le nouveau bloc historique autour de ses élites dirigeantes. Cette
victoire totale, cependant, pourrait bien être une victoire à la Pyrrhus. Une triple menace, en effet, pèse sur ce monde mondialisé et impose des limites au procès mondialisant. Cette menace est inscrite dans la démesure, l’hubris, propre la mondialisation, au monde d’une autoproduction aveuglée sur elle-même, autophage, d’une illimitation de la production-consommation qui se cannibalise elle-même.

Tout d’abord, les inégalisations les plus diverses, les violences les plus cruelles brisent et fragmentent l’humanité. Elles se déploient en produisant une hiérarchie de puissance sociale, qui s’étend depuis une hyperclasse ou hypercaste dirigeante vivant dans un luxe qui ferait pâlir les féodaux du passé, irresponsable de ses choix et immunisée de toute sanction et qui s’étire jusqu’aux populations poubelles composées d’hommes superflus au sein d’un apartheid mondial. La désassimilation est bien en cours, et elle est mondiale, et le monde est pour beaucoup un non monde, un abîme qui les réduit au néant. Les promesses de la mondialisation sont compromises par sa logique même qui fait du monde un non monde. Si le monde est le lieu et la création de notre être en commun au même monde, cet être en commun se divise de lui-même en plusieurs humanités qui ne partagent pas le même monde. La promesse de vie bonne pour tous se fait cynique dérision. Elle sous-tendait la démarche de Gramsci qui la pensait en
termes d’Etat éducateur se résorbant dans une société civile transformée. Gramsci en appelait à une classe assimilatrice, bloc des masses subalternes porteur d’un universel plus concret. On ne peut plus compter sur la classe ouvrière, mais on ne peut compter davantage sur la classe dirigeante.

En second lieu, ce non monde met en cause les conditions de sa propre reproduction au sein des réseaux biologiques et biophysiques qui le font exister sur la planète. Ce problème ne pouvait pas être pris en compte par Gramsci, mais il s’inscrit désormais dans la même thématique élargie. S’il ne faut pas faire de l’écologie à bon marché et s’il ne faut pas désespérer de l’inventivité humaine, il demeure que la vie en commun est fragilisée par l’altération irréversible de certains équilibres et la raréfaction de biens primaires. Le non monde est menacé dans ses conditions de possibilité, et la question de la vie devient pour ceux qui sont dans la situation la
plus exposée celle de la survie. Là aussi les inégalisations sont extrêmes et croissantes en rapport à la disposition de l’eau, de l’air, des richesses naturelles. La désassimilation des hommes se redouble en une désassimilation tendancielle de l’espèce d’avec la planète, une désassimilation générique qui se réalise de manière violemment inégale.

En troisième lieu, c’est la vie humaine en tant que telle qui est affectée en sa texture. Pas plus que le problème écologique, Gramsci ne pouvait anticiper la transformation de l’autoproduction interne humaine par une humanité capable d’agir sur elle-même et sa propre reproduction. Modifications génétiques, clonage, sélection des individus, production de cyborgs à des fins militaires et sexuelles, ouvrent des possibilités que la marchandisation et l’hégémonie de l’homme solvable peuvent inverser en création d’une nouvelle espèce transhumaine, prothèse et réserve artificielle de l’espèce. L’humanité désassimilée ne sera plus rebut
à traiter par l’auto-élimination de la misère et par la répression. Elle sera traitée comme une espèce nouvelle d’humanoïdes pouvant être réassimilée par la nouvelle espèce des seigneurs, l’élite des ayant droit dotée de solvabilité, citoyens d’une Herrendemokratie biophysique. Nous ne traiterons pas cet ultime problème pourtant capital, mais il excède la mondialisation, stricto sensu. Nous tenterons une analyse en nous limitant surtout au premier aspect et en clarifiant tout d’abord le concept même de mondialisation. Les essais qui suivent impliquent ce concept, mais ils n’en explicitent pas toute la portée. Voilà pourquoi nous tentons en introduction de combler cette lacune en nous référant surtout à quelques travaux anglo-saxons, allemands ou italiens, voire français.

L’état des lieux en France et l’inégal développement des savoirs de la mondialisation

La mondialisation fait désormais l’objet d’une énorme littérature en sciences économiques, politiques, juridiques et sociales. La philosophie a suivi le mouvement avec retard, notamment en France. Cette littérature est dominée par les approches anglo-états-uniennes. Cette situation
n’a rien de surprenant. Le système-monde, pour reprendre un concept élaboré par les historiens Fernand Braudel et Immanuel Wallerstein, a été dominé longtemps par le Royaume Uni avant de l’être par les États-Unis. Cette hégémonie n’est pas seulement économique et politique, elle
est simultanément intellecuelle et morale, dans la mesure ou le libéralisme éthico-politique et le néo-libéralisme économique anglo-saxons sont devenus sous des formes diverses et relativement contradictoires la conception du monde dominante au sens totalisant de Gramsci, comme le
prouvent le succès des oeuvres purement libéristes de F. Hayek, R. Nozick, M. Friedmann ou social-libérales de M. Walzer, J. Rawls, Held, ou, en Europe, celui des penseurs qui les ont infléchis en un sens social-libéral plus marqué comme A. Giddens, J. Habermas, U. Beck, Z. Baumann. Certaines de ces oeuvres ont heureusement franchi les barrières disciplinaires, croisant la philosophie et les sciences sociales et économiques.

Cette problématique n’a pas eu en France le même écho à l’exception de sociologues, qu’ils soient socio-libéraux comme A. Touraine, L. Boltanski, ou post-marxistes critiques comme P. Bourdieu. Ce croisement n’a pas eu lieu davantage en France du côté des philosophes sociolibéraux académiquement en place, tous préoccupés de mener l’éternelle croisade anti-totalitaire et de chanter la gloire de l’Etat libéral de droit et de justifier sa révision à la baisse, comme le font Philippe Raynaud, Monique Canto-Sperber, Alain Renaut, Luc Ferry, Pierre Manent, et bien d’autres. Les dictionnaires très utilisés des Presses universitaires de France en
philosophie politique (Philippe Raynaud et Stéphane Rials) et en philosophie morale (Monique Canto-Sperber) sont peu bavards en la matière, pour l’essentiel ils revisitent la tradition libérale ou importent à haute dose la philosophie éthique du courant analytique. Une exception est à noter, elle concerne le mouvement de critique de l’économie politique, qu’il soit régulationniste avec Robert Boyer, Michel Aglietta, André Orléan, antilibéral avec Alain Caillé et le Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales (le MAUSS en hommage de filiation à Marcel Mauss), ou d’inspiration marxienne avec Gérard Duménil et Dominique Lévy et bien d’autres.

La philosophie pourtant est concernée au premier chef, si, comme le voulait et le démontrait le grand Hegel, elle a pour fonction de porter son Temps au Concept, ou, plus modestement comme le répétait et le pratiquait Georges Canguilhem, elle doit se nourrir des objets les plus divers et de leurs savoirs, de ce qui est « autre » et doit devenir son autre. La philosophie ne peut se borner à se prendre elle-même indéfiniment pour objet, à réfléchir exclusivement sa propre histoire, à s’épuiser en se voulant théorie autoréférentielle ou à se faire épistémologie
générale des épistémologies régionales. Ces tâches ne sont nullement méprisables et elles ont toute leur place. Mais la philosophie doit ne pas renoncer à se vouloir pensée de son temps, de son monde, réflexion immanente des savoirs portant sur des objets réels de ce temps et de ce
monde. Il lui faut malgré ce qu’il en coûte aimer ou du moins accepter le réel. Or, ce monde et ce temps apparaissent comme ceux de la mondialisation que nous dirons capitaliste, en ce qu’elle ne peut échapper à ce qui lui assure sa continuité avec le passé, l’accumulation illimitée
du capital. La juste injonction de la phénoménologie d’aller aux choses mêmes ne peut se limiter à l’exploration des structures transcendantales d’une intersubjectivité désincarnée, malgré la volonté déclarée de méditer au ras des corps propres et leurs rapports. L’appel à une méditation
qui pense ensemble la condition de l’être au monde commun et la déconstruction de la métaphysique comme oubli de l’être a tenté, certes, de se faire weltgeschitlich, historico-mondiale, elle a produit un effet de compréhension important. Toutefois la confusion permanente de
l’analyse des catégories existentiales et empiriques et le remplissage des premières par des contenus empiriques injustifiés ne tient pas lieu d’une Weltweisheit comme aurait dit Kant, d’une sagesse qui est aussi savoir du monde. Il faut reconnaître ainsi à Habermas le grand mérite de ne pas avoir renoncé à cette tâche et d’avoir croisé une théorie de l’agir communicationnel avec les sciences humaines de notre temps. En France, peu de philosophes ont eu cette ampleur de vue et ce courage, si l’on excepte C. Castoriadis, G. Deleuze, M. Foucault, et d’autres que nous
rencontrerons chemin faisant.

Quitte à passer pour ringard, nous pensons qu’il importe, et cela est très difficile, de se confronter à la fois aux les formes logiques catégorielles et aux contenus empiriques, de ne pas séparer le logique et l’empirique. De ce point de vue, Marx est incontournable, lui qui est le seul à continuer en voulant la séparer de l’idéalisme absolu la leçon de Hegel. N’oublions pas
que l’auteur de la Logique dialectique est aussi celui qui a pu écrire cet ouvrage qui pense notre monde et son temps en leur affirmation difficile après la Révolution française et en simultanéité avec la naissance de la nouvelle société et de sa science propre, l’économie politique. Il s’agit,
bien sûr, des Principes de la philosophie du droit (1821). Les catégories logiques permettent de penser les structures morales, juridiques, économiques et politiques de la société moderne qui s’ouvre sur ce qui va constituer la seconde époque de la mondialisation capitaliste, celle qui s’achève avec la confrontation sanglante des impérialismes et des nationalismes en 1914. A l’exception de Marx, de Weber, de quelques marxistes hérétiques du XXe siècle, de Nietzsche à sa manière, en tant que métacritique du monde moderne, peu de penseurs seront capables de
renouveler et de dépasser l’exploit spéculatif et pratique de Hegel, conjoindre le moment logico-transcendantal et le moment historico-empirique.

En France, la démission de la philosophie contemporaine a quelque chose de monstrueux qu’aggrave la marginalisation imposée à des penseurs qui comme Sartre, Merleau-Ponty dans les années 1945-1966 ont développé la phénoménologie dans le sens d’une prise en compte des Temps Modernes, ou de ceux qui à la même époque, comme Éric Weil, dans une oeuvre trop peu lue, avaient tenté de penser sous la catégorie d’Acion, intérieure à la Logique de la philosophie, une Philosophie politique et une Philosophie morale mêlant Kant, Hegel, Marx et Weber, et proposaient une interprétation d’un monde reprenant alors le cours de sa mondialisation
après les césures de 1914-1945. La mondialisation en sa nouvelle époque intéresse surtout en France les philosophes d’inspiration marxienne ou libertaire qui maintiennent la volonté de se mesurer au géant qui définit l’horizon et constitue l’enjeu de la poursuite de l’existence historique, à l’époque dont on ne sait si elle a chaussé les bottes de sept lieux, comme le disait Hegel à propos de l’esprit des temps modernes. Malgré l’écho qu’ont pu avoir à titres divers les oeuvres de Lukács, Bloch, Gramsci, Adorno, Lefebvre et Althusser, ces philosophes néo ou postmarxistes cependant ont beaucoup de peine à remplir le programme de déconstruction et de
reconstruction qu’avait lancé un temps Althusser. Ils vivent la diaspora des mille marxismes et tentent de saisir le monde d’après 1989 avec des moyens et des résultats qui sont à évaluer. Nous nous permettons de les citer, car la koinè libérale les ignore pour la plupart. Et il faut de
temps à autre pourvoir à sa propre promotion. Il s’agit d’Etienne Balibar, Jacques Bidet, Daniel Bensaïd, Georges Labica, Michael Lowy, Yvon Quiniou, Jacques Rancière, Jean Robelin, Yves Schwartz, Lucien Sève, André Tosel – que l’on m’excuse de succomber au self-service –,
Jean-Marie Vincent. On pourrait ajouter l’apport de sociologues et d’anthropologues philosophes, comme Jean Lojkine, Yves Clot, Jean-Pierre Terrail, Tony Andréani, Maurice Godelier, Emmanuel Terray, Jean-Claude Delaunay, et que ceux que j’oublie me pardonnent.

De fait, les oeuvres les plus marquantes sont à chercher chez ceux qui ont manifesté le plus d’audace par rapport aux écoles et aux filiations et qui ont affirmé une originalité proprement philosophique non encore épuisée, ni même entamée. Je songe à C. Castoriadis, G. Deleuze, J. Derrida, M. Foucault, G. Granel, J.-L.Nancy, et, bien sûr au plus spéculatif de tous, Alain Badiou. Tous n’ont pas traité de la mondialisation capitaliste, mais tous ont produit des problématiques, des analyses et des catégories dont l’inventaire s’impose à ceux qui entendent se mesurer avec ce monde, notre monde. Ces remarques n’ont pour but que d’établir un état des
lieux et nous savons que d’autres thématiques critiques anglo-saxonnes, ou autres, allemandes, italiennes, sont un moment de ce repérage du pensable pertinent.

Les deux approches philosophiques dominantes en France

En France, la mondialisation est traitée philosophiquement de deux manières toutes deux indirectes et allusives. La mondialisation est manquée à la fois par excès de particularisation et par excès de généralisation. La première approche se concentre dans une philosophie du droit qui se veut éthiquement fondée et soutient le point de vue cosmopolitique abstrait. La seconde approche se situe à un niveau ontologique plus radical, celui d’une interprétation générale de la modernité et de la post-modernité.

a/ l’approche éthico-juridique du cosmopolitisme philosophique

L’approche juridique et politique s’intéresse à la perspective d’une cosmopolis, horizon de l’universalisation de la communication humaine, des échanges économiques, des réseaux de savoirs, de la traversée des frontières, du dépassement de l’État nation et de la citoyenneté nationale. S’opère en effet, la production d’un espace-temps transnational réellement global où le temps se fait espace. Cette approche promeut de même l’universalisation des droits de l’homme et les garantit d’un droit-devoir d’ingérence humanitaire ; elle tente d’élaborer un recours au droit ; international, et elle fonde l’ensemble de ces démarches sur une éthique
communicationnelle. Elle affronte la question des rapports de l’universalisme libéral et du multiculturalisme communautarien et s’interroge sur les capacités d’intégration de la République.

Les références des travaux de Philippe Raynaud, Pierre Manent, Alain Renaut, Luc Ferry, Blandine Kriegel, François Ewald, Pierre Rosanvallon sont celles du libéralisme français classique – B. Constant, A. de Tocqueville, R. Aron –, des Lumières kantiennes ou anglo-saxonnes
enfin découvertes – J. Locke, T. Jefferson, T. Paine, J. Bentham, J. Stuart Mill, I. Berlin –, ou plus près de nous, Dewey –, mais elles incluent aussi des théoriciens contemporains de l’agir communicationnel comme J. Habermas, K.-O. Apel, A. Honneth ou de la justice, comme J. Rawls, M. Walzer, M. Sandel, C. Höffe. Ces travaux tentent de se démarquer du néo
libéralisme extrême de V. Pareto, de L. von Mises, de F. Hayek. Ils ne sont pas réellement novateurs par rapport à cette tradition, mais ils ont une importance topique évidente. Ils ont en même temps le mérite d’élargir le champ culturel français. Ces philosophes privilégient une élaboration normative qui est précédée d’un consensus critique. Ils sont unis, en effet, par le refus de la dialectique hégélienne et de la critique marxienne de l’économie politique. Antitotalitarisme oblige. Ils s’accordent sur le caractère indépassable de la démocratie représentative de marché et de l’ordre capitaliste. Ils sont tous convaincus de la positivité de la mondialisation qu’ils n’analysent pas autrement que selon les formes de l’entendement juridique et qu’ils entendent tempérer par un supplément éthique, que celui-ci soit emprunté à Kant ou à la philosophie morale analytique. Passeurs et traducteurs des oeuvres du passé anglais et allemand ou du présent américain, ils traitent la mondialisation capitaliste par prétérition et l’euphémisent, tant leur peur du conflit et leur souci de modération limitent leur honnête entendement académique.

Ce serait sur le terrain de l’éthique que l’on trouverait un élargissement de leur approche, comme le prouve la recherche stimulante de Jean-Marc Ferry. Tout bien pesé, le représentant le plus important de cette approche serait un philosophe qui n’a pas produit expressément de philosophie politique et juridique, mais qui a donné à ce courant une fondation empruntée à la fois à Kant et à la phénoménologie et l’a soutenu d’une réflexion sur l’histoire, Paul Ricoeur.

b/ l’approche ontologique négative

Une seconde approche conteste ce juridisme moraliste et aborde le bouleversement induit par la mondialisation en la concevant comme le résultat potentiellement catastrophique de la modernité et de sa métaphysique de la subjectivité, de la volonté de maîtrise. Cette approche
se réfère originairement à la métacritique de la critique moderne, de Nietzsche à Heidegger et à la révolution conservatrice de Jünger, voire de Schmitt. La téléologie humaniste de l’histoire est rendue responsable de la catastrophe moderne par sa prétention à faire de l’homme le producteur de l’histoire, alors qu’il en est le consumateur, si l’on passe ce mot. La dévastation de la planète par la Technique qui est la face armée de la métaphysique occidentale réduit l’humain à un objet mis à la disposition d’une volonté de maîtrise nihiliste. La mondialisation est reconnue de loin comme un chapitre nouveau et peut-être terminal de l’histoire en tant qu’histoire du nihilisme ; elle radicalise l’impasse ontologique de la modernité.

Cette approche demeure toutefois extrêmement générique et croit posséder la clé du monde sans pénétrer dans une analyse de formes qu’elle juge ontique. Le capitalisme est sublimé dans la Technique et superficielle. Celle-ci est susceptible de deux versions très différentes.

La première est une version euphémisée de la révolution conservatrice. Rendue prudente par les mésaventures politiques de Heidegger et la catastrophe du nazisme, elle décrit les noirceurs de la mondialisation en matière de culture – la montée de l’insignifiance et la manipulation, la destruction de la pensée – et de la politique – ambiguïté du « droit-de-l’hommisme » et perversion irréductible de la démocratie. La philosophie doit consommer son destin dans le mépris d’un monde devenu immonde et préparer l’avènement d’une nouvelle pensée qui sera
celle d’une élite de l’excellence. Cette version est étrangement silencieuse sur la dimension économique de la mondialisation et sur ses immenses dégâts humains, peut-être parce qu’elle accepte le capitalisme comme chargé d’affaire de la catastrophe. Bien entendu, le mot de capitalisme n’est jamais prononcé. Tout se passe comme si le capitalisme financier et ses violences étaient non seulement immunisés contre toute critique, mais faisaient l’objet d’une apologie indirecte. Les élites à venir pourront donc prendre appui sur l’actuelle caste dirigeante et ses richesses et mettre en place avec elles les modalités nécessaires pour gérer le troupeau humain.
En attendant le système capitaliste tient lieu du surhomme nécessaire au salut de l’Occident.

La seconde version n’est pas marquée par la nostalgie des élites et du surhomme. Elle est surtout plus intéressante du point de vue de l’émancipation en ce qu’elle sait prononcer le mot de capitalisme et esquisse une analyse catégorielle des formes de la mondialité. Elle dispose
d’une élaboration théorique autrement consistante. C’est celle d’un nieztschéoheideggerianisme infléchi, transposé sur le terrain de la démocratie processus, mis en syntonie avec le meilleur de l’héritage des Lumières et de Marx. On peut identifier en Gérard Granel, Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy, ses représentants. Cette version oblige à lire Heidegger avec plus d’équité. L’analytique de l’être-là comme Mit-Dasein, être-là avec les autres, être-là en commun au monde, se spécifie comme analytique de être-là en commun au monde de la mondialisation capitaliste. L’Occident est ainsi à la fois l’espace et le temps d’un déclin qui coïncide avec son triomphe. L’accomplissement de ce triomphe revêt la forme de l’accomplissement d’une puissance de production-destruction qui excède ses formes économiques et politiques de manifestation. Cette puissance se pose en espace-monde qui annihile l’espace naturel en le soumettant à la volonté de volonté du sujet libre moderne. Tout rapport authentique à l’être
est compromis dans le déchaînement de la puissance. Imposant l’universalité d’un rapport de manipulation, de tout l’étant, la Technique-Capitalisme-Monde configure l’hégémonie sans issue immédiate du couple sujet-objet et consomme-consume le Monde.

Le « sujet » est désormais le porteur et l’agent du nihilisme qui a recouvert la surface de la terre, comme l’explicite le dialogue qu’Heidegger noue avec Ernst Jünger dans Über die Linie dès 1949. Tout se passe comme si le mode de production capitaliste en son devenir-monde n’était que l’achèvement existentiel d’un destin historial plus profond et secret qui est celui de la parabole structurée par le couple fatal qui unit métaphysique et technique dans un oubli de l’oubli de l’être et se révèle comme Gestell. Il s’agit de l’arraisonnement de tout l’étant en un dispositif qui est mise à la disposition de tout chose pour le sujet. Tout se passe comme si la philosophie progressiste de l’histoire se renversait en une philosophie négative, en une catastrophe, en apocalypse. On se raconte plus d’histoire(s) sur le grand récit édifiant de l’émancipation, on lui substitue le grand récit d’une errance où se consomme l’interminable déclin de l’Occident buttant sur sa limite intérieure.

La version française de l’approche ontologique heideggérienne de la mondialisation se caractérise par deux traités. D’une part, elle est une prise en compte spécifique de Marx et de la critique de l’économie politique qui la rapproche de l’Ecole de Francfort. D’autre part, elle recourt à d’autres problématiques ouvertes sur une ouverture émancipatrice maintenue. Derrida s’inspire ainsi de Lévinas, et de son ontologie éthique d’Autrui, Granel de Wittgenstein et de Gramsci, Nancy de Arendt et de Bataille. Ce déplacement permet d’éviter ce que n’évitent pas Heidegger et ses autres disciples, le catastrophisme destinal et la fascination secrète exercée par
la thématique de la hiérarchie salvatrice.

En effet, l’analytique de la quotidienneté de Sein und Zeit se construit sur un glissement permanent de l’ordre de l’existentiel à celui de l’existential. Les concepts existentiels organisateurs de la quotidienneté inauthentique sont ceux qui ont un référent inséparable de la vie telle qu’elle se présente à l’époque qui suit la guerre mondiale, qui met aux prises nationalisme et
impérialismes, une fois passée l’épreuve de l’être pour la mort expérimentée sur les champs de bataille du grand massacre par ceux qui furent des combattants héroïques. Ces concepts sont immédiatement transformés et hypostasiés en catégories transcendantales, existentiales du da-sein en sa généralité transhistorique, sans jamais avoir à subir la distinction d’avec les concepts homonymes. Ils permettent certes une métacritique originale, différente de celle de Nietzsche, de la modernité mondialisée. Toutefois cette métacritique se fait mystification en ce que les
catégories innocentent le capitalisme dans la mesure où elles tiennent lieu de sa critique adéquate et en constituent la dénégation spécifique. Elles se donnent comme la logique transcendantale d’une condition pérenne de la vie inauthentique et de ce qui plus tard deviendra la Métaphysique-et-la-Technique. Assurément, elles possèdent une indéniable puissance d’évocation et de provocation dans la mesure où elles rendent possible une certaine reconnaissance de la condition spirituelle de l’époque. Toutefois elles transfigurent l’histoire de l’Occident en dissimulant la structure et le dynamisme de l’être social de sa dernière époque, c’est-à-dire de son époque actuelle. Elles ne peuvent à terme que déboucher sur une forme originale de révolution conservatrice, plus proche de la forme développée par Jünger que de celle présentée par Schmitt avec lesquelles elles symbolisent.

Tous ces penseurs post-heideggeriens ont thématisé le nihilisme actif, demeuré sans dépassement extatique, comme le voulait Nietzsche, que constitue la production-destruction capitaliste dont la subjectivité autonome et maîtresse du monde est le chiffre abstrait. Tous pensent du côté des hommes superflus, de la dévastation de la nature, de la justice ontologique à rendre aux masses subalternes. Tous dénoncent la maîtrise imaginaire des actuels maîtres du monde et sont à la recherche d’une politique hégémonisant l’économie. De ce point de vue, leur approche, encore trop souvent métaphorique de la mondialisation, est néanmoins plus riche et plus vigilante que les autres. La rencontre de ce courant avec certains courants du post-marxisme est certainement une tâche de l’avenir. Cette tâche prendra la figure d’une critique de ce qui demeure hubris, illimitation, démesure, dans le rationalisme des Lumières. Cette tâche invite à élaborer un autre concept de la perfectibilité humaine, de la capacité humaine de produire un monde, de développer les facultés d’invention et de connaissance dans les limites d’une nouvelle raison pratique. Mais ni Hegel, ni Marx ne seront plus traités comme des chiens morts. Ils
seront critiqués et exploités à la fois sous l’horizon d’un nouveau penser du monde, de l’action et de l’histoire, qui sera intrinsèquement penser du penser et de l’autre du penser.

Nous sommes conscients du caractère lacunaire de cette cartographie. Des oeuvres comme celles de Castoriadis, Foucault, Deleuze, Badiou mériteraient d’être appropriées en cette perspective comme productrices d’outils, de concepts et de problématiques pertinentes. Nous remettons à plus tard cette étude. Pour l’instant nous assumons une recherche marquée et limitée par une culture philosophique post-marxienne ou néo-marxiste. Elle est le résultat provisoire d’une élaboration qui croise le travail du deuil avec une tentative d’héritage critique et une prise en compte de pensées autres. Tout ceci est du bricolage où l’empirique l’emporte sur le catégorial, mais nous espérons que cet effort ait une valeur de position ou à défaut de témoignage pour l’avenir.

Postmodernité et mondialisation

Comment aborder la mondialisation ? Est-elle un événement inédit qui fait discontinuité historique ou le moment d’un processus relativement continu ? Comment la caractériser en propre ? Postmoderne ? Postcapitaliste ? Avènement des flux liquides ou imposition d’une nouvelle contrainte ? Repose-t-elle d’abord sur une mutation portée par les savoirs et les techniques cognitives ou actualise-t-elle une financiarisation totale de la production et de la consommation ? Ouvre-t-elle des possibles exigeant une révolution ou est-elle une révolution permanente qui se fait répétition extatique de son mouvement, clôturant ainsi l’histoire en son cercle ? Quel
avenir promet-elle aux populations qu’elle fait entrer en ce cercle qui n’a rien d’enchanté et d’enchanteur ? Se définit-elle comme promotion sur le long terme d’un plus d’humanité pour les masses subalternes, malgré les dégâts humains et culturels qui l’accompagnent ? Ou se manifeste-t-elle comme mise en abîme grandissante du monde et des hommes privés de puissance sociale et intellectuelle ? Faut-il panacher et combiner le oui et le non pour répondre à ces questions, en ajoutant à ceci un peu de cela ? Mais alors comment éviter l’éclectisme et l’absence finale de pensée ? Hegel ne nous a-t-il pas appris qu’ajouter un caractère à un autre, ceci et cela, est le contraire d’une vraie pensée ? Nous savons que nous ne répondrons pas à ces questions d’une manière également univoque, mais que la juste dialectique demeure à élaborer.

Partons plus modestement de l’appellation, un temps lieu commun obligé de la philosophie et des sciences sociales, de postmoderne. Ce terme comme tous les termes utilisant le même préfixe « post » ont pour fonction d’attirer l’attention sur des phénomènes qui modifient de
manière significative la configuration que d’autres concepts définissaient antérieurement. Ces termes ont toutefois le défaut d’effacer dans la diction en « post » les caractères qui permanent ou durent impliqués dans le maintien de l’adjectif auquel ils sont préfixés. Le terme de postmoderne invite ainsi à une réévaluation de l’histoire de l’Occident et de la modernité ; il oblige à prendre acte de la crise jugée irréversible de la philosophie de l’histoire en tant qu’histoire de l’émancipation universelle sous toutes ses formes – République des fins sur terre, société communiste du libre développement de tous, société de l’abondance totale et du bonheur général. Désormais, il ne faut plus attendre de l’histoire la futurition des idéaux de la modernité. Il ne faut plus se raconter des histoires sur l’Histoire. Fin des grands récits et fin même d’une version forte de l’histoire des aspects progressistes du Monde. Il faut se confronter à une pluralité
de récits, chacun structuré par une pluralité de différends à évaluer et à surmonter tant mal que bien. L’agon, la lutte n’ont pas disparu ; ils se pluralisent en une diversité plurivoque de dictions, sans s’ordonner autour d’une contradiction centrale résolutoire. Ils se disent en divers langage, chacun doté de sa grammaire et des jeux, comme l’a montré Wittgenstein.

Le terme de post-moderne, inventé d’abord sur le terrain de l’urbanisme pour désigner l’épuisement de l’architecture futuriste fonctionnelle, s’est généralisé dans tout le champ des pratiques esthétiques pour désigner la fin des codes représentatifs, par exemple de la forme symphonie et de la forme sonate, de la forme de la représentation projetée encore en expressivité picurale, de la forme roman classique. Il est passé ensuite à la philosophie – Lyotard – et à la sociologie – J. Baudrillard, P. Virilio. C’est sur le terrain de la pratique et de la théorie de l’histoire qu’il a manifesté sa charge critique la plus aigüe, en indiquant après la fin de l’histoire
universelle chère à Hegel, à Comte, à Spencer, au marxisme la fin de l’histoire globale qu’avaient soutenu à titres divers Weber, Toynbee, et, en France surtout, l’école des Annales en la personne de ses organisateurs successifs, Lucien Febvre, Marc Bloch, et Fernand Braudel. Cette histoire prenait en considération des macro-sujets, des macro-processus, des structures quasi-immobiles dans la courte durée, et elle maintenait une exigence explicative forte, irréductible à la seule conscience des acteurs individuels ou collectifs, mais attentive à leur compréhension. Le tournant dit linguistique qui a marqué l’orientation de la pratique historienne est
la meilleure expression du moment post-moderne. Qu’il s’agisse de la question de l’incroyance au XVIe siècle, de l’économie rurale de la France, de la Méditerranée à l’époque de Philippe II, ou de l’histoire croisée de la civilisation et du capitalisme, ces recherches ont été jugées comme
occultant l’histoire micrologique des mentalités et des goûts ou de pratiques déterminées. Il importait que l’histoire redevînt avant tout un art du récit, sans possibilité d’accession à un savoir scientifique, un genre littéraire centré sur des récits vrais, distincts des fictions, une interprétation multiple et provisoire de l’infinité de l’agir humain.

Paul Veyne en France a donné sa première et brillante expression à ce mouvement critique qui retrouvait l’histoire comme genre littéraire. Paul Ricoeur donnait plus tard sa dimension philosophique à ce tournant linguistique et élaborait un modèle herméneutique de compréhension centré sur la mémoire et les capacités interprétatives des acteurs individuels et collectifs. Ce paradigme herméneutique renouvelé s’est généralisé aux sciences humaines avec les travaux de R. Boudon, L. Boltanski, L. Thévenot, M. Gauchet, et il a mis un terme à la sociologie objecive des champs sociaux élaborée par Bourdieu. C’était la fin du débat que Bourdieu voulait refondateur de la sociologie qu’il avait établi en mettant en confrontation Marx, Weber, Durkheim, Wittgenstein et le pragmatisme américain. En même temps que la recherche historique
se renouvelait tout en se reniant comme possibilité d’un récit à prétention globale, la sociologie découvrait l’action en première personne et renonçait à la théorie globale bourdieusienne des champs de la pratique. La pensée de la transformation sociale était reconduite dans l’enceinte de l’individualisme méthodologique et du libéralisme politique, voire économique. Il devenait impossible de penser en termes de global, de structures d’ensemble, de processus de longue durée et d’époques. L’idée de révolution fut bien sûr la cible privilégiée de cette révision drastique, et elle finit par être réalignée sur le modèle de la révolution américaine et de sa stabilisation supposée éternelle. Le postmoderne a ainsi couvert des attitudes différentes qui ne trouvaient une unité que négative dans la critique souvent pertinente des philosophies de l’histoire. Toutefois la critique s’est payée d’un prix excessif puisqu’elle a entendu émettre un veto définitif sur l’idée d’une histoire de niveau global, sur l’approche dynamique et structurale d’ensemble, sur la possibilité de tout dépassement de l’ordre libéral. En France, cette attitude convergea avec celle de la philosophie juridique de la mondialisation, le montre le rôle de François Furet aussi bien en tant qu’historien de la Révolution Française que comme direceur de l’École des hautes études en sciences sociales. En fait, la critique de l’eschatologie de l’histoire s’inversait en une philosophie libérale de l’histoire consacrant le présent, en une téléologie dogmatique de l’ordre libéral. Cette téléologie était et est toujours un rappel à l’ordre et une remise en ordre qui ne concerne pas la seule politique, mais aussi bien
l’économie et la culture.

C’est, en effet, l’économie politique néo-libérale, libériste pour reprendre la distinction de Croce, qui fit apparaître que le grand récit du marché et de l’entreprise, de la catallaxie remplaçait, malgré les dénégations, les grands récits déchus de l’émancipation et sous-tendait la fétichisation de la démocratie régime. C’est cette économie qui imposa la prise en compte orientée de la Globalisation présenté comme le triomphe sans retour du capitalisme et de sa démocratie. Il suffit de lire les ouvrages réellement enthousiastes, au sens originaire du mot, de l’américain Robert Reich ou du japonais Kenichi Ohmae ou du français Pierre Lévy pour prendre la mesure de la croyance de certains libéraux et néolibéraux en cette sociodictée que constitue pour eux une mondialisation fondamentalement heureuse, le grand marché se faisant le support du rêve cosmopolitique des Lumières, pensé exclusivement du côté des transformations économiques et
technologiques.


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