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Une étude sur les ressorts du vote FN en milieux populaires
Texte publié en septembre 2011

Synthèse de l’étude.

Il y a urgence à s’interroger sur les raisons du succès de Marine Le Pen en prévision du prochain scrutin présidentiel. Qu’est-ce qui conduit un grand nombre d’électeurs de catégorie populaire à songer au vote Front national ? Bien sûr la réalité des milieux populaires n’est pas homogène et de multiples facteurs sont susceptibles d’expliquer l’intention de vote frontiste. Alain Mergier et Jérôme Fourquet ont toutefois choisi d’adopter l’hypothèse suivante : entre fin 2010 et début 2011, quelque chose a basculé dans l’opinion et en particulier dans les milieux populaires, et l’effet d’attraction produit par le discours de Marine Le Pen s’explique par un fond commun de représentations structuré par un sentiment général d’« insécurisation ». La tension sociale est réelle, la révolte et la colère sont à leur comble parmi les ouvriers et le sentiment d’injustice gagne du terrain parmi la classe moyenne. Qu’est-ce qui a basculé dans l’opinion ?

Une nouvelle évolution vient d’abord parachever le mouvement de décrédibilisation croissante du pouvoir politique. L’idée se répand en effet selon laquelle le pouvoir réel et effectif serait non plus aux mains des politiques mais des marchés financiers, pendant que l’image d’un pouvoir sans partage détenu par l’oligarchie financière et confisqué à la sphère politique s’impose dans les milieux populaires. Le monde politique se trouve ainsi décrédibilisé non plus seulement au titre de son incompétence et de ses abus, mais au titre, désormais, de son impuissance. A cela s’ajoute l’idée d’une « Europe de la contrainte », qui démunit la politique nationale française face à la concurrence internationale. En sus des diktats des marchés financiers et des contraintes imposées par l’Europe s’ajoute encore la question de la dette. Dans les milieux populaires, l’endettement national est aussi compris par analogie avec l’endettement, ou plutôt le surendettement du foyer, dont la menace plane comme le spectre d’une catastrophe dont on ne peut pas se relever. Dans ces conditions, Marine Le Pen en dénonçant le carcan de la construction européenne et en défendant ardemment un retour au franc rencontre un public conquis.

Quant à la place que tient la question de l’insécurité dans les milieux populaires, il appert à l’analyse qu’elle constitue l’élément structurant d’un rapport au monde autour duquel s’organise l’expérience des catégories les moins favorisées. Certes ce thème de l’insécurité est largement instrumentalisé par pléthore de discours populistes. Reste que ces derniers ne rencontrent un écho que parce que la réalité à laquelle ils s’adressent y est disposée. Dans les milieux populaires, l’insécurisation (terme préférable à l’insécurité en ce qu’il permet de désigner un processus de dégradation de la sécurité sans tomber dans la caricature d’un monde qui aurait perdu toute règle) renvoie d’abord à l’insécurisation physique. Mais elle ne s’y réduit pas et concerne aussi le sentiment d’être dépossédé de sa culture et de ses valeurs face à la présence imposante des populations immigrées dans des zones d’habitation à forte concentration populaire. L’insécurisation se rapporte également aux inquiétudes économiques quant à la perte de pouvoir d’achat, d’emploi, d’argent, de salaire, mettant en péril la possibilité pour chacun d’être un acteur à part entière de la société. C’est finalement le contrat social lui-même qui apparaît comme fragilisé et qui constitue un nouveau registre de l’insécurisation. Le dérèglement d’une société qui sacrifie ses enfants serait le signe que la France est en train de sombrer…

Malgré le discrédit qui frappe le personnel politique en général, auquel s’ajoute l’image de sa connivence avec les milieux affairistes et financiers dont Nicolas Sarkozy constitue la figure emblématique, les milieux populaires sont bien loin de rejeter la politique comme mode d’action. La prochaine élection présidentielle apparaît à cet égard comme investie d’enjeux cruciaux. Dans cette conjoncture, Marine Le Pen bénéficie pleinement d’une dynamique anti-système dans laquelle s’inscrit l’idée que le clivage droite / gauche n’est plus pertinent. Le vrai clivage pour les milieux populaires se situerait aujourd’hui entre une offre politique volontariste, capable de reconquérir le pouvoir effectif contre l’hégémonie des marchés, et une offre politique par trop fataliste qui s’y plie. Dans cette logique, l’attente principale se préoccupe moins de compétence et de programme que de détermination, et d’affirmation de capacité d’action.

Le succès de Marine Le Pen dans les milieux populaires s’explique somme toute assez naturellement, en ce qu’elle semble disposer du monopole de la reconnaissance de l’expérience populaire. Mais la réponse à la demande populaire – demande légitime de sécurisation et de protection, qui ne cesse de prendre de l’ampleur au sein de la classe moyenne – n’est pas condamnée à être réponse une populiste. Croire cela, c’est signer la démission de la démocratie. La protection est une notion qui renvoie à un état social que la démocratie doit garantir. Il y a urgence à ce que les partis qui refusent de formuler des réponses populistes à des problèmes populaires formulent des réponses positives et pertinentes à la demande de sécurisation.

Extraits de la conclusion

« Cette partie de la population se vit sous le mode de l’insécurisation.
A partir de là, il nous semble que la
demande de protection se fait mieux comprendre. Elle
trouve sa justification dans ce qui organise l’expérience
sociale sur les trois registres de l’insécurisation. La
demande de protection n’est pas le signe d’une montée en
puissance des valeurs égoïstes et régressives du repli sur
soi. Seules des personnes étrangères à toute insécurisation
peuvent assimiler cette demande à une régression
culturelle. Prenons une image : vous vous promenez dans
la rue et une pluie drue se met tout à coup à tomber. Que
faites-vous ? D’une façon ou d’une autre, vous cherchez à
vous abritez. Auriez-vous l’impression de vous refermer
sur vous-même, de régresser culturellement, de renier
vos valeurs d’ouverture au monde ? La recherche de protection
qui vous a fait courir est l’attitude nécessaire
lorsque l’on est d’une façon ou d’une autre exposé à un
danger ou à son éventualité.

L’insécurisation globale, sur les trois registres, se développant,
la demande de protection progresse corrélativement
pour les Français en général et plus particulièrement
pour les plus exposés d’entre eux. Cette demande de protection
se répartit logiquement sur les trois registres de
l’insécurisation :
- protection des personnes physiques ;
- protection économique des salariés ;
- protection nationale face à la mondialisation, qui passe
par la réaffirmation d’un contrat social et le rétablissement
du pouvoir de la politique qui, seul, peut recréer
des marges de manoeuvres aujourd’hui disparues. »

« Distinguons donc la demande populaire déterminée par
l’expérience de l’insécurisation globale et les offres populistes.
Confondre populaire et populiste, c’est imposer une
démission à la démocratie, c’est supposer que la démocratie
n’est pas apte à traiter des problèmes aussi fondamentaux et
incontournables que la sécurisation de tous les citoyens.
Cet amalgame entre populaire et populiste est lié à la confusion
entre offre et demande politique, que nous venons
d’évoquer, mais aussi à un flottement sémantique entre
sécurisation, protection et protectionnisme.
La demande émanant des milieux populaires n’est pas le
protectionnisme : la demande fondamentale est la protection.
La protection est une notion qui renvoie à un état
social que la démocratie doit garantir. Le protectionnisme
est une idéologie, celle, pour aller vite, du repli sur soi. La
démocratie protège et n’est pas pour autant protectionniste.
Entendre la demande de protection des milieux populaires
comme une revendication de l’idéologie du protectionnisme
et du repli sur soi relève de la confusion intellectuelle. »

Le point de rupture. Enquête sur le vote FN en milieux populaires, d’Alain Mergier et Jérôme Fourquet. Essai publié par la Fondation Jean-Jaurès, septembre 2011.

L’étude peut être commandée ou téléchargée gratuitement sur le site de la Fondation Jean Jaurès

http://www.jean-jaures.org/Publications/Les-essais/Le-point-de-rupture

A lire également sur le site :
La fabrique de la haine, xénophobie et racisme en Europe, un texte d’Enzo Traveso
La colère sourde des Français invisibles


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