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Faire son deuil est une thérapie, une réflexion sur la mort et les rites funéraires
Par Issa Nyaphaga


« Je t’avais bien dit que j’étais malade ». Ainsi étaient gravés ces mots sur une tombe dans un cimetière aux Etats-Unis. L’histoire rapporte que le texte avait été commandé par le défunt lui-même, signe qu’on peut faire de sa propre mort une dérision.

On peut aussi aisément aujourd’hui décider de l’orientation qu’on voudrait donner à ses funérailles, si l’on désire une sépulture ou non, si bien qu’on pourrait penser que l’on consomme la Mort comme on consomme du Mac Do.

Les sociétés modernes dans lesquelles nous vivons laissent derrières elles des pratiques funéraires qui pourraient bénéficier aux générations futures. Préoccupés par le souci de fin de vie, nos contemporains sont bien plus formatés à l’organisation impeccable de leurs funérailles qu’à la transition entre l’ici et l’au-delà. Est-ce la faute à la grande course vers le mythique matérialisme interplanétaire ? Sûrement pas ! Mais le phénomène, probablement du à un recul des croyances d’antan, est lui-même porteur d’une régression de nos valeurs humaines. Les religions monothéistes, il y a encore quelques siècles, avaient le vent en poupe, elles avaient une emprise sur leurs contemporains qui, eux, ne dérogeaient pas aux règles. Les morts partaient au grand jour, avec tous les bruitages de l’époque.

Aujourd’hui, on peut affirmer que la religion perd du terrain, la bête fait moins peur, elle a perdu de son influence avec les réformes de séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme on peut le constater en France, où bon nombre de nos concitoyens tendent à garder le contrôle sur leurs doléances post mortem.

La conception classique du respect du désir du mort prime alors sur le devoir de sa communauté à célébrer sa disparition. On constate également aujourd’hui avec stupeur, et ce depuis plusieurs générations, la frustration qu’endurent les familles à ne pas se libérer lorsqu’elles perdent un être cher. Sans montrer du doigt notre attirance vers la fameuse modernité, on pourrait croire qu’un mot d’ordre a été donné de la fermer. Il faut se retenir de ne pas afficher « sa mauvaise mine » en présence d’autrui, parce qu’on se doit de rester digne. Quelle dignité y aurait-il à ne pas pleurer son prochain, fût-ce en public ? On le sait bien chez les humains, le choc peut émouvoir mais au bout de compte, on finit par exploser en sanglot.

Or si l’on remonte le temps, il était une époque où le défunt était accompagné d’une fanfare et de pleurs à gorges déployées, des chants et des claquements de mains vers sa dernière demeure faisaient aussi partie de la parade macabre. Il était même conseillé par certains hauts dignitaires spirituels d’exprimer en public son attachement aux morts. Pleurer son proche de toutes ses forces et sans retenue était bien recommandé par ces hiérarchies. A bien des distances à la ronde du voisinage du disparu, on savait qu’un homme, une femme, un ami, avait quitté ce monde et qu’on devait s’y rendre pour réconforter ses proches ou s’y faire voir, car demain, ce serait peut-être notre tour. Pleurer un mort, c’était lui rendre hommage.

Ne mourons plus sous silence

La planète tout entière ou presque, ne se retenait pas à se donner en spectacle à ciel ouvert pour la dépouille d’un proche, comme on peut encore le voir chez certains peuples lointains. Ces manifestations mortuaires, qui n’avaient rien de dégradant, donnaient lieu à diverses significations : célébrer le défunt en signe de courage pour le préparer à l’au-delà, lui esquisser la dernière danse sur le chemin du cimetière, ou tout simplement pleurer pour lui témoigner son attachement.

Chez les Ashanti, en Afrique de l’ouest (Ghana), les choses sont beaucoup plus spectaculaires, les cercueils des morts ont des allures insolites, les croque-morts sont aussi les artistes qui sculptent dans le bois toutes formes extravagantes de cercueil, sous l’apparence de pirogues, de maison ou d’oiseaux imaginaires, si bien que chez les Ashanti, c’est à croire que les morts partent dans des véritables chefs-d’oeuvre de maîtres. Avec la traversée de la colonisation, les Ashanti ont su gérer avec brio l’alternance post-indépendance et l’ouverture au monde occidental, puisqu’on retrouve aussi des cercueils sculptés sous les apparences d’un avion, d’un bateau ou encore d’une chaloupe. Ce peuple célèbre pour ses cercueils met un brin d’humour dans la mort, si bien qu’on peut soi-même de son vivant, dessiner son nid, et pour les collectionneurs-profanes, la queue est longue. Mais quels que soient les choix du futur défunt en ce domaine, les rites funéraires demeurent invariables.

Si un poète philosophe affirme que "la mort est une agence de voyage qui ne délivre que des billets aller simple", prendre le train, l’avion ou le bateau est devenu de nos jours quelque chose de confidentiel. La maladie et la mort sont murées comme nos comptes en banque, c’est devenu le tabou qu’il ne faut pas évoquer en présence des proches du défunt. On peut très vite vêtir la cagoule du bourreau rien qu’à la question : "de quoi souffrait-il ?" Alors que le fait de se rendre sur les lieux du deuil et de s’intéresser au défunt est un signe de solidarité fort adressé aux proches. Comme chez certains peuples d’une autre Afrique où dire le nom du mort avant son inhumation suffit à créer le scandale au point que celui qui commet le forfait s’expose à des sanctions terribles.

La crainte de la perte des valeurs

Nos valeurs occidentales ont évolué vers d’autres moeurs bien plus rationnelles et tentent donc indirectement avec la globalisation, d’influer sur les traditions des cultures lointaines. Pour ne citer que l’exemple de l’Afrique centrale, beaucoup d’anciennes colonies françaises ont adopté des rites et coutumes occidentaux dans la façon d’enterrer leur mort. Les défunts ont quitté les linceuls, les huiles essentielles pour vêtir le traditionnel costume et être imbibés de parfum Dior ou Cartier, si ce n’est Ungaro. Ils ne sont plus inhumés à la traditionnelle, à même le sol comme il est de coutume, mais dans un cercueil zingué, murés dans des bois sculptés dernier cri, avec des poignées en argent, si bien que le cortège funéraire très impressionnant par sa longueur, affiche des allures de luxe. Par conséquent, les performances réalisées en hommage aux morts sont bien respectées dans les règles de sa tradition, avec un zeste de snobisme à la clé. Pourtant l’Afrique contemporaine n’a pas les moyens de s’offrir de telles folies, elle croule sous le poids des dettes.

On ne devrait pas crier « Ô danger ! », pour protéger certaines valeurs, mais l’évolution des us et coutumes de nos sociétés est une question que nous devons poser au présent.

Prendre la décision de son vivant de donner son corps à la science ou de se voir organiser des funérailles comme on l’entend, même à des coûts exorbitants, est une question personnelle, mais qui pose le problème de la transformation de notre époque.

La question du traitement des morts est vaste. Elle offre une lecture socialement culturelle, puisque chaque société a évolué avec des codes culturels qui lui sont propres. Aujourd’hui, selon la région du globe où l’on meurt, on est traité de façon bien différente. Si, pour certains, enterrer est une question capitale, pour d’autres, dépecer le défunt et le déguster l’est aussi. C’est le cas d’une tribu indienne amazonienne sédentaire, qui use de cette pratique en signe d’attachement au disparu. Âmes sensibles s’abstenir, et les esprits progressistes apprécieront.

Dans ces siècles de vitesse enclenchée par de grands marathons pour le profit, où homme et valeurs ne sont plus au centre de nos intérêts, nous courons à la perte de nos âmes et le trophée serait une pierre en or avec l’écriteau : « Je t’avais bien dit que j’étais très riche, et je suis mort dans la solitude. Quelques inconnus bien payés m’ont accompagné. ».

Si la pensée philosophique populaire affirme que « la mort est une partie de la vie », et si nous comparons une vie à une journée, la mort serait donc le moment où, le soir après le diner nos paupières se ferment et où nous allons au lit pour dormir. Nous devons alors vivre une autre vie, dans nos rêves. Mourir de sa belle mort reste l’option souhaitée pour des esprits illuminés.

Il reste que rendre hommage au mort apparaît comme le moyen pour la société de régler ses antécédents avec le défunt.

Décembre 2006

_ Illustration : Le repos de nos âmes (Photo : Buyanov)
Issa Nyaphaga est artiste plasticien
www.nyaphaga.com

Commentaire de Bernard Gisuti : je renvoie les lecteurs et lectrices qui désireraient approfondir les questions soulevées par le texte d’Issa Nyaphanga aux ouvrages d’un de mes anciens professeurs, Louis-Vincent Thomas, anthropologue spécialiste de la mort, notamment dans les sociétés traditionelles ; et pour ce qui concerne la transformation et le déplacement des valeurs liées à la mort en Occident, à l’incontournable Histoire de la Mort en Occident, de Philippe Ariès, ouvrage ancien mais toujours inégalé.


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