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La vraie urgence, ce n’est pas de refonder un « projet »
Entretien avec Jean-Luc Nancy

Que faut-il faire, d’après vous, pour refonder des oppositions ?
Jean-Luc Nancy : Ce qui me gêne, lorsqu’on parle de refondation - de la gauche, de l’opposition, etc. - c’est qu’on reste toujours dans l’horizon de la construction d’une société plus juste, plus épanouissante. La crise de la politique dans laquelle nous sommes très profondément entrés invalide pourtant ce type de démarche. Car ce n’est pas seulement une crise des institutions ou des modèles démocratiques que nous endurons. Nous sommes plutôt en présence d’une crise du sens.

Quel est l’impact de cette crise-là sur la situation de la gauche ?
J.-L.N. : La crise du sens que j’évoque n’annule pas l’urgence d’une vraie alternative politique. Elle change simplement les termes de celle-ci. Plutôt que de refonder un projet, il vaudrait mieux commencer par admettre que l’horizon collectif ultime ne peut pas être simplement politique, autrement dit que la politique ne peut plus répondre seule à la question du sens.

L’impératif que vous dessinez apparaît comme assez abstrait !
J.-L.N. : Détrompez-vous. Ce que je propose, c’est que la politique reprenne simplement sa juste place : une place forte, vigoureuse, mais limitée ; une place qui ne consiste pas à se substituer à la société pour définir ses choix fondamentaux.

D’accord. Mais qui alors de l’objectif de l’émancipation, inhérent à tout projet de gauche ?
J.-L.N. : Je rêverais par exemple qu’à l’intérieur du PS, quelqu’un ose dire : « Pendant longtemps nous nous sommes définis par le projet d’émancipation mais, aujourd’hui, le fait est que nous ne sommes même plus capables de dire de quoi il s’agit de nous émanciper. »

Vous voulez dire que le préalable à toute refondation de la gauche et, plus largement, de l’opposition, c’est d’admettre qu’on ne sait plus quel contenu donner à l’émancipation ?
J.-L.N. : L’impératif, c’est de commencer de reconnaître deux choses : d’abord, que le projet de gauche a longtemps reposé sur l’émancipation (ou, ce qui revient au même, sur l’idéal de la désaliénation) ; ensuite, que cet horizon émancipateur a lui-même trop souvent été conçu comme une sécularisation de l’espérance religieuse. Or le monde dans lequel nous vivons, surtout depuis la grande crise, est un monde dans lequel un certain nombre d’équilibres - notamment sociaux - doivent être, non pas transformés, mais préservés. Avant même d’énoncer les termes d’un « projet », l’opposition devrait nous aider à tout remettre à plat. Y compris une certaine idée périmée du progrès.

Comment, en attendant, répondre au sarkozysme ?
J.-L.N. : Si la gauche devait s’engager dans la démarche que j’évoque, elle serait capable, à mon sens, d’opposer à ce que représente Nicolas Sarkozy une politique qui serait consciente de ce qu’elle fait. Car, jusqu’ici, la politique sarkozyste se borne à « accompagner le mouvement ». Sans se poser la question du sens.

Publié dans Marianne du 18 juillet 2009

Jean- Luc NANCY est philosophe, professeur émérite à l’université de Strasbourg


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