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Angelo Rinaldi, un académicien au comité d’entreprise d’EDF-GDF
Entretien avec Audrey Viala

L’écrivain Angelo Rinaldi était l’invité de la Caisse centrale des activités sociales de l’énergie à Montreuil, le jeudi 9 mars. Après que Valère Staraselski lui a souhaité la bienvenue (voir le texte ci-dessous), l’académicien a rencontré les salariés lors d’un débat animé par Vincent Roy.
L’occasion pour Angelo Rinaldi d’évoquer et partager sa passion de toujours : la littérature. Il a poursuivi la conversation lors d’un entretien avec Audrey Viala.

Intervention de Valère Staraselski

Soyez le bienvenu ici, ce soir, parmi nous, à l’issue d’une après-midi consacré à réfléchir, à échanger sur les moyens dont nous disposons, ceux que nous pouvons inventer puis construire, afin d’amener les électriciens et les gaziers, on dit aujourd’hui énergéticiens d’avantage encore, à la lecture en général et plus particulièrement à la lecture d’ouvrages de littérature.

Car, oui il y a là, semble-t-il un véritable enjeu qui touche ni plus ni moins à la capacité de penser et par conséquent à la liberté et j’ajouterais même, empruntant la parole de la sculptrice Louise Bourgeois : « L’art est une garantie de santé mentale. »
En effet, comment peut-on être sans exercice de l’imaginaire ? Tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous avons tous à faire à notre imaginaire qu’on le veuille ou non, qu’il soit ou non conditionné, pour une part et laquelle ?, par les marchands !
Toujours est-il que pour atteindre la plus grande conscience possible, il me parait très difficile de pouvoir se passer des fictions et notamment des romans. C’est que le fait de vivre nous est si familier, si donné, qu’on n’en a plus d’image et que le regard usé, on ne sait plus dire comment elle est, cette vie. Le détour par la fiction comme le détour ou le ralentissement par la digression ou l’apposition dans la phrase nous ramène au fait de pouvoir de ce donner une image.

Nous avons tous dans notre maison des pièces ou nous n’allons jamais ou si peu et bien sur des pièces qui sont pourvues de fenêtres.

Je me souviens d’une insomnie une nuit d’été dans un centre de vacances à Val d’Isère ou j’ai découvert, dans la bibliothèque dudit centre, un drôle de livre dont les caractères étaient imprimés en corps 14 pour des voyants déficients qui n’était autre qu’un roman d’un auteur que je n’avais jamais lu et dont je lirai pratiquement tout par la suite. Le titre du livre : « Des arbres à abattre », l’auteur : Thomas Bernard.

Oui, la littérature est d’abord connaissance profonde des lettres et ceci suppose une grande curiosité, une appétence pour la vie et une certaine humilité, car cela réclame d’apprendre à lire ce qu’on n’a pas forcement l’habitude de lire et que ce peut être assez long. Disons-le tout net, apprendre à lire ne peut se faire qu’en lisant et en lisant, de préférence des auteurs véritables.

Qu’est-ce qu’un auteur véritable, me dira-t-on ? Peut-être celui qui a l’âme d’un spectateur et non d’un concurrent ainsi que l’affirme le narrateur des roses de Pline, un roman de vous monsieur Rinaldi paru en 1987.

Vous concernant, vous, quelqu’un écrivait à l’occasion de la parution de Torrent roman paru en 2016 sur un blog les Diagonales du temps :
_ « Il est scandaleux de voir qu’aujourd’hui les romans d’Angelo Rinaldi qui est uns plus grands écrivains français vivants, et il y en a bien peu, pas des vivants, mais des grands, paraissent presque en catimini. Parmi les raisons à cet état de fait, le bloggeur indique en premier lieu que Rinaldi écrit dans un français qui est difficilement accessible aux critiques de la gauche molle… » Je dirai, quant à moi, à la place des critiques.

On aura compris comme le note un critique littéraire, toujours au sujet de votre roman Torrent « Attention on ne rentre pas dans ce livre comme dans un moulin ».
Dans aucun roman digne de ce nom, ajouterai-je. Je veux dire ceux écrits par des auteurs qui sans cesse mettent l’art au-dessus d’eux-mêmes.

« Je retenais difficilement le nom de l’auteur après avoir lu un roman ; - affirme le narrateur d’un de vos romans – il me paraissait même contradictoire qu’on l’imprime sur la couverture, dès l’instant qu’il ne s’agissait pas de Mémoires ou d’une autobiographie. Il me gênait comme le chapeau de la spectatrice qui dissimule une partie de l’écran au cinéma. »

Je suis certain que vous aurez après la présentation et l’échange avec Vincent Roy, écrivain lui-même, critique littéraire au Monde, à Art-press, à Transfuges et que je remercie, des questions sur l’Académie française ou sur votre travail de critique. Peut-être rappellerai-je que l’année 2011, vous avez démissionné de la présidence de l’association Défense de la langue française et quitter cette association quand il s’est agi de récompenser le journaliste Eric Zemmour en déclarant : « Je refuse de présider une association qui récompense et donc légitime la propagande haineuse de M. Eric Zemmour. Je démissionne donc de mes fonctions (…) et quitte totalement l’association ». Pour ajouter quelque temps après ne pas vouloir récompenser quelqu’un qui jette le discrédit et l’opprobre sur des gens qui parlent français, je me permets de noter encore, eu égard au lieu où nous sommes, le siège d’un comité d’entreprise où les patrons sont des représentants mandatés par leurs fédérations syndicales, que vous êtes syndiqués à la CGT. En attendant permettez-moi, cher Angelo Rinaldi, encore une fois de vous remercier au nom de mes collègues de votre présence ici ce soir. Nous sommes très honorés de votre présence. Et j’espère que nous pourrons réitérer la chose avec des jeunes par exemple.

Mais, ainsi que le disait l’autre, le camarade Goethe : « La vie est courte et l’art est long… »
Donc ne perdons plus de temps ! A vous la parole !

Entretien

« Plus on lit, plus on devient libre »

Costume gris, écharpe et cravate de couleur rose, Angelo Rinaldi a l’élégance que l’on peut attendre d’un académicien. Souriant, du haut de ses 76 ans, l’écrivain ne se lasse pas d’évoquer sa passion des mots.
Angelo Rinaldi naît sous le soleil de Bastia, en 1940. Enfant d’une famille de paysans, les livres sont loin du foyer natal. Mais cela n’empêchera pas l’homme aux 17 romans de devenir une figure majeure de la littérature française contemporaine.

Des origines modestes

Son histoire d’amour avec la littérature débute tôt. "J’ai toujours été émerveillé par la lecture. Pourtant, il n’y avait rien chez moi. Le calendrier des postes, pas plus. Je dois tout à l’école républicaine." La passion littéraire d’Angelo Rinaldi n’est pas une transmission héréditaire. Mais qu’est-ce qui lui a, alors, donné le goût des mots ? "Je ne sais pas quelle idée j’ai eue de commencer à écrire à 15 ans… Je ne me l’explique pas. C’était pour moi une sorte d’amusement. J’ai eu l’envie de continuer, à mes risques et périls".
Il fera finalement de l’écriture son métier. Il devient d’abord chroniqueur judiciaire à Nice-Matin. Mais cela ne le passionne pas vraiment. Il publie son premier roman, La Loge du Gouverneur, en 1969. Sa première reconnaissance, il la doit à La Maison des Atlantes qui obtient le prix Femina en 1972. C’est à cette période que l’homme de lettres se lance dans la critique littéraire. Il passera par l’Obs, L’Express puis occupera le poste de directeur du Figaro Littéraire. Angelo Rinaldi deviendra alors l’une des plumes les plus redoutées par ses pairs.
En 2001, l’écrivain intègre l’Académie française. Il le vit simplement comme une reconnaissance sociale. "Je ne me lève pas tous les matins en pensant à l’Académie française, vous l’imaginez bien" s’amuse-t-il. "Quand j’ai été reçu, j’ai été très enfantin, étant donné l’origine sociale de mes parents… Je regrette un peu qu’ils ne soient pas là."
Son dernier roman, Torrent, sort en 2016. Mais, même pour un académicien, écrire n’est pas un exercice facile. L’auteur cherche, doute, se sacrifie. "On souffre beaucoup en écrivant un roman. Le dernier m’a demandé quatre ans de travail, quatre ans de nuits sans nuits." Pourquoi une telle difficulté ? L’écrivain laisse un peu de lui à chaque livre. Jusqu’à l’épuisement. "Un roman est commencé par l’enthousiasme et terminé par la fatigue. Je me demande toujours si je vais arriver au bout du livre que je suis en train d’écrire." Angelo Rinaldi souhaite se laisser un peu de temps. Il ne travaille pas, pour l’instant, sur un nouveau projet.

La littérature pour la liberté

"Il n y a rien dans la vie qui me procure un sentiment de liberté aussi fort que la littérature" confie l’écrivain. "Plus on lit, plus on devient libre". Pourtant, il y a eu aussi le cinéma dans la vie d’Angelo Rinaldi. Pendant des années, il préfère se rendre à la séance de 11h, plutôt que de déjeuner. "Le jour où Fellini est mort, j’ai eu le sentiment que quelqu’un ne me comprendrait plus". Mais l’académicien explique qu’il n’a plus de temps à consacrer au septième art. "Je suis entièrement dévoué à la littérature".

Mais alors, pourquoi le livre délivre ? "La littérature vous ouvre des champs, des réflexions, vous révèle des mondes, vous apporte une sensibilité que vous ne connaissiez pas, une autre manière de réagir." Et Angelo Rinaldi parle de son vécu. Élevé dans un contexte très modeste, ses premiers voyages, il les fait à travers la bibliothèque de son lycée.

Pour l’écrivain, la littérature permet aussi d’analyser et comprendre la société. Et mieux que n’importe quelle science. "Pas la peine de lire Bourdieu. Vous lisez Les Illusions perdues de Balzac et vous verrez que rien n’a changé ; ni sur l’argent, ni sur la férocité de Paris, ni sur le journalisme."

Angelo Rinaldi est assez optimiste. Même à l’ère du numérique, la littérature conserve sa place. "À chaque progrès que la société a pu faire, on a toujours eu l’impression que c’était au détriment de la littérature. Qui aime lire lit, malgré les tentations du numérique, des écrans, des consoles de jeux…" L’académicien ne se fait pas moralisateur. Bien sûr, il s’interroge sur les moyens d’incitation à la lecture. Mais pour lui, il n’y a pas de recette miracle. "Lire exige un petit effort". L’effort nécessaire pour être libre.

Entretien réalisé par Audrey Viala


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