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Jimmy LÉVY : « Petites reines »
La critique de Lucien Wasselin

Le premier roman publié de Jimmy Lévy, Petites reines, est double : c’est, données en alternance aux lecteurs, deux histoires, l’une en caractères italiques, celle d’une enfant pubère (on n’ose pas écrire d’une jeune femme) qui vit dans une tribu reculée, aborigène ( ? ), l’autre, imprimée en caractères romains, celle d’une femme vieillissante qui rêve de « se faire inoculer l’Alzheimer, ou un charcutage du cerveau » (p 22 ), qui vit dans une villa en bord de mer en Californie. Un choc naît de la juxtaposition de ces deux soliloques. Mais, Jimmy Lévy fait dire à sa petite reine qui mène une existence apparemment dorée en Californie : « Moi je n’aimais que les bouquins qu’on ne pouvait pas résumer, ni expliquer ». Les soliloques ne se résument, ni ne s’expliquent : me voilà rassuré.

Ce n’est pas la seule différence entre ces deux textes parallèles. Le premier est écrit dans un style châtié, à la fois descriptif et narratif ; le second est plus vulgaire, les mots orduriers abondent. Les phrases sont relativement courtes dans l’un comme dans l’autre. On pourrait presque croire que la première histoire est celle d’une tribu cruelle alors que la seconde, celle de la vieille croûte fortunée, est celle qui nous attend tous peu ou prou (la fortune et la belle villa en moins). Si la première histoire est datée à l’aide de saisons, la seconde l’est plus précisément (mois, année). Le choc est aussi celui de deux civilisations.

Le cabinet du docteur Glass où se rend la vieille croûte fortunée est le lieu d’un morceau d’anthologie rien que pour le langage soutenu ( ! ) de cette dernière, salle d’attente comprise (8 et 10, pp 45-49 et pp 53-57). À quoi s’oppose la sage et révoltante description que fait la petite reine des us et coutumes de sa tribu ancestrale. Comme s’opposent les chapitres 13 et 14 : la scène où la petite reine se donne à Nago, le fils du sorcier de la tribu ancestrale alors qu’elle est réservé au chef du clan, et celle où la vieille croûte (encore jeune à l’époque, on est à la fin des années cinquante) se fait « déniaiser » par son Simon. C’est un vrai régal stylistique.

On lira le choc de deux cultures différentes, la liberté de disposer de son corps, la maladie d’Alzheimer, le fric facile, le viol ou l’inceste… On pourra lire ce que l’on veut dans ce roman inclassable et prenant. D’ailleurs, Jimmy Lévy fait dire à sa petite reine qui vit en Californie qu’elle n’aime pas les livres qui peuvent se résumer ou s’expliquer. Que l’auteur ne perde pas confiance, les siens ne peuvent se résumer ni s’expliquer ; en tout cas, je n’en ai pas l’envie ! Dès le tiers du roman, j’émettais l’hypothèse que la vieille croûte et la jeune petite reine n’étaient qu’une seule même personne, hypothèse que j’ai abandonnée rapidement ! Je ne révélerai rien de la fin de l’ouvrage pour ne pas le déflorer… : je laisse donc aux soins du lecteur de découvrir cette fin. La réalité dépasse parfois la fiction (à moins que ce ne soit l’inverse). La littérature peut tout ! Mille ans, ainsi que mille pages, peuvent ainsi passer comme un charme…

Jimmy Lévy, Petites reines. Le Cherche Midi éditeur, 272 pages, 19 euros.


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