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L’espace, enjeu de la surveillance du globe
Par Michel Rogalski, économiste, CNRS. Directeur de la revue Recherches internationales

En une trentaine d’années l’espace, celui qui est au-dessus de nos têtes, est devenu un enjeu majeur des activités humaines et donc des rivalités et des compétitions entre états. Il est tout simplement devenu omniprésent dans la gestion de nos activités quotidiennes. Sans lui, les états deviendraient sourds et aveugles et ne pourraient plus analyser des situations en évolution rapide. Depuis quelques années plus rien n’échappe à l’oeil vigilant des satellites qui tournent ou stationnent en permanence autour de la terre. Le temps des avions-espions de reconnaissance qui s’écartaient “accidentellement” de leurs lignes de vol pour réaliser furtivement quelques repérages est désormais révolu. La compétition ne se réduit d’ailleurs plus aux Russes et Américains. Une dizaine d’états se sont invités dans la course à l’espace. Les données de base, naturelles, militaires, économiques, sociales, agricoles, démographiques et d’infrastructures sont à la portée de ceux qui maîtrisent la technologie de l’espace et savent traiter par des moyens informatiques puissants les informations ainsi recueillies. Cette révolution technologique contribue à modifier les bases des rapports de pouvoirs à l’échelle du monde et fait déjà l’objet d’intenses luttes d’influence entre groupes industriels et entre les pays les plus avancés dans ces techniques.

Des rapprochements de systèmes technologiques

La mutation technologique récente résulte du développement de systèmes techniques différents -lanceurs, satellites d’observation, bases d’exploitation des données au sol- qui, en s’assemblant, ont permis tout à la fois une observation fine de la planète et la constitution de banques de données mondiales, instantanément mises à jour et capables d’être gérées intelligemment. C’est la maîtrise des trois segments et leur mise en relation qui confère le pouvoir spatial. Les phénomènes naturels, industriels ou sociaux deviennent lisibles en temps réel. De nouvelles sources d’informations, d’interprétation automatisée, sur les sociétés humaines se mettent ainsi en place et s’ajoutent aux informations fournies plus traditionnellement par les appareils de collectes statistiques nationaux. En cas de crise, de guerre, d’effondrement ou de délitement d’états ou de refus de fournir des informations, ces techniques se substituent déjà aux données nationales devenues inaccessibles ou non fiables. Ces dispositifs d’observation s’imposent progressivement comme sources fiables de connaissances sur l’activité humaine au détriment des systèmes nationaux traditionnels de collecte de statistiques. Savoir ce qui se passe dans certains régions du monde (Angola, Somalie, Rwanda, Cambodge, Asie centrale, Irak, Colombie, Russie, ...) n’est déjà plus possible à travers les seules sources nationales.

Ces dispositifs vont faire voler en éclats les frontières disciplinaires parce qu’ils vont apporter des informations aussi bien aux économistes, aux géographes, aux agronomes, aux urbanistes, aux démographes, qu’aux écologues. Mais surtout ils vont générer d’immenses bases de données qui mélangeront toutes ces informations et mettront en évidence leurs interrelations et leurs influences réciproques. Par leur rapidité, leur pouvoir d’analyse et d’anticipation, ils supplanteront les méthodes traditionnelles. Les savoirs apportés par ces dispositifs ont déjà colonisé la plupart des sciences sociales.

Bref, une nouvelle source de savoir et donc de pouvoir est en train d’émerger. Quelques exemples permettront de mieux en prendre la mesure. On s’accorde à reconnaître que la ressource-clé des prochaines décennies pour la majeure partie de la population sera la disposition en eau. Ces dispositifs permettent à tous moments d’obtenir des informations sur l’état des réseaux hydrauliques. En les combinant avec d’autres sur l’état et l’usage des sols et le type de cultures, il devient possible de prévoir des pénuries, des rendements agricoles, des inondations ou des sécheresses, ou encore des mouvements de populations. L’extension d’une épidémie ou d’une pollution peut être suivie en temps réel. La précision de l’observation, dont la résolution est en deçà d’un mètre, permet un suivi précis aussi bien des processus de déforestation que de croissance urbaine. La moindre parcelle de plantation de drogue ou le plus petit terrain d’atterrissage même parfaitement camouflés seront immédiatement détectés.

Une dépendance par rapport au détenteur de l’information

La plupart des grandes villes se sont dotées de système de gestion complexes dont les données proviennent de plus en plus de tels dispositifs d’observations. La qualité de la gestion s’en trouve certainement améliorée, mais la dépendance par rapport au détenteur de l’information constitue le point de fragilité du système. Ainsi vont se développer des situations nouvelles où la connaissance sur un pays proviendra de moins en moins des informations fournies localement et où des pays pour savoir ce qui se passe chez eux devront se tourner vers ceux qui à l’extérieur maîtrisent à travers ces dispositifs l’information essentielle sur eux-mêmes. À l’image du “parapluie nucléaire”, on parle déjà du “parapluie informationnel”. Mais là encore, tout comme l’engagement d’une puissance nucléaire à protéger celles qui ne l’étaient pas et qui s‘engageaient à ne pas le devenir n’a jamais pu être vérifié, rien n’assure contre la rétention d’informations ou la diffusion de fausses données.

Jusqu’à présent il existait bon nombre d’organismes qui ne serait-ce que pour pouvoir procéder à des comparaisons internationales, centralisaient les informations et les retravaillaient pour les harmoniser. En règle générale ces informations provenaient de sources nationales et étaient accessibles à tous. Ainsi fonctionne le système des Nations unies. Il devient maintenant possible de collecter des informations à l’insu d’un pays, voire contre son gré et sans obligation de restituer des données qui pourront par ailleurs être commercialisées. L’enjeu financier de telles techniques est évident et va modeler leurs évolutions. Le commerce de l’imagerie spatiale à haute résolution se développe. Il explique aussi les efforts des pays et des groupes industriels les plus puissants pour ne pas être écartés de ce nouveau domaine d’activités. Les budgets de renseignements spatiaux, civils et militaires sont partout à la hausse. Les fonds publics se mêlent aux capitaux privés pour encourager ces activités. Et lorsque des coopérations rentables se mettent en place à l’échelle européenne, le retrait des capitaux publics est exigé au nom des règles de l’Union européenne.

Les états-Unis sont les plus avancés. La France, l’Europe et la Russie ne sont pas en reste. L’Inde et la Chine ont déjà atteint de bons niveaux et développent des programmes de lanceurs et de satellites et vont compter économiquement dans la compétition mondiale de ce secteur. Le Japon s’y met aussi et l’Afrique du Sud est déjà très avancée. Des pays comme Taiwan ou la Corée du Sud possèdent déjà les segments de technologies qui leur permettront de s’intégrer au processus. Des coopérations nouvelles, impensables du temps de la Guerre froide se mettent en œuvre, notamment entre la France et la Russie. Cette année, la base française de Kourou en Guyane a été utilisée pour lancer une fusée spatiale Soyouz, en vertu d’un accord qui remonte à 2003. La Chine a commencé la construction d’une station spatiale habitable et maîtrise déjà les vols habités. Elle a également montré qu’elle savait utiliser des missiles anti-satellites. Pour se rendre autonome du système GPS américain et Glonass russe, l’Europe s’est lancée dans la construction du système Galileo composé d’une trentaine de satellites. Aujourd’hui, l’une des menaces qui pèse sur l’espace c’est son encombrement et la multiplication de débris –plus d’une centaine de milliers- qui le polluent non sans danger.

Il est maintenant acquis que le phénomène sera irréversible. Il constituera un domaine de plus d’exclusion mondiale, certains pays étant dans l’incapacité d’accéder à la maîtrise de cette technologie, d’autres se verront écartés, pour des motifs politiques, de la possibilité de bénéficier des données recueillies, y compris de celles pouvant les concerner. La vigilance des scientifiques, participant à tous les niveaux à ces systèmes d’observation et de traitement des données, doit donc être d’autant plus grande qu’il s’agit de l’une des sources du pouvoir de demain.

Chronique publiée dans la revue Recherches internationales


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