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« Fils de chamaille » et « Les désemparés » de Patrice Delbourg
Par Lucien Wasselin

Fils de chamaille


Comme on dit « fils de pute », Patrice Delbourg signe et donne à lire après publication par le Castor Astral, Fils de chamaille. C’est le portrait d’un écrivain has been qui n’arrive plus à se faire éditer ; c’est le portait d’un écrivain dans ses démêlés avec le conseiller littéraire de son éditeur : on reconnait le style propre à Patrice Delbourg fait de sarcasmes, de perfidies et d’insultes. On est loin des convenances polies des candidats à l’édition, des circonvolutions commerciales de la littérature romanesque pour ne pas dire officielle… C’est aussi l’occasion de dépeindre le petit peuple parisien des boutiquiers et autres buralistes, restaurateurs… Même les employés de la maison d’édition en prennent pour leur grade : « Plus proche de la retraite que de la découverte du point G, elle arrondissait donc ses appointements comme vestale de la turlute auprès de jeunes handicapés ayant perdu toute autonomie de locomotion à la suite d’accidents de la route : branlettes bretonnes, trompettes à la neige, giclées de grenouille, essorages de poireau et shampoings à la salive étaient stipulés dans sa pharmacopée orale » (p 43) : on est loin du réalisme (encore que !), on est en pleine fantaisie (langagière) ou « La médecine, les restaurants et la maison d’édition restaient les pôles d’attraction attitrés d’Aimé Ratichaud »,( page 50), le même Ratichaud s’entend dire de ses médecins qu’il avait invités au restaurant des « compliments qui tombèrent comme à Gravelote » (p 51) tandis que ces derniers « lèvent leur verre d’un excellent hypocras » (p 52).

En tout cas, « la publication d’un nouveau livre restait son seul et unique projet de vie », à Aimé Ratichaud (p 109) ; à rapprocher de cette citation : « Dés leur arrivée dans le grand salon ovale, les censeurs professionnels s’enfonçaient dans des ottomanes en feutrine, les pieds sur des piles de manuscrits non lus, piquant un roupillon en se colletant à des grilles de sudoku avec un potentiel de concentration parfaitement nul… » (p 108) ; le spectacle est complet ! Il faut lire le portrait du responsable de la société pour être convaincu que les amateurs de vraie littérature ne hantent pas un tel lieu. Aimé Ratichaud va même jusqu’à appeler Malinois, le conseiller littéraire, « d’ilote fonctionnaire », ce qui n’est pas aimable pour les fonctionnaires (p 151). Ratichaud se complaît dans sa vieillesse ; du moins passe-t-il en revue tous les maux dont il souffre (p 153). Patrice Delbourg refuse de choisir : « Les deux postures se rejoignaient en une immense répulsion partagée » (p 154), le mépris chez Malinois, le dégoût chez Ratichaud… Le lecteur n’est pas dans le livre d’apparat ni aux côtés des « tenants du livre savonnette » (p 135) ! Patrice Delbourg en profite pour mettre à mal les thuriféraires d’une telle littérature (p 160) sans oublier de vanter les folies architecturales dont Paris regorge (p 161)…

Au chapitre intitulé « Résidence du cactus » (p 171), Patrice Delbourg montre Aimé Ratichaud, lisant à sa mère à l’ancien lazaret des incurables d’Ivry un poème qu’il a composé la nuit même précédant sa visite au mouroir ; las, c’est un succédané de l’Albatros de Baudelaire qui n’innove pas, sauf qu’il a remplacé les strophes de quatre vers par des strophes de cinq vers, reprises comprises ! Au-delà du pensum insipide que représente l’absorption (p 181) de la prose d’Aimé Ratichaud, Patrice Delbourg signe une charge féroce contre le critère de lisibilité immédiate (qui ne s’adresse qu’à des lecteurs paresseux)…

On a droit alors à un échange de paroles cinglantes dont la moindre n’est pas celle-là : « Tes amies sont de pauvres analphabètes, toutes justes bonnes à collectionner les fiches-cuisine et à colorier les mots fléchés de Gala. Je n’écris pas pour les boniches » (p 181). Dont acte : il doit bien y avoir un juste milieu entre la situation dénoncée par Ratichaud et celle de l’édition dominante. Mais à vouloir être l’écrivain de l’indétermination et de l’inconstance, à vouloir se coltiner la malédiction de la mise en holter (p 183), le nommé Ratichaud se laisse prendre en pitié : il devient presque sympathique. On a droit à un échange d’insanités dans une chambre d’hôpital : on comprend alors pourquoi ce roman de Patrice Debourg s’appelle « Fils de chamaille » !

Après une séance chez le psychanalyste, l’heure du dénouement arrive... Aimé Rachitaud n’est pas un monstre (tout un chapitre est consacré à ce monstre), celui intitulé « Des yeux de litchis » qui est réservé à une description de ce qu’est devenue la littérature (celle qui ne marche pas au pas de l’oie derrière des gonfalons réducteurs, p 206) ; il faut absolument lire les pages qui courent de la 280 à la 281 : Patrice Delbourg passe au Je, il énonce ses souvenirs personnels…

Patrice Delbourg : Fils de chamaille. Editions Le Castor Astral, 306 pages, 18 euros. En librairie.

« Les désemparés »


Ce nouvel opus de Patrice Delbourg se présente comme le portrait de 53 écrivains ou poètes, et non des moindres. Mais l’auteur met ces portraits dans l’Histoire littéraire ; ainsi écrit-il : « Et Nouveau se présente sans doute comme le premier sismographe de cette vague décadente qui submergera le symbolisme dès 1880 » (p 20). Delbourg va jusqu’à parler de « la langueur exquise et de la courtoisie aisée » (idem), suit alors un quintil donné en exemple… Félix Fénéon, dans un texte sous-titré « Terroriste de la brève » a droit à cette phrase : « En 1895, ll devient secrétaire en chef de La Revue Blanche créée par Thadée Natanson, espace privilégié où il ne signera que trois fois en huit ans… » (pp 25-26) : j’aime ces comptes d’apothicaire !

De Georges Darien à qui les surréalistes ont rendu un hommage marqué par l’intermédiaire d’André Breton dans les Manifestes du surréalisme (dans son fameux etc…), Patrice Delbourg trace un portrait fidèle. On a lu le roman Le Voleur : Darien reste fidèle à lui-même ; « Alors que la France paraît avoir oublié dans les souvenirs de la Belle-Epoque jusqu’au souvenir des martyrs de la Commune, Darien lance un véritable cri de défi à la société » (p 30). De Jules Huret, je retiendrai que le romancier le désigne comme « le grand journaliste des temps modernes, la perle rare des rédactions… » (p 35). Mais Huret sait être caustique à l’occasion (ainsi avec Edmond Rostand) ! « Ses reportages sont des vraies odyssées » (p 42) souligne-t-il…

ll y a à boire et à manger dans ce livre… Page 74 on peut lire ces mots à propos de Jean de la Ville de Mirmont : « … nuque brisée par un Minenwerfen dans une tranchée du Chemin des Dames … » ! Je ne savais pas qu’il y était mort le 28 novembre 1914… De Pierre Reverdy, j’apprends que l’important n’est pas ses amours avec Coco Chanel mais que « le vers périt à mesure qu’il se fait. Il y a là une façon d’appel muet, un effort gigantesque du silence vers la parole » (p 77). Je m’avance peut-être, je laisse chacun libre de choisir les mots qu’il préfère… Etc… quant à Jean Follain que je tiens pour un grand poète, écoutons ce qu’en dit Patrice Delbourg : « … ce magistrat débonnaire à la majesté pateline, au caractère indépendant et bougon, disert à l’infini, juge de grande instance à Charleville, friand de mondanités et de de protocole, il ne devait pas trouver sa place dans ce peloton des déshérités. Mais quand on lit sa poésie, il en va tout autrement » (p 81). « Fin gastronome, homme d’humeur et de convivialité, passionné de langue verte, Follain tricote une liturgie domestique de la nourriture et de la cuisine normande qui s’ébauche avec la mystérieuse ordonnance d’une prière païenne sur des haies de mûres » (p 82). Je conserverai tous les termes de cet ensemble de phrases ! Homme de contrastes, Jean Follain l’était assurément : il faut lire et relire ce poète.

Je ne dirai rien de Geo Norge, ni de Dabit (Eugène de son prénom) sinon ces mots : « Quel terrible pied-de-nez à la destinée » (p 93), ni d’Emmanuel Bove dont je répèterai les mots qui terminent le portrait qu’en trace Patrice Delbourg : « Les chants ordinaires sont les chants les plus Bove » (p 104), ni de Benjamin Fondane, ni de Jacques Rigaut un héros comme le dit Delbourg, ni de Benjamin Péret dont j’ai un vieux Poètes d’aujourd’hui de chez Seghers dans ma bibliothèque…

Je ne dirai rien non plus de la littérature sportive d’un Jacques Perret car je ne l’ai jamais lu et ne suis pas sportif pour deux ronds, mais je parlerai de Malcolm de Chazal car j’apprends que le poète mauricien aurait déclaré que « Mon intention est de rester un mystère pour Maurice et pour le reste du monde. Personne ne doit savoir quoi que ce soit sur ma personne » (p 135). Serai-je victime de l’hystérisation de la civilisation contemporaine ? Je parle de Georges Hyvernaud dont j’apprends « qu’il lit beaucoup (Amiel, Benjamin Constant et Jules Renard), il consigne sur de petits carnets oblongs (où se les procure-t-il ?) une foultitude d’observations cliniques sur l’interminable procession des jours et des nuits, dans un monde de baraquements et de chiottes, de menaces et de fouilles, immergé dans une solitude faite de promiscuités croupissantes » (que ces choses-là sont bien dites, p 140). Il reste « méconnu parmi les méconnus » (p 143). De Raymond Guérin, Patrice Delbourg écrit : « Rue Bottin, l’érection d’un écrivain, ça se fait livre après livre, pas devant une photo cochonne au fond d’un placard à balais. Guérin, ça sent la crasse et le pet, ça vous change de Bernanos, Montherlant ou Yourcenar » (p 151). De Robin, je réserve ces mots de Delbourg : « La postérité retiendra surtout d’Armand Robin qu’il est décédé le jeudi saint 1961, après une longue nuit d’errance, à l’infirmerie spéciale du Dépôt dans des conditions suspectes où la responsabilité de la police n’a jamais été été tirée au clair » (p 171). De Ghérasim Luca, je retiendrai ce mot de réfractaire (p 175). Je n’ai pas lu Jean-Paul de Dadelsen, ni Luc Diétrich, ni Paul Chaulot ; je n’ai pas lu Georges Hénein, André Frédérique, Chaval, François Augérias ; je n’ai pas lu la moindre ligne, ni le moindre vers d’Oliver Larronde, de Jean-Pierre Duprey, de Jean Forton, de Francis Giauque, de Roger Kowalski ou de Jean-Philippe Sallabreuil… Mais j’ai lu Jacques Prével, Alain Borne, Jean Sénac, Stanislas Rodanski, Louis Calaferte, Alain Laude… Je n’ai compté que des hommes parmi ces écrivains ! Il est vrai que Patrice Delbourg, dans sa préface, promet « un volume devenu nécessité » (p 8). De même, on pourra mettre les absents en avant, cette lignée des absences est inévitable ( : pourquoi Michel Merlen et Frank Venaille sont-ils absents ?) ; mais Patrice Delbourg ajoute « pour une autre fois » (p 11).

Patrice Delbourg : Les désemparés. Le Castor Astral, 312 pages, 11,90 euros (au format de poche).


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