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Du plat pays jusqu’à Avignon : le Théâtre des Doms
Entretien avec Philippe Grombeer, directeur du Théâtre des Doms

Le rocher des Doms est un éperon rocheux sur la rive gauche du Rhône qui a servi de protection pour la fondation puis le développement de la ville d’Avignon. Au sommet de ce rocher, la cathédrale Notre Dame des Doms, un peu en contrebas, le Palais des Papes. Derrière est une superbe villa qui recueille, depuis dix ans, le Théâtre des Doms. Ce n’est pas un « lieu du off » comme les autres, puisque ce théâtre est la vitrine de la création en Belgique francophone. L’histoire méritait d’être connue.

Philippe Grombeer (directeur du théâtre des Doms) : D’abord – et vous le savez probablement en lisant les journaux – la Belgique est un pays assez complexe. C’est un pays fédéral et donc tout ce qui touche, à la culture, à l’éducation, à la jeunesse, à l’audiovisuel, est repris par les communautés. A partir du moment où l’on parle flamand, on dépend de la communauté flamande, et français de la communauté francophone de Belgique. Et il y a une troisième petite communauté, la communauté germanophone. Ces trois communautés ont un gouvernement et des financements publics. Les financements publics en matière de culture viennent prioritairement du ministère de la culture, beaucoup moins, comme en France, des fameux financements « croisés ». Les villes ont relativement peu de moyens. Certaines, bien sûr, mettent de l’argent. Nous n’avons pas de régions, nous avons des provinces : c’est un très vieux système. Nous sommes, de ce point de vue là, dépendants d’un seul pouvoir public, d’une seule tutelle

Quelle est la situation des arts de la scène en Belgique ?

P.G Etonnement riches pour un petit pays. Le bâtiment du Théâtre des Doms appartient au ministère de la Culture. C’est une initiative politique que d’avoir acheté cette villa, juste à l’arrière du Palais des Papes, mais c’est une association qui la gère, ce ne sont pas du tout des fonctionnaires ou des politiques qui gèrent ceci, c’est un projet associatif. Le financement vient essentiellement du département des relations internationales de notre ministère. Je voulais dire que, pour le théâtre, pour un pays de 4 millions et demi d’habitants, ce qui correspond à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il y a d’abord 5 écoles de théâtre (ce qui est désespérant pour les pauvres jeunes qui sortent parce qu’évidemment il y a très peu de débouchés). Il y a quelques grands théâtres – qui auraient comme équivalents vos centres dramatiques, et d’autres qui sont des petites structures, qui soutiennent de jeunes artistes

Qui est ce qui fait la spécificité du théâtre en Belgique ?

P.G Je pense qu’il y a l’histoire du pays, tout simplement. C’est déjà un pays avec deux cultures radicalement différentes avec deux territoires qui ont beaucoup de difficultés à coexister. Heureusement, cela se fait sans violence, mais il y a une violence psychologique et verbale très grande. Déjà cela crée un autre univers. Nous, les francophones, nous avons une manière de parler des choses du monde autrement que les Français parce que l’on utilise peut-être un peu plus d’images, les comédiens ont un travail du corps un peu plus proche de ce que font les Allemands. Et puis il y a cet humour sur nous-mêmes, parce que l’on estime que l’on est un tout petit pays et qu’on n’a aucune leçon à donner au monde. Autant les collègues flamands que les francophones ont une certaine dérision. Ils prennent les choses avec une certaine distance, plus que certains collègues français qui se prennent très au sérieux !

Le théâtre des Doms ouvre ses portes pour le festival 2002, quelle en est en quelque sorte sa « feuille de route » ?

P.G : C’est d’essayer de faire découvrir sur un territoire, la Provence, enfin, soyons modeste, d’abord Avignon et le département du Vaucluse, des artistes toutes disciplines confondues – et le Théâtre des Doms est ouvert toute l’année- vivants en Wallonie ou à Bruxelles. Les artistes que nous proposons sont essentiellement totalement inconnus : soit les compagnies n’ont jamais joué en France, soit ce sont des projets tous récents. J’ai pour mission de présenter des projets qui ont été créés dans l’année précédente. Nous présentons sur le plateau des Doms - un des 110 plateaux du festival Off - des artistes absolument inconnus et donc le travail est de les faire connaître auprès des programmateurs français et du public.

Quelle est la genèse de cette aventure ?

P.G. : Le Ministre-Président [1] de l’époque était en 2001 à Avignon, il entend la critique des artistes belges se plaignant du peu de soutien qu’ils ont quand ils veulent faire de l’exportation, entre autres au festival d’Avignon et réagit en entendant que cette villa est mise en vente. A l’arrière, il y avait un petit entrepôt qui était transformé en théâtre, qui faisait partie de ces nombreux théâtres privés avignonnais qui ouvrent le 1er juillet et ferment le 31. On entend plus parler tout au long de l’année du « théâtre de l’escaliers des doms ». Le ministre rencontre les propriétaires, cela va très vite, il rentre à Bruxelles, réunit son gouvernement, un gouvernement pluriel puisqu’il y avait des socialistes, des verts. Lui faisait partie de ce qu’on appelle le mouvement réformateur, les libéraux. Il décide d’acheter le lieu. La réaction a été extrêmement négative de la part de la presse et de la profession : cela a été perçu comme un caprice. Il réagit très positivement en convoquant un large groupe de travail dans lequel il y avait des gens opposés à cette idée d’achat, d’autres favorables, mais surtout des gens représentant la profession : metteurs en scène, comédiens, chorégraphes, il élargit à la littérature… Ces gens vont travailler et vont tomber d’accord sur un cahier des charges : utilisons ce lieu pour faire connaitre l’ensemble de la création artistique venant de Belgique francophone, tout au long de l’année et particulièrement pendant le festival d’Avignon. Il y a eu un appel à candidature dans la presse, j’ai posé la mienne, parmi une vingtaine de personne, et j’ai été retenu.

Quel avait été votre parcours ?

P.G : J’ai dirigé pendant 28 ans un très grand lieu, tout à fait proche de ce qu’est la Friche de la Belle de Mai à Marseille, tout à fait la même histoire : un vieux bâtiment, un ancien marché couvert du XIXème siècle dans un quartier populaire. On a mis des années à le sauver, à trouver des financements et à en faire un lieu pluri-disciplinaire… En 2002, nous débarquons au printemps avec la mission d’ouvrir le Théâtre des Doms pour le festival. Et donc de se dire : faisons découvrir une petite communauté de 4 millions et demi d’habitants, qui parle la même langue que ce grand pays qu’est la France, mais différent d’un point de vue créatif. Montrons cela à partir d’un outil de travail qui est ce lieu et cette équipe professionnelle et ce financement public – pour faire concret, c’est un peu moins de 600.000 euros de dotation annuelle que le ministère nous alloue : il y a donc l’idée de faire connaître une communauté à travers des artistes, tout au long de l’année, et la mise en marché de ces artistes. C’est la mission très claire qu’a donné le gouvernement. Nous devons réussir, si je puis dire, à ce qu’il y ait des résultats : il faut tout faire, pour les artistes qui jouent ici pendant trois semaines, pour que des programmateurs français viennent et si possible soit séduits. C’est ce qu’on appelle la mise en marché. C’est le coté un peu plus « économique », le coté un peu plus « politique » étant de faire connaître une communauté artistique.

Vous nous avez dit que le Théâtre des Doms est ouvert toute l’année...

P.G. Il y a 4 axes qui nourrissent ce projet : celui de la pluri-disciplinarité, celui de la démarche que nous avons qui est plutôt d’action culturelle, il y a des résidences d’artistes, nous avons 3 studios qui permettent d’accueillir des artistes entre 5 et 15 jours, nous avons aussi des rencontres scientifiques, également nous sommes impliqués dans plusieurs réseaux locaux, régionaux. Le troisième axe est celui de la dimension contemporaine. Ce qu’on veut montrer, ce sont des créations d’aujourd’hui, ce qu’on appelle les émergences. Le quatrième axe, c’est le partenariat. A part le festival, ce que nous aimons développer, c’est être en relation avec nos voisins, avec des scènes de musiques actuelles, des théâtres, des festivals, des associations. Soit nous proposons des artistes par rapport à leurs thèmes, par exemple, Les Hivernales, qui est le Centre de développement chorégraphique de la région d’Avignon. Chaque année il y a un festival d’hiver. Il y a chaque fois une thématique très large. Nous leur proposons, en fonction de la thématique, tel ou tel artiste que nous prenons en charge. Les coopérations sont multiples. Le théâtre des Doms est situé juste à coté du cinéma Utopia et du club de jazz AJMI (Association pour le Jazz et la Musique Improvisée). Nous avons au moins trois activités jazz par saison.

Vous n’êtes pas qu’à Avignon, vous êtes dans la région PACA. Avez-vous des « passerelles » avec des lieux de cette région ?

P.G. L’idée c’est d’aller voir ce que font les gens, d’aller passer une soirée à la Friche de la Belle de Mai, à Aix, à Apt… de prendre des contacts. Cela peut être eux qui nous interpellent : « là on fait un petit festival sur l’accordéon contemporain ». Par nos contacts en Belgique, nous proposons. Ou c’est nous-mêmes qui avons des initiatives. Ma collègue, Isabelle Jans, qui va devenir directrice, trouvait qu’en spectacle jeune public, il n’y avait quasiment rien, sauf une association basée à Avignon depuis longtemps, l’Association d’Eveil Artistique qui d’ailleurs pendant le festival d’Avignon a un festival de théâtre pour enfant. Elle s’est rapprochée de cette association pour inventer un festival qui maintenant marche très bien, « Festo Pitcho », la première semaine de vacances de Pâques.

Dix ans, c’est un bon délai pour faire un premier bilan.

P.G. Il faut être très clair : au départ, en Belgique, on n’y croyait pas trop. On disait : « caprice de ministre ». Nous partions avec cet handicap, mais comme nous étions franchement un peu naïfs et très enthousiastes, nous ne sommes pas mis dans la tête « hou la la, on nous attend au tournant ». La première surprise c’est qu’en 2002, quand on a ouvert, le public était là, alors que c’était un lieu inconnu, la presse et les programmateurs. Aujourd’hui le bilan est de dire que le lieu est vraiment reconnu. Notre ministère a énormément complété, nous sommes bien soutenus au niveau technique. Je n’ai pas les chiffres exacts, mais le nombre de contrats signés par les compagnies au festival d’Avignon est énorme : on est certainement à plus de 2000 contrats depuis 2002. Les deux dernières années, c’est 2000 fois un professionnel qui est venu dans la salle. Ca ne veut pas dire qu’ils aiment tout et qu’ils achètent, mais il y a une découverte de cet univers.

Propos recueillis par Jacques Barbarin. Juillet 2011

Notes :

[1Le gouvernement de la Communauté française est, dans le système fédéral belge l’organe exécutif de la Communauté française de Belgique. Le Ministre Président est choisi au sein du parti disposant de la plus grande représentation parmi la majorité. Un ministre du second parti majoritaire reçoit le titre Vice - Président.


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