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Aimé Césaire, l’Aimé et le capteur…
par Thierry Renard

Dompteur de laves, le poète, Régisseur d’éruptions,
Régent des éclosions, Magellan des petits matins,
Commandeur des métamorphoses…

Jacques LACARRIERE, Ce que je dois à Aimé Césaire.

Tout comme l’écrivain Julien Gracq (1910-2007), décédé il y a déjà quelques mois, Aimé Césaire (1913-2008) n’aura pas la chance de participer — de son vivant ; donc, en sang, en chair, en os — aux célébrations qui marqueront le centième anniversaire de sa naissance. Tout comme Albert Camus (1913-1960), qui, lui, fut brutalement fauché dans la force de l’âge, Aimé Césaire aurait eu cent ans en 2013. Mais le poète s’en est allé, un peu avant la date requise, le 17 avril dernier, à Fort-de-France en Martinique. Il avait 94 ans. Contrairement à ce qui s’était passé au moment de la mort de Léopold Sédar Senghor (1906-2001), son aîné et son plus fidèle allié, Césaire a bénéficié d’obsèques nationales et reçu de très nombreux hommages, dont ceux, en particulier, de la classe politique française presque dans son entier.

On ne résume pas la vie d’un homme en quelques phrases, on la parcourt seulement. Naissance d’Aimé Césaire, le 26 juin 1913, au sein d’une famille de six enfants de Basse-Pointe ; père fonctionnaire, mère couturière. Boursier dans les années trente à Paris, il étudie au lycée Louis-le-Grand. Il y rencontre Senghor avec qui il fonde, aux côtés de Damas et de Birago Diop, la revue L’Étudiant noir — où, pour la première fois, des écrivains noirs refusent les modèles littéraires des blancs et proclament leur négritude. En 1939, des fragments de son œuvre poétique majeure, Cahier d’un retour au pays natal, paraissent dans la revue Volontés. D’autres recueils suivront dont, parmi les plus éclatants, Ferrements, Moi, laminaire et Les Armes miraculeuses, ainsi que quelques pièces de théâtre. En 1940, il fonde, notamment avec René Ménil, la revue Tropiques où figurent des poèmes de pure inspiration surréaliste. C’est à la lecture de cette publication qu’André Breton découvre, d’ailleurs, son œuvre. En 1945, Césaire est élu maire de Fort-de-France (il le restera presque jusqu’au terme de son long parcours) sur une liste du Parti communiste, puis député (de 1946 à 1993). Les années s’écoulent de plus en plus vite pour lui, et les choses se précisent, ou s’affirment — en lui. En 1950, il publie dans Présence africaine l’un de ses textes les plus virulents, Discours sur le colonialisme. Et, en 1958, peu après avoir démissionné du PCF, il fonde le Parti progressiste martiniquais, parti fortement autonomiste.

Grâce à ses origines modestes et son engagement humain, Césaire devient, au fil des ans, le « prophète » de la diversité culturelle. Avec Senghor, il invente aussi le concept de francophonie des peuples. Qui, mieux que lui, a su faire de la langue française la véritable langue de l’autre ? Césaire, le visionnaire, a toujours su créer les mots pour dire demain… Mais les années ont passé, et Aimé a fini par s’en retourner, en poète enraciné dans la terre (son île et sa langue natales) comme un arbre… Aimé, le trublion, le fervent, l’audacieux, le capteur d’énergies, maniant toujours avec talent, dans sa langue même, investigation morale, érotisme solaire, colère nègre, expressions telluriques, bucoliques et rebelles. Alors comment résister, pour lui rendre simplement hommage, à faire usage d’une citation puisée dans son œuvre incomparable.

J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans

Aimé Césaire, le Nègre absolu, le Nègre majuscule ! Mais nous sommes tous, et toujours, le nègre de quelqu’un. La couleur de peau n’y change rien. Quand un poète meurt, on le sait bien, c’est une part de notre commune langue qui s’éloigne, qui s’en va... C’est notre langue, OUI, qui se retire ou qui s’effondre.

Toute sa vie durant, Césaire aura été attaché par les mots à son ami Senghor — qui, très tôt, lui fit découvrir l’Afrique. Et fidèle, aussi, à la langue française, notre langue tant aimée…

Le 28 avril 2008, à Saint-Julien-Molin-Molette


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