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A la recherche du Peuple perdu
L’analyse de Thierry Blin sur la progression des scores de l’extrême-droite

Le philosophe Jean-Claude Michéa a récemment élaboré, à partir d’Orwell, un théorème d’une actualité cinglante : quand l’extrême droite progresse chez les gens ordinaires, c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger. Les récentes larmes électorales de Jean-Luc Mélenchon relèvent de cet axiome.

Ce qui domine en effet dans de larges couches de la population, celle des exclus de la mondialisation, celle des « petits » (ouvriers, employés, retraités issus de ces catégories, celle du chômage de masse, des petits paysans…), c’est le sentiment amer d’une friabilité généralisée à laquelle rien ne devait échapper (travail, compétences, savoirs…), l’impression d’être confronté à une société toujours mouvante, immaîtrisable, ne proposant plus pour horizon que l’urgence et l’adaptation. Le PCF d’autrefois en assurait la prise en charge électorale. Pourquoi n’est-ce plus le cas ?

Parce que le Front National porte une analyse terriblement efficace de la mondialisation. Cette dernière conduit à ce que le sociologue Zygmunt Bauman nomme une société liquide, une société où l’avenir, le niveau de vie, le travail sont incertains. Cette société s’est donnée pour âme, les principes et valeurs de la fluidité, de la révolution et de la communication permanentes. Dans la société d’avant cette nouvelle hégémonie, l’Etat-Nation régulait, régnait, conférait une identité. Un travail pouvait définir une vie. Etc., etc. Le capitalisme de cette ère avait généré un puissant double antagoniste, sous la forme du mouvement ouvrier qui parlait lui aussi le langage « solide » des classes, du destin identitaire lié au travail, de l’Etat, et même de la Nation, comme ce fut longuement le cas d’un PCF héritier d’une tradition ancrée dans la Révolution française.

Ce que le vote FN manifeste c’est cette nostalgie du solide, de la prise collective sur la vie ordinaire, ce rejet de l’impuissance face à l’inéluctabilité de l’adaptation à « l’économie telle qu’elle va »… Sur ce plan, c’est d’ailleurs tout bénéfice pour lui que d’être éternellement associé au Mal par les gestionnaires de l’adaptation forcenée au nouveau cours du Capitalisme mondial. Le débat est alors réduit à un duo en forme de chaos mental : Global Capitalism ou Le Pen. Avec des ennemis comme ça, le Front National n’a assurément pas besoin d’amis…

Face à cela, penser que les références nébuleuses à l’Europe sociale, à un smic européen où à la « subversion » de l’euro impressionneront l’électeur, c’est se payer de mots. Entretenir ainsi le flou sur le rapport à l’Europe, à la Nation, à la souveraineté, parler, dans le même wagon, de l’horreur des Frontières et des souverainetés populaires, c’est se condamner, à termes, à une fossilisation inéluctable. Phénomène d’autant plus fascinant que jusqu’à l’invention de la Gauche plurielle, il n’était question que du refus de « l’Europe supranationale du Capital ».

Un débat sur le sujet ne serait peut-être pas inutile, car on a rarement vu qu’une identité vacillante constituait un mythe politique attractif.

Tribune parue dans l’Humanité du 3 juin 2014. Thierry Blin est maître de conférences en sociologie

A lire également sur les résultats du Front national aux élections européennes : l’analyse de Nicolas Lebourg.

Parmi les autres textes de Thierry Blin sur le site : "Et si on liquidait l’homme"...


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