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C’est la littérature qui fait le beau temps !
Par Thierry Renard

« Non loin d’ici quelqu’un
appelle mon nom.
Je bondis hors du lit. »
Raymond CARVER, Les feux.

Il y a des livres qu’on explore, des livres qu’on dévore… Il y a des livres qui sont des rencontres. Avec le printemps venu, il y a des livres qui offrent aussi d’autres perspectives ou qui les proposent déjà toutes.

Vivant, la plupart du temps, parmi les livres, je ne sais résister à l’envie de partager, avec vous, quelques-unes de ces pages qui ont accompagné, encore tout récemment, mon existence. Bien sûr, je suis aussi « agitateur » et éditeur, et bien sûr les auteurs dont je veux ici assurer la promotion ne me sont pas indifférents, ils me sont proches et, d’une certaine manière, leurs ouvrages me sont destinés.

J’ouvre le bal, donc, comme l’on ouvre simplement une porte donnant sur le jardin, avec le dernier recueil de Jean-Michel Platier, Ma fille est bientôt plus vieille que moi (Arcadia édition, Paris, mars 2009, 160 pages, 20 €). Ce livre-là, c’est son meilleur, indiscutablement. Une confidence sous-titrée Romans, en 64 courts chapitres où l’auteur se dévoile partiellement mais profondément (paradoxe que la vie !), avec pudeur, poésie, humour et fantaisie. Jean-Michel Platier nous propose une suite d’histoires plus ou moins anecdotiques en lien avec son quotidien ordinaire. Il y est question de sa (ses) fille(s), bien entendu, de son goût immodéré pour la littérature, russe en particulier, de ses élans atrophiés, de sa petite philosophie en solitaire, de Saint-Just, de ses amis, des femmes et de la femme, des illusions, des déceptions… de tout ce que nous avons perdu — nous sommes de la même génération.

Il y a, derrière tout cela, derrière ces mots et ces maux, une très fine pluie, de songes avortés et qui ne demandent qu’à se réaliser. Il y a l’humour, la vraie politesse du désespoir. Et il y a les chemins du monde, la découverte de soi la quarantaine passée, le regard lucide face au miroir du temps. Il y a tout cela, et tant d’autres trucs encore.

S’il fallait trouver des liens de parenté entre ce livre et des œuvres d’hier ou d’aujourd’hui, j’inscrirais d’emblée Richard Brautigan sur la liste de mes choix. Cela m’a, presque tout de suite, fait penser à Mémoires sauvées du vent ou à La pêche à la truite en Amérique, l’Amérique en moins, mais l’expérience (l’espérance ?) politique en plus.
Il faut lire Ma fille est bientôt plus vieille que moi comme l’on arpente une terre nouvelle et vierge, énergiquement et sans aucune arrière-pensée.

CHAPITRE TRENTE ET UN.
Minuit.
Enfin il est minuit. Pile.

Là, tout est justement dit. Et ce livre est une confidence tragique qui, par moments, nous pousse à rire aux éclats.

Dans un autre registre et sur un autre ton, Le cours du fleuve fait le mien, de Patrice Béghain (éditions La passe du vent, Genouilleux, mars 2009, 240 pages, 15 €), nous entraîne, au départ, en des endroits moins anodins puisque plus directement tournés vers l’espace public.

Je suis né en 1944 ; d’abord professeur, j’ai commencé ma vie publique comme syndicaliste sous le signe de mai 68 ; l’élection de François Mitterrand en 1981 a fait du professeur et du militant syndical un haut-fonctionnaire du ministère de la culture. Puis les hasards de la vie m’ont amené à être pendant sept ans l’adjoint à la culture de la Ville de Lyon. Durant plus de trente ans d’action publique, je n’ai jamais oublié que les responsabilités et les mandats n’ont qu’un temps et qu’au bout du compte nous sommes rendus à nous-mêmes ; l’homme ne s’est pas perdu en chemin ; les poètes et les artistes l’ont guidé.

Dans une série d’entretiens avec la journaliste Nelly Gabriel et Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles de Grenoble, Patrice Béghain, directeur régional des affaires culturelles, de 1983 à 1996, et adjoint à la culture et au patrimoine de la Ville de Lyon, de 2001 à 2008, revient sur son parcours personnel et professionnel. Le jeune agrégé de lettres classiques de 1967 est devenu un acteur et un témoin de vingt-cinq ans de vie culturelle française, dans une période-charnière, des années Lang jusqu’au début du 21e siècle.

C’est le parcours d’une vie, tout entière placée sous le signe de la passion pour l’art et la culture, qui a trouvé une partie de son sens dans l’engagement public, mais qui a su préserver des jardins secrets et l’intimité d’un homme de conviction et de cœur. Au moment où la France célèbre dans la morosité qui caractérise aujourd’hui l’action culturelle de l’État le cinquantième anniversaire de la création du ministère des affaires culturelles, ce témoignage se veut aussi un rappel de l’esprit pionnier des années Malraux et de la dynamique des années Lang et une invitation vigoureuse à l’audace et au renouveau.
Les entretiens accordés par Patrice Béghain sont, notamment, suivis d’une Lettre au successeur d’André Malraux qu’il faut s’empresser de découvrir. Les enjeux sont de taille, et l’avenir est immédiat. Quant à Patrice, je lui souhaite désormais une seconde vie de passions et d’émotions… Lui qui connaît si bien, déjà, le métier d’écrire.

Et puis il y a Annie Zadek, ma voisine de Saint-Julien-Molin-Molette, dont l’un des « livres de paroles », Vivant, est accueilli au Studio-Théâtre de la Comédie Française, du 28 mai au 28 juin 2009, dans une mise en scène de Pierre Meunier. Annie qui, à partir du mois de juillet, débute une résidence, avec l’artiste Catherine Beaugrand, au Centre d’art contemporain des Brigittines, à Bruxelles. Annie, également lauréate, durant l’automne 2009, d’une Mission Stendhal du Ministère des affaires étrangères — en Allemagne, Tchéquie, Pologne et Autriche. Annie, enfin, dont nous avons fait paraître Vues de l’esprit (éditions La passe du vent, Genouilleux, avril 2009, 120 pages, 12 €). Dans ce livre, dont l’idée puis l’envie remontent, l’une et l’autre, à plus d’une dizaine d’années maintenant, à l’époque des éditions Paroles d’aube, Annie Zadek a choisi, pour parvenir à ses fins, le mode de la conversation, avec Christophe Perton et Liliane Giraudon. Depuis, le dialogue s’est poursuivi et a été enrichi par ce qu’Annie nomme ses petits écrits.

Mais quels sont, donc, les buts poursuivis par Annie Zadek ? Sa passion de l’écriture ? Son rapport au monde ? Ses lectures fondatrices et émancipatrices ? Ses désirs ? Tout cela, en effet, se retrouve intimement mêlé dans cet ouvrage qui aura mis très longtemps à voir le jour. Il aura fallu, oui, tout le temps de la réflexion, de la concentration, et de la simple maturation, pour que ce livre existe et donne le ton. Un livre qui vient, en partie, récompenser trente années d’écriture et de silence…

Annie Zadek est une auteure pour qui la littérature est une affaire sérieuse, mais qui ne manque jamais d’humour. Son écriture, à la croisée des genres romanesque, poétique et théâtral, lui a déjà valu d’être souvent adaptée au théâtre. Dans Vues de l’esprit, elle se dévoile un peu, en réaffirmant son engagement de toujours en faveur d’une littérature exigeante et sans concession. Parmi ses principales et récentes publications, on peut noter « Souffrir mille morts », « Fondre en larmes » (URDLA, Villeurbanne, 2003), Douleur au membre fantôme / Figures de Woyzeck (Les Solitaires intempestifs, 2008), Vivant (première édition : Fourbis, 1998 ; Les Solitaires intempestifs, Besançon, 2008).

Et puisque c’est la littérature qui fait le beau temps, j’en viens, sous un beau soleil de printemps, à mon ami Yvon Le Men qui, comme son nom l’indique, est originaire de Bretagne où il vit, à Lannion, Côtes-d’Armor — et d’où je suis rentré, il y a quelques jours. Yvon Le Men est poète, et auteur de récits — depuis plus de trente ans, lui aussi. Mais c’est, pareillement, un « étonnant voyageur » qui, de Saint-Malo à Bamako, de Sarajevo à Sao Paulo, sait se faire le passeur des écrivains du monde. J’aime ce qu’il écrit, ses vers denses et ses proses familières. Yvon Le Men publie, coup sur coup, deux ouvrages : Si tu me quittes, je m’en vais, roman (Flammarion, Paris, avril 2009, 126 pages, 14 €) ; Vingt ans, poèmes (éditions La passe du vent, Genouilleux, avril 2009, préface de Jean-Luc Steinmetz, 120 pages, 10 €).

Dans Vingt ans, Yvon Le Men a souhaité rassembler, en un seul volume, la plupart de ses vers de jeunesse, écrits entre 1971 et 1976. Issus de ses trois premiers recueils publiés (Vie, En espoir de cause et Dis, c’est comment la terre), les textes de Vingt ans répondent à la situation générale et décontractée des années 70, en s’inscrivant pleinement dans le courant de la poésie engagée de l’époque. Dans ce livre, il y a — déjà — la voix la plus personnelle et la plus prometteuse d’Yvon Le Men. Une manière, bien à lui, de lire et de dire le monde. Cris de révolte, chants du peuple, lettres d’amour, fragments intimes, tout ici se dessine sur la page. Mots d’encre, feuillets interdits, Yvon Le Men nous livre ses « paroles pauvres » en se délivrant de ses habits d’enfance, de sa part manquante — père absent, dès le plus jeune âge, emporté par la maladie.

La poésie d’Yvon Le Men a bien changé depuis 1976. Dans sa forme, elle s’est considérablement épurée. Sur le fond, le grand bruit d’hier s’est, peu à peu, répandu et transformé en un long cri muet. Mais il y a une continuité surprenante, pourtant, entre l’écriture lyrique de ces années-là, et l’impeccable concision d’aujourd’hui. Yvon Le Men continue d’écrire, avec son souffle et à son rythme, une poésie généreuse et à voix haute. Il écrit encore pour dire et lire le monde où nous vivons.

Dans Si tu me quittes, je m’en vais, son deuxième roman (après Elle était une fois, en 2003) publié par Flammarion, Yvon retrouve, également, une partie de sa jeunesse. Nous sommes, cette fois, en 1978, et il est ici question d’un amour improbable et intense. Ce livre, certes peuplé de souvenirs réels, est bien un roman, un roman à part entière, un roman d’amour et d’humour mélangés.

Le roman de Coralie, ancienne call-girl, buvant comme un trou, fumant des pétards, portant un manteau de fourrure, conduisant une 4L, lisant Cosmopolitan, écoutant RTL, Claude François, Michel Sardou… et n’ayant plus un sou.

Le roman de la rencontre impossible entre Coralie, la belle jeune fille belge, et un ancien maoïste breton qui se prétend poète (toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé…).

L’ouvrage est divisé en 50 courts chapitres, dont certains sont des poèmes en vers libres et discrets, des paroles intimes, et d’autres de véritables petits bouts de narration. L’amour qui s’en dégage est fou, et gonflé — comme une chemise de nuit plus légère que légère, et laissant passer le jour par un beau soir d’été. L’humour qui s’en libère est, lui aussi, insensé — comme un morceau de dialogue improvisé.
_ — Je croyais que tu m’aimais, lui criai-je à la figure et à bout d’arguments.
— Imbécile, tu ne vois pas que le temps passe ? C’est à neuf heures que je te l’ai dit et il est midi et demi !

Mais la chute, inattendue, emporte le tout sur un gros nuage de larmes. Yvon Le Men a réussi son pari : nous raconter une histoire, voire nous la donner à vivre. Par les temps qui courent, cela relève presque de l’exploit. J’ai aimé lire ce livre, comme j’aime celui qui l’a écrit.

Le printemps est venu, et nous n’avons pas su résister aux mots et aux émotions que certains livres nous ont transmis. Pour ma part, je suis tout désemparé. Il me manque, désormais, quelque chose.

Quelque chose à me mettre sous la dent.
Alors, j’attends déjà la suite. Elle viendra.

Saint-Julien-Molint-Molette, le 6 avril 2009.


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