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"Santé au travail et lutte de classe" de Philippe Saunier
Le conseil de lecture de Michel Héry

Philippe Saunier mène depuis des décennies un combat pour la prévention des risques professionnels. Militant de la Fédération nationale des industries chimiques de la CGT, son activité syndicale s’est exercée dans son entreprise, ainsi qu’aux niveaux régional et national, notamment en tant que membre du Comité technique national (CTN) Chimie de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Il publie aujourd’hui Santé au travail et lutte de classe chez Syllepse.

Ce livre s’appuie sur cette expérience de syndicaliste à travers la description de nombreux faits particulièrement éclairants, issus de l’expérience de l’auteur ou de celle d’autres syndicalistes. Cela contribue à en rendre la lecture particulièrement vivante. Mais ce livre est bien plus qu’un compendium : c’est un excellent ouvrage d’initiation aux problématiques de santé et sécurité au travail. Il a aussi le mérite de les considérer dans toute leur diversité : des risques chimiques ou mécaniques aux risques psychosociaux, tout en donnant leur juste place aux questions d’organisation du travail qui influent tant sur les risques professionnels que sur la façon de les prévenir.

Une des qualités de ce livre réside aussi dans le fait qu’au cours des dernières décennies son auteur a été non seulement un acteur, mais aussi un observateur attentif et sagace des évolutions de l’environnement du travail et des règles qui le régissent. Certes, et c’est là l’un des points principaux du livre, la lutte de classe reste la clé essentielle pour qui veut comprendre les actions et prises de position des uns et des autres. Il s’agit toujours pour le patronat de capter la plus grande part possible de la plus-value, mais l’action des travailleurs peut influer sur le contexte dans lequel le travail s’effectue. A travers la description que Philippe Saunier fait de l’évolution des différents outils au service de la prévention des risques professionnels (représentation du personnel et en particulier les CHSCT [Comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail], législation du travail et de l’environnement, recours à l’expertise extérieure, etc.), on identifie bien les opportunités pour une amélioration des conditions de travail qui se sont ouvertes, en particulier dans les années 1980. Certes, tout cela était très encadré et notoirement insuffisant et le pouvoir d’opposition du patronat pouvait encore s’exercer, mais ces outils offraient la possibilité de développer une expertise des travailleurs et à leur service. Cette expertise pouvait notamment mettre à profit les informations recueillies auprès des collectifs de travail existant dans les entreprises et leur capacité d’analyse : cela permettait de prendre en compte dans l’élaboration de mesures de prévention du travail réel et non pas du travail prescrit.

Le néolibéralisme affiché ouvertement sous la présidences Hollande et Macron va se traduire par des attaques brutales contre les droits des travailleurs : suppression des CHSCT, diminution du nombre des élus du personnels dans les instances représentatives, limitation des possibilités d’expertise, démantèlement du compte pénibilité, etc. Dans le même temps, les possibilités d’action de l’inspection du travail et de la médecine du travail sont réduites par un appauvrissement délibéré des moyens mis à leur disposition ou un dévoiement de leurs missions quand les agents des services Prévention des risques professionnels des Carsat (Caisse d’assurance retraite et de santé au travail) sont invités à délaisser les interventions sur le terrain au profit d’un conseil aux entreprises de plus en plus désincarné. Tout cela intervient dans un contexte de développement des formes « atypiques » du travail : travail de nuit, télétravail, sous-traitance généralisée d’abord dans l’industrie (pour tout ce qui n’est pas considéré comme le « cœur du métier ») puis de plus en plus dans les activités de service, encouragements au travail indépendant. Les organisations syndicales, dont les moyens ont été rognés, sont confrontées à des situations de travail et d’organisation du travail de plus en plus complexes.

Philippe Saunier consacre également une place significative à la question des accidents du travail et des maladies professionnelles. Là aussi, une stratégie d’invisibilisation a été déployée : outre les aspects économiques (reconnaître la sinistralité peut avoir un coût significatif pour les entreprises), le patronat et l’Etat mettent en œuvre des politiques marquées par une idéologie qui tend à dédouaner le travail (et à travers lui l’employeur) de toute responsabilité pour la faire reposer sur le travailleur : faute individuelle (quand il y a avant tout dans un accident les conséquences d’une organisation défaillante), mauvaise hygiène de vie (quand les circonstances de cette vie sont largement déterminées par le travail), négation de la toxicité des expositions professionnelles, etc.

Le livre est foisonnant et pourra peut-être dérouter les lecteurs non spécialistes : c’est pourtant à eux aussi qu’il s’adresse parce qu’il décrit avec beaucoup de passion et de verve le combat de tous les jours que mènent les militants syndicaux pour la santé et la sécurité de leurs collègues. Un livre sans concession et sans langue de bois, à l’image de son auteur.

Philippe Saunier - Santé au travail et lutte de classe – Editions Syllepse, mars 2023


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