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Histoire du STO, de Raphaël Spina
La critique de Philippe Pivion

Ce livre est un travail remarquable permettant au lecteur de mieux appréhender ce que fut le Service de Travail Obligatoire en France durant la seconde guerre mondiale. On ne peut que féliciter l’auteur, Raphaël Spina, de son ouvrage qui est le produit d’une recherche des plus approfondies sur ce qui reste un des souvenirs les plus cuisants de l’Occupation et qui continue, au travers de ses trois lettres, STO, de nourrir la mémoire collective.

Les nazis dès l’échec devant Moscou en fin d’année 1941 sont confrontés à un problème crucial de main d’œuvre. Deux phénomènes se conjuguent, d’abord le gouffre du front de l’Est qui dévore plus de 50 000 hommes tués ou disparus par mois, sans compter les blessés, puis l’entrée en guerre des Etats Unis après l’attaque japonaise sur Pearl Harbour. Le 11 décembre 1941, la guerre est mondiale. Or, les trois principaux pays alliés pris individuellement ont une production militaire supérieure à celle de l’Allemagne. Il est urgentissime pour les nazis d’exploiter dans les usines militaires toutes les forces de travail disponible. D’abord avec les Polonais et les Soviétiques, puis en sélectionnant ce qu’il y a de meilleur dans les territoires occupés.

En France le gouvernement de Pétain est idéologiquement en harmonie avec Hitler et les nazis. Laval ne déclare-t-il pas : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s’installerait partout » (discours du 22 juin 1942). Et parce que les nazis payent de leur sang ce combat, le gouvernement français décide de leur offrir la force de travail indispensable pour faire tourner les machines, disent sans honte les dirigeants français d’alors.

C’est ainsi que la France sera le seul pays occupé à édicter des lois contraignant les ouvriers à être expédiés dans les lieux de production outre-Rhin (comme pour les lois sur le statut des Juifs établies dès le 3 octobre par Pétain). C’est ainsi que la France fournira la main d’œuvre la plus qualifiée qui soit aux industriels allemands.

Décidément, cette année 1942 est cruciale. Parce que confronté de manière récurrente au besoin de producteurs au moindre coût, ils vont décider d’un regroupement des Juifs, de leur déportation de leur élimination pour les improductifs et de leur utilisation jusqu’à ce que mort s’en suive sur le lieu d’exploitation pour ceux en état de travailler. La conférence de Wansee se tient le 20 janvier 1942, ne l’oublions pas alors que la Shoah par balles a débuté dès l’été 1941 en URSS. De ce point de vue, je ne peux partager l’opinion facile de ces historiens qui ont décidé une fois pour toutes que les nazis et leurs chefs étaient des fous sanguinaires. Non, ils avaient une intelligence consacrée en totalité à leurs desseins, une logique basée sur une lutte des races et la domination aryenne dans laquelle le grand capital de l’époque inscrira le maintien de la domination de sa classe, quitte à l’épurer. Le financement du nazisme par les oligarques de l’époque visait bien à asseoir un pourvoir fort, capable de juguler syndicats et partis rouges pour permettre une exploitation optimale destinée à satisfaire ses profits. Le racisme obsessionnel des nazis servait leurs buts politiques. Ce qui frappe, c’est le cynisme de ce tri, la sélection, depuis la rampe, jusqu’à celle lors des rassemblements, dans les usines, dans les infirmeries etc… Il ne sert à rien de nourrir des bouches inutiles ou d’alimenter des bras improductifs. Et comme la masse des déportables est gigantesque, il ne sert à rien non plus de la maintenir en bon état. C’est, en quelque sorte, la logique capitaliste poussée à son extrême en réduisant le coût de reproduction de la force de travail à zéro.

Là aussi, l’attitude la France n’est pas glorieuse. Les autorités et la police française (encore une fois, seul pays occupé à le faire) mettront leur énergie au service des bourreaux nazis pour la déportation des Juifs. L’argument officiel était d’ailleurs que c’était une déportation pour aller travailler à l’Est. Ce n’était qu’un demi-mensonge [1]

Nous apprenons à la lecture de ce livre que ce sont 600 000 à 650 000 travailleurs qui sont déportés avec le STO, chiffre considérable qui affaiblira durablement l’outil de production national. L’auteur prend soin de décortiquer le mécanisme dans lequel les autorités françaises s’engouffrent pour répondre favorablement aux besoins allemands. Il analyse méticuleusement les alternatives et dilemmes qui taraudent la conscience des jeunes requis. Ils obéissent à une loi française, ils satisfont à une solidarité entre prisonniers et déportés (solidarité qui ne tiendra pas longtemps puisque les nazis ont aussi besoin de la main d’œuvre des prisonniers de guerre). Les nombreux témoignages recueillis sont précieux à cet égard.

Ce drame du STO oblige l’Eglise à se positionner, les évêques soutiennent dans leur masse cette politique, quelques-uns renâclent. C’est un drame aux dimensions nationales, sociales, humaines, familiales, qui provoque l’inversion de beaucoup de valeurs.

Il y a peu d’ouvrages qui traitent de cette question. Celle-ci dérange à n’en pas douter. On cite le STO parce que c’est une donnée importante, mais souvent pour souligner que c’est lui qui fournira le gros des troupes aux maquis. La chose est bien plus complexe et l’auteur démontre qu’il n’y a rien de linéaire, que les résistants sont plutôt débordés par cet afflux auquel ils ne sont pas préparés, pour lequel ils n’ont pas la logistique. De plus, les motivations des rebelles sont d’une autre nature que le combat politique et militaire contre l’occupant que les résistants ont choisi.

J’exprimerai un seul regret, celui de l’effleurage de la question des chantiers Todt. Cette organisation portant le nom de son inventeur a utilisé jusqu’à 1 400 000 travailleurs esclaves en 1944 dans les pays occupés. En France, elle servira à la construction des bases de sous-marins et à l’édification du mur de l’Atlantique, et d’autres chantiers moins emblématiques. Or, c’est le même responsable que pour le STO : Fritz Sauckel. La mortalité y sera très importante. Il y a donc encore un nouveau travail de recherche à entamer…

La plume de Spina est légère et fluide, ce qui permet une immersion aisée dans son travail. Il va jusqu’à exhumer le problème qui occupa une place très importante dans les batailles politiques des années 70/90, celui de l’engagement de Georges Marchais dans le STO. De manière très honnête, il en conclut que Marchais était comme tous les autres ouvriers baignant dans une propagande échevelée et pétris de contradictions. N’oublions pas qu’il reste néanmoins une piste que j’estime sérieuse à ce sujet, c’est le travail de Marchais pour les services secrets soviétiques car il exerçait son métier dans une usine Messerschmitt. Ce ne sont pas des amis des communistes qui ont exhumé ce possible. C’est Adler, recevant des confessions de son beau-père, Kriegel-Valrimont, c’est Pfister qui s’épanche sur son blog et qui estime que jamais il ne trouvera de preuves, mais qu’il a l’intime conviction de l’engagement de Marchais pour satisfaire aux besoins de la lutte contre le nazisme. Pourquoi pas ?

Je ne peux terminer cet article sans conseiller au lecteur qui sera passionné par ce travail, de poursuivre son enquête avec deux livres plus axés sur le destin de ces femmes et de ces hommes : d’abord, un travail un peu ancien mais très bien fait : Eux, les STO de Jean-Pierre Vittori paru en 1982 aux éditions Messidor/Temps Actuels, et l’excellent travail de Patrice Arnaud malheureusement disparu très tôt et qui nous laisse un unique ouvrage : Les STO, Histoire des Français requis en Allemagne Nazie 1942-1945 aux éditions du CNRS, collection Biblis.

Histoire du STO. Raphael Spina. Editions Perrin.

Notes :

[1Voir mon article sur KL de Nikolaus Wachsmann paru sur le site de la Faute à Diderot


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