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Discours de Maurice Thorez au meeting du 9 octobre 1934, à Paris
Aux sources du Front populaire....

Le 9 octobre 1934, le jour même de l’assassinat de Louis Barthou et du roi de Yougoslavie, lors d’un meeting du PCF tenu à Paris, salle Bullier, à l’occasion du second tour des élections cantonales, prolongeant l’élan donné 8 mois plus tôt avec les trois manisfetations du 12 février qui se fondirent en une seule, Maurice Thorez appelle à l’organisation d’un « Front commun de la liberté et de la paix », pour « étendre le Pacte (pacte d’unité d’action entre le Parti socialiste et le Parti communiste signé le 27 juillet 1934), attirer de nouvelles forces, travailler ensemble à l’unité syndicale ». Voici le texte de son discours. Eric Le Lann

Le roi de Yougoslavie et M. Barthou, ministre des Affaires étrangères ont été victimes d’un attentat qui peut avoir des conséquences redoutables à l’extérieur et à l’intérieur, qui peut rapprocher la menace de guerre et donner un nouveau prétextes aux excitations des bandes fascistes.

En Espagne, une grande bataille est engagée entre, d’une part, les forces ouvrières et paysannes qui veulent développer et approfondir la révolution ; et, d’autre part, les forces réactionnaires qui prétendent anéantir les conquêtes de la jeune république et instaurer une dictature fasciste.

Comme en mars 1933, renouvelant des propositions dont l’acceptation eut peut-être modifié le cours des évènements en Allemagne, notre Internationale communiste appelle à l’unité d’action de la classe ouvrière, afin d’aider les travailleurs d’Espagne et de faire reculer la réaction fasciste. Nous espérons que l’Internationale socialiste nous répondra favorablement, maintenant que plusieurs partis socialistes sont déjà liés par des pactes d’action commune avec nos partis communistes.

L’attentat de Marseille et les évènements d’Espagne nous obligent à examiner très sérieusement, où nous en sommes en France, dans notre résistance aux entreprises du fascisme. Dans une certaine mesure, les élections cantonales nous permettent de faire le point de la situation. Rappelons d’abord ce qu’exigeait la bourgeoisie au lendemain du 6 février. Doumergue et Tardieu, installés au pouvoir par les émeutiers fascistes de la Concorde, ont entrepris une offensive implacable contre les masses laborieuses. Au moyen des décrets-lois, ils ont spolié les travailleurs, fonctionnaires, petits commerçants, paysans pauvres, anciens combattants etc. Ils ont systématiquement porté atteinte aux libertés démocratiques et supprimé en fait le droit syndical pour les fonctionnaires. Ils ont toléré et facilité les agissements des bandes fascistes. Par toute cette politique, l’Union nationale prépare le fascisme.

Cependant nous sommes loin des cris de triomphe qui marquaient, il y a 6 mois, l’avènement du gouvernement d’Union nationale. Par leurs ripostes, magnifiques, des 9 et 12 février, les travailleurs ont dit leur volonté de ne pas laisser passer le fascisme en France. Ils ont participe à d’innombrables démonstrations antifascistes. Puis sont venus les grèves de fonctionnaires et les manifestations de paysans.

Les difficultés surgissent sur le chemin des fascistes.

Et, aujourd’hui, la bourgeoisie trépigne de joie parce que dans un scrutin peu fait pour favoriser les larges mouvements d’opinion, elle a maintenu avec peine ses positions. Et encore il ne s’agit que de la répartition des élus puisque nous l’avons fait reculer quant au chiffre des suffrages.

Il a fallu d’ailleurs que les chefs du parti radical inféodés à l’Union nationale cachent à leur troupe leur nouveau drapeau, le drapeau des décrets lois et des brimades aux instituteurs, afin de conserver leur influence menacée.

Ce qui est décisif, c’est que la classe ouvrière apparaît plus solide, plus confiante en elle-même. Et cela nous le devons à l’unité d’action réalisée d’abord à la base, entre ouvriers communistes et socialistes, puis organisés à l’appel de Romain Rolland et Barbusse dans le magnifique mouvement d’Amsterdam-Pleyel, à l’unité d’action couronnée par la signature du pacte de lutte commune et accepté par le Parti socialiste dans son dernier Conseil national.

Nous répétons que l’unité d’action conduira à la création du parti unique de la classe ouvrière, du parti fondé sur une solide base doctrinale - dictature du prolétariat et lutte pour le pouvoir des soviets, hostilité au mensonge de la défense nationale, organisation centralisée et disciplinée sur le modèle du glorieux parti de Lénine - d’un parti digne de l’Internationale communiste.

Quelle fierté et quelle joie pour nous communistes, de lire dans les chiffres du scrutin de dimanche le témoignage de la confiance des travailleurs en notre parti, champion et organisateur de l’unité ouvrière. Vous connaissez nos succès. Au premier tour, aucun siège perdu, huit camarades réélus, trois nouveau sièges. Les trois autres sortants, restés en ballotage, seront réélus dimanche. Et nous enlèverons une dizaines de sièges nouveaux. Mais plus que le nombre de nos élus, les chiffres du scrutin sont éloquents. La presse bourgeoise a du reconnaître la progression de suffrages communistes dans tout le pays, dans les centres industriels comme dans les campagnes.

Sans doute, ces succès ne sont pas suffisants. Mais, ils indiquent que le Parti communiste est dans la bonne voie. Ils soulignent la qualité de notre travail pour la défense des revendications populaires, pour l’unité de la classe ouvrière, pour l’organisation d’un large front antifasciste. Ils soulignent la juste politique de notre parti, guidé par son Comité central, conformément aux enseignements de Lénine et de Staline. Nous n’aurions pu mettre en application notre politique bolchevique de masse sans une lutte vigoureuse et impitoyable contre l’opportunisme, contre le sectarisme et contre l’esprit de liquidation et, surtout si notre parti unanime n’avait brisé, avec le concours toujours plus résolu des ouvriers de Saint-Denis, l’odieuse attaque des Doriot et Barbé.

Qu’il me soit permis de saluer, au nom du Comité central, les artisans dévoués de notre succès, nos actifs sympathisants, nos vaillants militants, depuis le nouvel adhérent de la promotion Marcel Cachin, jusqu’à notre camarade Jacques Duclos principal organisateur de notre campagne.

Au deuxième tour, nous accentuerons le succès de la classe ouvrière. Nous ferons échec au fascisme. Nous appliquerons fermement et avec enthousiasme les décisions prises en commun par notre Parti communiste et par le Parti socialiste, en vue du désistement mutuel dans tout le pays.

Dans notre affiche commune, nous nous adressons aux travailleurs, aux petites gens qui font confiance au Parti radical. Ainsi que nous l’avions proclamé dans notre manifeste, ainsi que nous en avons décidé en commun avec le Parti socialiste, nous sommes prêts à opérer un désistement des candidats communistes et socialistes en faveur d’un radical répudiant l’Union nationale, n’acceptant pas les décrets-lois et décidé à défendre les libertés démocratiques.

Pour nous, communistes, il ne s’agit pas seulement de l’attitude au scrutin de ballotage dimanche. Il s’agit de réaliser contre la réaction et le fascisme l’alliance durable de la classe ouvrière et des classes moyennes.

Le leader du Parti radical, M. Herriot, s’est livré, après Doumergue, à une violente agression contre le front unique, contre les doctrines communistes. Caricaturant notre pensée, Herriot a essayé sous prétexte d’éviter et le fascisme et le communisme, de dresser contre la classe ouvrière et les travailleurs des classes moyennes. Par une telle politique, M. Herriot fait tout simplement le lit du fascisme en France.

Car, de tragiques exemples en témoignent : les démocrates qui ont tourné leurs coups contre la classe ouvrière en Allemagne, en Autriche, ont porté les fascistes au pouvoir. Ils ont forgé leurs propres chaînes, ils ont creusé leur propre tombe.

A la dernière séance des Cortès espagnols, les chefs fascistes ont pu féliciter le gouvernement, M. Lerroux président du Parti radical, qui a « frayé le chemin du national-socialisme ».

Sans doute nous sommes des communistes ? Sans doute, nous luttons pour le pouvoir des Soviets. Précisément, les évènements d’Espagne nous confirment dans notre conviction que la voie de Lénine et des bolcheviks est la seule juste, la seule voie du salut pour les travailleurs. En affirmant notre foi dans la révolution prolétarienne, nous avons d’ailleurs le sentiment d’être les seuls et les véritables continuateurs de la grande révolution. Notre doctrine marxiste, la théorie du matérialisme historique, procède, en le développant, du matérialisme des grands encyclopédistes du dix-huitième siècle.

Nous sommes les héritiers authentiques des Diderot, des Voltaire, des pères de la pensée libre en France et dans le monde. Nous sommes désormais, nous prolétaires, les artisans du progrès social, du progrès humain.

Hier, Pierre Cot, rappelait dans L’œuvre que le Parti radical visait à la suppression du salariat, à l’organisation des producteurs libres. Notre volonté de transformation sociale ne saurait être dès lors un empêchement à l’alliance nécessaire entre la classe ouvrière et les petites gens des classes moyennes, qui ont l’illusion de rester des producteurs libres.

La semaine dernière, Daladier écrivit les lignes suivantes dans le Petit Provençal : « Beaucoup de républicains désapprouvent les décrets-lois sur les retraites et sur l’enseignement, blâment l’inertie du gouvernement en présence de l’armement de ligues fascistes. » et M. Daladier soulignait la présence à Paris de 30 000 fascistes armés « qui s’entrainent à la guerre civile. »

Hier c’est Raoul Aubaud, député de l’Oise, secrétaire général du Parti radical socialiste, qui s’étonne parce que le « président du Conseil réserve tous ses coups pour l’extrême gauche et ne souffle mot des organisations fascistes d’extrême droite, qui constituent cependant un danger sérieux pour le régime républicain. » M. Raoul Aubaud écrit qu’on peut « ne pas approuver les yeux fermés, sans discussion, le politique des pleins pouvoirs et des décrets-lois. » Et il appelle à la lutte « contre le fascisme qui veut abattre nos libertés ».

On semblerait donc reconnaître l’urgente nécessité d’une défense commune contre les agressions des bandes fascistes. Il y aurait donc à défendre en commun les libertés démocratiques. On pourrait donc lutter en commun contre les décrets-lois.

Au surplus, il est possible de donner un contenu positif à la lutte commune des masses laborieuses contre le despotisme de l’Union nationale et contre sa politique de préparation du fascisme. Il est possible d’élaborer le cahier des revendications légitimes des travailleurs de toutes catégories. Il est possible, par une pression suffisante sur le capital d’imposer ces revendications.

Marx nous a enseigné, et notre expérience de prolétaires nous permet de mieux comprendre que la lutte de la classe ouvrière détermine une variation dans le degré d’exploitation subie par les prolétaires, une variation dans la répartition de la valeur incorporée au produit par le travail de l’ouvrier, une variation dans le rapport entre le salaire du prolétaire et le profit du capitalisme.

Nous affirmons que la lutte des masses laborieuses peut imposer une réduction des bénéfices scandaleux des profiteurs du régime, des trusts capitalistes et des agioteurs et autres spéculateurs. La lutte des masses peut imposer un allègement des charges qui accablent les producteurs salariés ou non ; elle peut imposer à l’Etat l’organisation de l’aide aux paysans pauvres, aux petits commerçants, aux artisanats.

Nous, communistes, nous sommes prêts à mener cette lutte de concert avec tous ceux qui mettrons au premier plan la défense des intérêts des masses laborieuses de la ville et des champs.

Nous sommes prêts à aider et à soutenir tout effort réel pour le maintien des libertés démocratiques, pour la résistance aux attaques des bandes fascistes.

Nous avons jeté l’idée d’un vaste rassemblement populaire. Nous préconisons l’organisation d’un « Front commun de la liberté et de la paix ». Hier au cours de la séance du comité de coordination qui unit les délégués du Parti socialiste et du Parti communiste, nous avons proposé d’étendre le Pacte, d’attirer de nouvelles forces, de travailler ensemble à l’unité syndicale.

Nous avons proposé au Parti socialiste de dresser le programme de revendications populaires du front unique. Ziromsky nous a dit que cela était possible. Tant mieux. Ainsi nous avancerons. Ainsi nous pourrons sceller l’alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière.

A tout prix, nous voulons battre le fascisme. Nous voulons que soit tenu le serment prononcé sur la tombe de nos morts du 9 février : « le fascisme ne passera pas en France ».

Notre Parti communiste, avant-garde du prolétariat, chef reconnu de la classe ouvrière, parle avec assurance, agit avec fermeté, conscient de travailler avec fruit à la défense des travailleurs, à la protection des libertés populaires, au progrès de la société.

A l’œuvre, tous, comme toujours, à la pointe du combat pour la paix, pour la liberté et pour la paix.

Sources : archives du PCF, transmis par Philippe Pivion, qui évoque le meeting du 9 octobre 1934, dans son livre "Le complot de l’ordre noir" dont un chapitre se déroule lors du meeting de la salle Bullier (voir l’article Le dernier combat de Louis Barthou).

A lire également sur le site :
-le dossier sur Maurice Thorez, présenté à l’occasion du cinquantenaire de sa mort
-le texte de Paul Vaillant-Couturier "Au service de l’esprit".


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