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Elections au Brésil : le monde et le petit bout de la lorgnette
Par Pedro Da Nobrega

Les grands média occidentaux, dont la plupart des français, illustrent encore, par leurs commentaires sur les élections brésiliennes, leur vision en 2D des réalités mondiales à laquelle il manque une dimension essentielle, l’humilité. Leur vision ethno-centrée les amène à analyser les résultats avec leurs lunettes étriquées qui se résume pour eux à deux aspects majeurs : la non-élection lors du premier tour de la présidentielle de la candidate Dilma Roussef, adoubée par Lula, avec cependant 46,9% des voix, suivie de loin par le candidat de la droite, José Serra (PSDB) avec 32,6% et le résultat de la candidate Marina Silva, présentée comme l’illustration d’une flambée « écologiste », arrivée en troisième position avec 19,3% des suffrages. Tout d’abord mettre l’accent sur sa non-élection au premier tour, lorsque les sondages prédisaient l’inverse, revient à omettre que Lula, lors de sa réélection en 2006, avait du aussi passer par un deuxième tour contre toutes les prévisions. Ensuite cette vision simpliste et orientée est d’abord réductrice, car elle passe totalement sous silence les enseignements, pourtant riches des élections sénatoriales et législatives qui se déroulaient simultanément. Ensuite elle ignore complètement une des données majeures de l’architecture institutionnelle brésilienne, l’articulation entre la dimension fédérale avec un parlement bi-caméral (Sénat, où siègent les différents gouverneurs élus des états respectifs et Chambre des Députés), c’est-à-dire nationale, et la dimension propre à chaque état que l’on nommera par souci de clarté « étatique ». Cette organisation particulière est pourtant essentielle pour bien appréhender les contradictions de la société brésilienne et un spectre politique qui peut changer d’un Etat à l’autre.

Elle permettrait à certains commentateurs empressés de faire la différence entre la candidature de Marina Silva et son positionnement politique et celui du PV (Parti des Verts) et de ne pas prendre le score de la candidate à la Présidentielle comme illustrant une percée du PV, une sorte de remake d’Europe Ecologie à la brésilienne. Car Marina Silva a acquis une grande partie de son aura politique d’abord comme sénatrice pour le PT (Parti de Lula) de l’Etat amazonien de Acre dans le cadre de la lutte des « seringueiros » (ouvriers chargés de la collecte du latex, ndr), communauté dont elle est issue, contre les grands propriétaires terriens, PT dont elle a été membre de 1985 à 2008. Ensuite comme Ministre de l’Environnement du gouvernement Lula de 2003 à 2008, où elle n’a pas hésité à faire entendre sa différence sur certains grands projets d’aménagement dans l’Amazonie portés par le gouvernement dont elle était membre. Elle n’a donc intégré le PV qu’en 2009. Or la direction du PV est plutôt proche de la droite, notamment du PSDB, parti du candidat Serra, avec qui elle est alliée dans deux états aussi importants que celui de Rio de Janeiro et celui de São-Paulo où elle est associée à la gestion par la droite de cet état.

Voilà qui explique l’absence pour l’instant de consignes claires de vote pour le second tour. Marina Silva, sentant la direction du PV plutôt encline à apporter son soutien au candidat Serra, a d’ailleurs demandé la tenue d’une séance plénière du Parti associant tous ceux qui, de l’extérieur, ont appuyé sa candidature. Car elle est consciente qu’une grande partie de son score, et toutes les études réalisées sur ce scrutin l’attestent, en particulier l’analyse des réseaux sociaux du type Facebook sur ce scrutin, provient d’un électorat majoritairement jeune, urbain, de classe moyenne mais plutôt progressiste. Un électorat qui ne suivrait pas dans sa majeure partie un soutien au candidat de la droite. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette situation qui voit les dirigeants du PV désireux de soutenir le candidat Serra appuyé par tout l’agro-business, entre autre gros producteurs d’OGM.

L’autre aspect de son résultat résulte des liens que Marina Silva entretient avec l’Assemblée de Dieu, l’église pentecôtiste la plus puissante du Brésil, dont elle est une fidèle et qui a mené une violente campagne contre Dilma Roussef, en particulier dans les semaines précédant le scrutin.

L’étude des résultats par Etat est elle aussi riche d’enseignements car ils illustrent les césures déjà anciennes de la société brésilienne sur le plan politique et social :
Serra devance Roussef dans les Etats où l’oligarchie garde des positions dominantes, au sud, notamment au Paraná et Santa Catarina, et dans le centre ouest, avec aussi les trois états amazoniens où il devance Roussef du fait du score élevé de Marina Silva dans ces états (Acre- état natal de Marina Silva, Rondônia et Roraima).
Par contre Roussef arrive largement en tête dans le Nordeste, Rio Grande do Sul, les deux grands états de l’Amazone (Amazonas et Pará) et du Mato Grosso.

Néanmoins, cette lecture très restrictive limitée au seul scrutin présidentiel permet aussi de passer sous silence les élections législatives qui étaient l’occasion d’un renouvellement important et partiel des parlements fédéraux (Sénat et Chambre des Députés) et « étatiques » induisant également un renouvellement des postes de Gouverneur des États. Peut-être justement parce que les enseignements sont là plus marqués et donnent un autre éclairage sur le résultat de la Présidentielle. Car les enjeux n’étaient pas négligeables, puisque la droite possédait jusqu’alors une minorité de blocage, notamment au Sénat, qui lui a permis de mettre en échec certaines réformes proposées par le gouvernement comme par exemple celle relative à la « Contribuição Provisória sobre Movimentação Financeira » (CPMF), taxe destinée à être prélevée sur les transactions financières. Et la droite a pu ainsi garder une capacité de nuisance certaine sur la vie politique brésilienne.

Or un des résultats les plus significatifs est que l’ensemble des formations appuyant la candidature de Roussef a atteint et même dépassé le niveau d’élus lui permettant d’approuver des réformes constitutionnelles, puisque ce bloc se situe aujourd’hui à 402 mandats électifs au niveau fédéral. Car la droite est en recul, dont les deux formations principales PSDB et DEM qui perdent respectivement 13 et 22 mandats. Elles subissent des défaites significatives, comme celles de caciques que l’on croyait indéboulonnables comme Tasso Jereissati (PSDB-Ceará), Arthur Virgílio (PSDB-Amazonas), Marco Maciel (DEM-Pernambuco), Heráclito Fortes (DEM-Piauí), entre autres. La gauche remporte de son côté des succès symboliques, par exemple celui de Tarso Genro pour le PT, inspirateur du premier budget participatif à Porto Alegre, qui devrait être élu gouverneur de l’Etat du Rio Grande do Sul après avoir été battu en 2002. Une des victoires les plus marquantes est l’élection de la sénatrice communiste du PCdoB Vanessa Grazziotin, première sénatrice de l’Etat de l’Amazonas, marquant la sortie d’une des figures historiques du PSDB, Arthur Virgílio. Les deux plus grandes formations soutenant Dilma Roussef – PT et PMDB – restent les deux plus importantes formations mais avec un renversement important puisque le PT passe devant le PMDB. Ce qui va permettre au PT de briguer la Présidence de la Chambre des Députés que visait le PMDB. Il n’est pas inintéressant de noter que les deux seuls partis de la coalition soutenant Dilma Roussef à perdre des sièges sont ceux situés les plus au « centre » tandis que les plus à gauche gagnent tous des sièges. C’est notamment le cas du PCdoB qui, par rapport à 2006, gagne un mandat de sénateur, deux députés fédéraux et 7 députés « étatiques » avant que l’ensemble des résultats ne soit défini, plusieurs recours devant être encore jugés. Il n’est pas inutile de rappeler cependant que les nouvelles assemblées ne seront pas investies avant le 1er février 2011.

L’ensemble de ces résultats met donc la coalition soutenant Dilma Roussef dans une position bien plus favorable après ces élections et donne des indications bien plus précises sur le paysage politique brésilien mais que les grands médias occidentaux se gardent bien de divulguer.

Pour autant, et même si le candidat de la droite ne semble pas disposer de grandes réserves de voix et que le haut niveau de suffrages obtenu par Dilma Roussef lui assure une certaine sérénité, rien ne serait plus dangereux que de croire le résultat déjà acquis au risque d’entraîner une certaine démobilisation. Nul doute d’ailleurs que l’oligarchie médiatique va sortir l’artillerie lourde contre la candidate de la gauche pour cette campagne du deuxième tour ainsi que les églises évangélistes et pentecôtistes comme l’Assemblée de Dieu dont Marina Silva est une fidèle. L’esprit reste donc au sein des formations de gauche à la sensibilisation du plus grand nombre d’électeurs partout dans le pays pour les convaincre que la poursuite du changement au Brésil et, qui sait, son amplification, passe par la participation de chacun au deuxième tour.

5 octobre 2010


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