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Antoine Bourseiller met en scène le premier roman de Jean Genet
Entretien avec Antoine Bourseiller réalisé par Jacques Barbarin

C’est est un nom indissociable de l’histoire du théâtre en France et de la décentralisation théâtrale. Il a notamment collaboré tout au long de sa carrière avec Maria Casarès, Suzanne Flon, Gérard Philippe, Jean Louis Barrault, Jean Luc Godard, Samuel Beckett, Günter Grass ou encore Michel Simon. Mais Antoine Bourseiller est aussi un grand connaisseur de l’œuvre de Jean Genet : en 1975, il met en scène au Théâtre du Gymnase à Marseille Le Balcon, en 2004 au Théâtre National de Nice Le Bagne, en création mondiale. Il y est revenu fin novembre pour la mise en scène de son adaptation de Notre Dame des Fleurs. Je lui ai donc demandé quelle était l’importance que revêtait à ses yeux cet auteur dans la littérature du XXème siècle, tant romanesque que dramatique.

Antoine Bourseiller D’abord, il faut rendre hommage à la direction du Théâtre de Nice, c’est-à-dire à Daniel Benoin qui à été le producteur du Bagne, en co -production avec les Théâtres du Luxembourg. C’était la dernière pièce de Jean Genet et aujourd’hui c’est la première adaptation faite d’un de ses romans et à nouveau c’est grâce à Daniel que le spectacle va vivre, en coproduction cette fois ci avec Le Théâtre du Gymnase à Marseille [1]. Cette première adaptation d’un roman de Jean Genet est une création mondiale, comme l’a été Le Bagne. Il y a là de la part de Benoin quelque chose que j’appelerai de l’admiration véritable pour un des auteurs – et là je réponds directement à votre question – les plus importants du XXème siècle. Il y a eu pour moi deux astres noirs et étincelants du théâtre du siècle dernier : au début du siècle ce fût Paul Claudel, et dans la deuxième moitié, Jean Genet. Evidemment autour il y a des satellites comme Beckett, ou Koltès, pour ne citer qu’eux, qui tournent autour de ces astres. Mais ceux qui ont apporté une véritable révolution, c’est bien Claudel et Genet.

Pourquoi ?

Claudel a porté pour la première fois des thèmes religieux, stricts et pris dans le détail de la religion. Bien sûr, les grandes tragédies de Racine en effet viennent de Port Royal mais se limitent à l’amour passionnel, alors que Claudel va plus loin, il tente parfois d’aborder le mysticisme. Jean Genet est un auteur qui traite de problèmes de son temps : avec Les paravents, Les nègres, et même Le bagne, il a une vue perçante, aigue de ce qui se passe dans les sociétés et les mouvements artistiques qui relèvent de la poésie, la poésie étant la vision aigue du réel. Et je ne vois pas qui, dans les deux derniers siècles, pourrait être comparé à cette virulence, cette provocation, cette poésie.

En 2008 vous mettez en scène Lorenzaccio, mais j’allais dire un Lorenzaccio dépouillé de ses « falbalas ». Outre l’unité des costumes, tout était recentré sur la drama, et je me demandais si votre Lorenzaccio qui commet ce meurtre au nom d’une révolte qui s’avère gratuite n’avait pas quelque chose d’un personnage de Genet.

Certainement parce qu’il a quelque chose de marginal dans sa propre vie comme Genet. Ce dernier a mené une vie qui ne correspondait pas à la mesure normale, au consensus normal des choses : il a été un enfant abandonné, il a perdu sa mère nourricière très tôt. A travers son œuvre – pièces ou roman – il est parti à la recherche de sa mère. Lorenzaccio partait à la recherche de la démocratie. Cela a été un échec. Jean Genet, quand on lui a dit qu’il pouvait avoir peut-être plus de renseignements sur sa mère et surtout sur son père, a dit « C’est trop tard, tant pis ». Il a donc lui aussi renoncé à trouver son équilibre par l’intermédiaire de son manque de mère. Et puis, vers la fin de sa vie il s’est dévoué à un militantisme qui concerne surtout les gens en dehors du consensus : les Black Panthers, les Palestiniens. Il a passé 4 ans en Palestine, son cancer avait repris, il avait une force physique et morale exceptionnelle. Dans Le captif amoureux, il aborde le thème de la Piéta, la mère qui reçoit son enfant mort. Lorenzaccio, sans le savoir, préparait la venue de Genet.

Porter à la scène un roman de Genet ne vous a t-il pas valu l’ire des « gardiens du temple » ?

J’étais très lié avec Jacky Maglia, qui était l’exécuteur testamentaire de Genet. Quand je lui ai parlé de ce projet, il a été tout de suite étonné et peut-être même un peu chagriné en me disant : « Est-ce que tu es sur que ça vaut le coup ? Genet a écrit un roman pour être lu et non pour être joué » . Effectivement il avait raison. Mais l’évolution du théâtre à l’heure actuelle est telle que beaucoup de grands – depuis longtemps, d’ailleurs - ont commencé, grâce aux Pitoëff à adapter toute une littérature russe. Plus tard, de grands romans sont devenus des feuilletons pour la télévision. Dans le cadre du centenaire de la naissance de Jean Genet, je trouvais plus intéressant de laisser aux jeunes – s’ils en avaient la possibilité- de monter les grandes pièces de Jean Genet. Par exemple, à l’Odéon, on aurait dû remonter Les paravents, mais dans une nouvelle version. J’ai été baigné par les premiers romans de Genet – et quand vous avez 20 ans vous adhérez à cette provocation. Et le plus grand roman, c’est Notre Dame des Fleurs qui est moitié roman moitié mémoires. Même Cocteau, qui était quelqu’un qui n’avait pas froid aux yeux a été très choqué à la première lecture. C’est à la seconde qu’il a dit – en substance – à Genet qu’il le considérait comme un grand écrivain du siècle.

Votre carrière a commencé avec la décentralisation, quels regards portez-vous sur le théâtre en France aujourd’hui ?

Il y a une nouvelle génération de comédiens et de comédiennes qui me paraît assez importante pour le futur si l’on considère que faire du théâtre est une action évidemment artistique mais aussi –je ne dirais pas politique- en tout cas philosophique. On prend des risques énormes, surtout de plus en plus, étant donné que la grandeur de la France c’est d’avoir inventé la décentralisation et d’avoir permis à toutes les villes, grandes , petites ou moyennes de bénéficier d’un théâtre. Un théâtre non pas d’avant-garde mais « en progrès ». La génération actuelle –20 ans, 30 ans- est passé par des écoles nationales qui n’existaient pas avant.

Et pour les metteurs en scène ?

Quand je suis arrivé à Paris, je voulais être metteur en scène. Je pensais qu’il y avait une école, on m’a dit qu’il n’y en avait pas, il fallait aller dans une école de comédiens. C’est comme ça que j’ai atterri chez Jean Vilar où j’ai appris mon métier de metteur en scène en étant serviteur de scène, à porter des hallebardes, des cercueils, des drapeaux, à longueur et de répétitions et c’est comme ça que j’ai vu comment l’on pouvait affronter le théâtre. D’autre part, des grands auteurs comme Koltès sont joués à travers le monde, mais depuis il semblerait qu’il n’y ait pas eu une fleur nouvelle dans la dramaturgie française : la même explosion qui a été celle de Koltès n’a pas encore été renouvelée par quelqu’un d’autre.

Faudrait-il « laisser le temps au temps » ?

Malheureusement, le temps devient de plus en plus dur pour les jeunes. A tous les niveaux : que l’on soit un étudiant, quel que soit le métier qu’on envisage, on ne peut pas dire que les jeunes soient particulièrement portés pas les gouvernants ou bien par ceux qui sont responsables des grands théâtres nationaux.

Propos recueillis par Jacques Barbarin

Mis en ligne en novembre 2010

Notes :

[1Théâtre du Gymnase - 4, rue du Théâtre Français 13001 Marseille -du 7 au 9 avril 2011


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