Aujourd'hui, nous sommes le :
Page d'accueil » Arts et littérature » Littérature » Deux façons de faire la révolution
Version imprimable de cet article Version imprimable
Deux façons de faire la révolution
Paul Desalmand a lu de dernier livre de Yannick Haenel

Le roman de Yannick Haenel, Les Renards pâles, comporte deux parties très différentes, au point qu’elles auraient pu constituer deux œuvres autonomes. Des éléments de la première partie préparent la deuxième, mais les narrateurs et la nature du récit sont tout autre.

Dans la première partie, le narrateur est un chômeur, chassé par sa logeuse parce qu’il ne paye pas son loyer, qui décide de vivre dans une voiture prêtée par un ami parti en Afrique. Nous sommes au printemps et il a assez d’argent pour tenir quelques mois. Il a décidé de rompre avec le monde du travail — « le travail tue » —, de se détacher de tout. Ne vote pas. Il vit, se contente de vivre, consacrant la plus grande partie de son temps à se promener dans la XXe arrondissement. Cette dérive anarchiste, cette révolte individualiste et larvée, avec ses émerveillements et ses situations cocasses, parfois tragiques, est décrite avec brio. Elle préfigure peut-être aux yeux de l’auteur la façon qu’aura une partie des nouvelles générations de résister au système.

Au cours de ses déambulations, le narrateur rencontre d’autres décalés et surtout les « renards pâles » des Maliens avec ou sans papiers. Le Renard pâle, dans la mythologie dogon est un esprit ambivalent, comme c’est souvent le cas pour ce qui touche à l’esprit magique : « Le Griot me parla du Renard pâle. C’était un dieu qui n’était pas tendre avec les humains ; il habitait au cœur de la destruction, ce qui lui donnait un savoir sur celle qui ravage aujourd’hui notre monde. Sa cruauté est un art, elle fait de lui un insoumis dès l’origine : dans la cosmogonie des Dogon du Mali, il crée le désordre en s’arrachant à son placenta, et s’attaque au démiurge — son père — dont il conteste l’ordre. »

La deuxième partie va être tout entière sous le signe de ce Renard pâle. Le narrateur qui dit « nous » est le porte-parole des travailleurs immigrés qui ont choisi l’insurrection et incendient Paris. Nous sommes cette fois en présence d’un mouvement collectif, le Grand soir, qui, tant il est irréaliste, confine à l’utopie et dont on peut penser qu’il demeure, dans l’esprit de l’auteur, du domaine du rêve.

Yannick Haenel a la patte et on se laisse prendre. À froid, on se dit nonobstant que tout cela relève de la gauche bien-pensante et que ça ne mange pas de pain.

HAENEL Yannick, Les Renards pâles, Gallimard, L’Infini, 2013, 16, 90 €.


Rechercher

Fil RSS

Pour suivre la vie de ce site, syndiquez ce flux RSS 2.0 (lisible dans n'importe quel lecteur de news au format XML/RSS).

S'inscrire à ce fil S'inscrire à ce fil