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Ecologie, Etat et communisme, par Eric Le Lann
Intervention à Fosses, lors d’un débat sur émancipation et communisme

J’aborderai le thème de cette soirée sous un angle qui nous est, me semble-t-il, pour une grande part imposé : répondre à la crise écologique. Au cours de ce siècle, au bout du compte, les forces politiques ou les systèmes sociaux seront jugés à leur capacité à faire face aux questions inédites posées par cette crise. Et je crois que dans la recherche de la réponse à cette crise, il y a quelque chose qui a à voir avec la façon la plus traditionnelle dont les gens perçoivent le communisme qui est mis à l’ordre du jour : l’idée de partage et tout particulièrement celle du partage de ressources.

Quand on parle de « crise écologique », il faut tout d’abord préciser, et surtout hiérarchiser. Deux enjeux surpassent tous les autres :

1-la crise de ressources, en particulier énergétiques et alimentaires

Ainsi, l’augmentation du prix des céréales est le signe de problèmes de fond tels que la stagnation de rendements, la dégradation de sols, l’épuisement de nappes phréatiques, qui interrogent sur la capacité à faire face à l’augmentation prévisible de la demande (dont l’augmentation est liée pour une part à celle la population mondiale qui va passer de 6 milliards d’habitants à 8 à 9 milliards en 2050, pour une autre aux modifications du mode d’alimentation, ce à quoi il faut ajouter le développement des bio-carburants).

2-le bouleversement climatique

Le dernier rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’avenir du Climat) fait état d’un réchauffement compris entre 2 et 4,5 degrés, si le taux de dioxyde de carbone double par rapport aux années 90, sans exclure « des valeurs substantiellement supérieures ».

Je rappelle :
-  que c’est une rupture inouïe en un laps de temps si bref (les derniers travaux de reconstitution du climat à partir des carottes glaciaires font état d’une variation du taux de CO² dans l’atmosphère entre 170 ppm et 300 ppm : il est de 385 ppm aujourd’hui)
-  que ces 2 degrés ne sont qu’une moyenne annuelle planétaire, condensant des variations bien plus importantes, géographiques, saisonnières ou exceptionnelles.

On sait que ces modifications induiront un changement des conditions écologiques dont dépend l’activité de plusieurs milliards d’êtres humains, en premier lieu les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs. La grande incertitude est la suivante : au-delà de la notion de changement climatique, sommes-nous devant un processus de modification profonde des équilibres fragiles de la couche superficielle de la Terre (les océans, l’atmosphère et la mince pellicule de vie à la surface terrestre) ? C’est la notion de « changement global », adoptée par des scientifiques (voir aussi James Lovelock). Et plusieurs climatologues considèrent que le seuil de perturbation grave est atteint, avec un risque de dérèglement climatique irréversible (c’est le cas par exemple de James Hansen, qui réclame un moratoire sur les centrales à charbon).

Evidemment cela pose la question : comment répondre à ces enjeux écologiques ?

Si on cherche les lignes de forces des discours qui dominent aujourd’hui, il me semble qu’il y en a 2 :

-  la première c’est que la solution est avant tout technologique. Or ce que l’on appelle l’effet rebond fait que ces changements ne peuvent à eux seul donner la solution (par exemple l’amélioration du rendement des moteurs et donc la moindre consommation au km peut servir à rouler davantage comme cela s’est passé jusqu’à une période récente)

-  la seconde c’est l’appel à la responsabilité individuelle, au comportement citoyen, au changement des habitudes culturelles, au foisonnement des initiatives « en bas ».

Loin de moi l’idée de minimiser la valeur de ces efforts, mais il nous faut aussi répondre franchement à la question : peuvent-ils suffire à résoudre les problèmes que j’ai évoqués, et ce, dans le court laps de temps qui nous est donné pour éviter un recul grave de la civilisation ?

Pour tenter de répondre à cette question, le livre de Jarel Diamond, Effondrement, donne des indications utiles. Jarel Diamond s’attache à décrire les expériences de civilisations confrontées à des changements de conditions écologiques, certaines ayant réussi à s’adapter, là où d’autres ont échoué et se sont effondrées. Il distingue parmi les réponses aux crises de ressources entre celles qui émergent « par le bas », et celles qui émergent « par le haut », nécessitant la mise en œuvre d’une politique par un pouvoir central. Les exemples de réponses « par le bas » sont ceux de communautés d’êtres humains de taille limitée et soudées.

Evidemment, tout dépend de l’échelle à laquelle les problèmes se posent. Les questions du changement climatique et de la gestion des ressources énergétiques, se posent à une échelle qui appelle un niveau de planification, pour faire évoluer la cohérence d’activités humaines marquées par une extrême division du travail, impossible à mettre en œuvre sans politique publique ambitieuse et volontaire et un pouvoir politique apte à la porter efficacement (pensons ainsi à la mise en œuvre d’une politique de reconversion des chauffeurs routiers en cheminots ou à la suppression des lignes aériennes là où elles doublent les ligne TGV).

Même pour ceux qui travaillent à imaginer des solutions qui passent par le marché, il est difficile de faire l’impasse sur le rôle de l’Etat. Ainsi, ils insistent sur la nécessité que le marché intègre la vérité écologique. Comment le marché pourrait-il intégrer de tels coûts sans qu’on ne le lui impose ? Et quelle autre réalité que l’Etat pourrait lui imposer ? On peut faire appel à notre histoire : si en France, les coûts sociaux des retraites, du chômage, de la maladie, ont fini par être intégrés dans les coûts de production au travers des prélèvements de cotisations sociales, cela ne s’est fait qu’au travers d’interventions politiques majeures et d’une refondation du pouvoir politique sur des bases nouvelles à la Libération.

Quant aux comportement citoyens, qu’encore une fois il ne s’agit pas de dénigrer, des travaux d’économistes montrent qu’en l’absence de gestion planifiée des ressources, ce qui est économisé ici en consommation de ressources est compensé ailleurs (voir à ce sujet l’article sur Blake Alcott publié dans Le Monde du 1er avril dernier, disponible sur le blog de la journaliste Anne Teyssedre : http://anne.teyssedre.free.fr).

On peut en conclure qu’il n’y aura par de réponse progressiste et humaine à ces défis qui ne soit une réponse d’Etat. Autrement dit, pour utiliser une formule que je reprends du syndicaliste FSU Louis Weber : le dépérissement de l’Etat c’est le dépérissement assuré de la planète. Ce qui est nécessaire c’est non seulement un renforcement du rôle de l’Etat, qui abdique aujourd’hui face aux intérêts économiques, qui est indispensable pour répondre aux problèmes écologiques, mais un prolongement de sa capacité d’intervention à l’échelle de la planète, face à des marchés mondiaux. A ce sujet, le rôle des Etats-nations ne se pose pas en concurrence avec les institutions mondiales : la faiblesse de ces dernières nourrit la faiblesse des Etats. C’est toute la question des biens publics à l’échelle mondiale.

Cela m’amène naturellement à m’interroger sur les communistes et l’Etat. Au lieu de s’attacher à définir ce que pourrait être le pouvoir et la politique d’Etat qu’appellent de tels enjeux, les communistes, comme la gauche, ont « la hantise d’être taxée d’étatisme » (selon l’expression d’Anicet Le Pors dans un entretien publié par l’Humanité du 5 octobre 2007). Peu à peu les communistes ont été au-delà de la volonté justifiée de se dégager de l’étatisme et ont fini par minimiser le rôle du pouvoir politique, et de la politique qu’il conduit, dans la transformation sociale.

Pour réfléchir à cette question, il faut avoir en tête les positions de l’orthodoxie marxiste, qui voient dans l’Etat une forme passagère, réduite au rôle d’instrument de classe, dont il faudra se débarrasser le plus vite possible. A l’opposé de ces conceptions, j’évoquerai le travail de 2 philosophes.

1-Domenico Losurdo, avec en particulier le livre Gramsci, paru aux éditions Syllepse

Domenico Losurdo pose ainsi ce problème : «  au contraire de Marx et du marxisme, qui se sont souvent abandonnés à l’utopie abstraite de la disparition complète du pouvoir et des rapports de pouvoirs en tant que tels, le libéralisme a eu le mérite théorique et historique de s’être concentré sur les problèmes de la limitation du pouvoir, même si c’est avec le regard fixé sur une communauté restreinte d’hommes libres ».

Il invite à s’appuyer sur la vision de Gramsci, pour qui « il n’existe pas de société sinon dans un Etat, source et fin de tout droit et de tout devoir, qui est une garantie de permanence et de succès pour toute activité sociale » et qui défend l’idée de l’Etat éthique (aujourd’hui, nous avons plutôt un Etat sans éthique).

2-Yvon Quiniou

Dans un texte récent, que vous pouvez lire sur le site Communisme 21, Yvon Quiniou passe en revue les « objections anthropologiques » au communisme et invite à ne pas éliminer dogmatiquement celle que Freud a mise en avant (dans Malaise dans la civilisation) avec son hypothèse d’une agressivité naturelle de l’homme liée à ce qu’il appelle la « pulsion de mort ».

Il poursuit (je cite) : « elle doit nous entraîner à penser que la suppression des contradictions économiques liées aux classes que propose le communisme ne saurait supprimer toutes les sources de conflits, par exemple ceux qui touchent au pouvoir, à la rivalité, à l’ambition ou tout simplement à la divergence des intérêts, qui peuvent à tout moment opposer les individus, même dans une société sans classes. Cela nous oblige, me semble-t-il, à réviser la doctrine de Marx sur deux points importants, mais qui ne touchent pas à ses fondements essentiels : 1 La morale n’est pas seulement une idéologie destinée à disparaître historiquement comme il a pu le penser : elle fournit les valeurs organisant le vivre-ensemble et obligeant l’homme à réprimer ce qui en lui peut l’opposer aux autres hommes. 2 Il faudra donc toujours un Etat pour transmettre ces valeurs, les inscrire dans un Droit contraignant et les faire appliquer par l’éducation : un Etat débarrassé des ses fonctions de classe, mais un Etat tout de même. La thèse du dépérissement de l’Etat me paraît donc constituer, disons à vue d’homme, un objectif irréalisable : elle doit être remplacée par celle de sa démocratisation maximale conformément à l’exigence de démocratie inhérente au communisme. »

Je suis pour ma part persuadé que les communistes ne pourront jouer un rôle politique réel sans prendre en compte ces réflexions.

Septembre 2008


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